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Homme de Bon-Sens à paroitre ridicu le. A-t-elle jamais eu plus de fatisfaction, que lors qu'elle s'eft conduite d'une maniére à le mettre au défefpoir, & à l'obliger de fe pendre? Ou fa joie eft-elle jamais fi vive, que lorfqu'elle croit l'avoir amené fur le bord d'un Précipice ou de quelque Ruiffeau ? Qu'elle penfe d'ailleurs, que fon Amant pourroit bien avoir remarqué fes petits tours, & qu'il ne cherche qu'à lui rendre la pareille. Je me fouviens d'une jolie Demoifelle, pleine de feu & de vivacité, qui traita un Etudiant de ma connoiffance, tout nouvellement reve. nu d'Oxford, & qui promettoit beaucoup, ni plus ni moins que s'il avoit été un Barbare. La femaine après qu'elle l'eut enlacé, elle prit une pincée de Tabac en poudre dans la Boëte de fon Rival, & lui toucha peut-être le petit doigt. Elle devint ennemie jurée des Arts & des Sciences, & à peine écrivit-elle jamais une Lettre, fans qu'elle affectat de mal orthographier fon Nom. Pour être à deux de jeu avec elle, le jeune Etudiant, qui ne manquoit pas de génie, fe mit à railler les Coquettes, & à tourner en ridicule ces Hommes fpirituels de la Ville, qui rafinent fur les plaifirs, dont elle faifoit tant de cas. Après s'être ainfi piquotez l'un l'autre l'efpace de cinq Mois, elle lui donna un Rendez-vous à quatrevingt Milles de Londres. Mais, accoût

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tumé

tumé qu'il étoit à fes Fredaines, il prit une Route oppofée. Cependant, ils fe rencontrérent, ils fe querellérent, & au bout de quelques jours ils fe mariérent ensemble. Leurs hoftilitez paffées ne fervent aujourd'hui qu'à leur divertiffement: & ils n'ont retenu de l'Amour, que ce qu'il y a de plus raifonnable,

Les Femmes, qui ont été quelque tems mariées, & qui ne fe piquent pas de voir à leur fuite une foule d'Admirateurs, trouvent leur fatisfaction à pofféder le cœur d'un feul Homme. Je fai bien, que les jeunes Filles ont d'autres idées, & qu'elles ne fe bornent pas-là. Mais, lorfque l'âge les a guéries de leur vanité naturelle, & les a rendues difcretes, leur Amitié fe fixe à fon propre objet. De-là vient fans doute, qu'on voit plus de Maris avoir de la tendreffe pour leurs Femmes qui ont paffé la fleur de leur beauté, qu'il ne s'en trouve de ceux qui les aiment dans le tems qu'elles jouiffent de tout fon éclat. Més Lecteurs peuvent appliquer s'ils veulent, cette obfervation à l'autre Sexe.

Je ne m'arrêterai pas à faire voir la néceffité qu'il y a que le Mari & la Femme afent un feul & même intérêt en vue, & qu'ils travaillent de concert à l'Education de leurs Enfans; mais j'obferverai en paffant, que les Perfonnes mariées ont plus d'ardeur dans leur Ami

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Amitié & dans leur Haine, que celles qui ne le font pas. Les faveurs & les obligations mutuelles, qu'on doit fuppofer être plus grandes dans cet état que dans tout autre, ne peuvent que remplir d'une forte reconnoiffance les Ames nobles & généreufes. Leur ref fentiment ne peut être auffi que plus vif, lorfqu'elles fe croient méprifées ou mal traitées de la part d'une Perfonne, de qui elles avoient mérité beaucoup.

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D'ailleurs, Mlle. DE St. LEGER doit prendre garde, que, s'il y a plufieurs défauts cachez avant le Mariage, il y a demême plufieurs bonnes qualitez qui ne fe découvrent qu'enfuite.

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On peut ajouter à ceci l'effet ordinaire de la coûtume & d'une longue habitude à fe voir, qui produit_l'amitié & la bienveillance entre deux Perfonnes. Je me fouviens d'une Remarque fort délicate d'un de mes Amis qui croit qu'on peut être fur, qu'une Femme aime for Mari, lorfqu'elle emploie fes expreffions, qu'elle répete fes con& qu'elle imite fes maniéres d'agir. Cette Imitation donne un fecret plaifir à tous ceux qu'elle regarde, parce qu'elle cache une flaterie fans art, & qu'elle favorife beaucoup le Principe dominant de l'Amour-propre. Il est certain, que les Perfonnes mariées, qui ont entre elles une Eftime réciproque, ne contractent pas feulement l'air & la

tes,

ma

maniére de parler l'une de l'autre, mais auffi le même tour d'Efprit & les mêmes idées. Quelques uns vont même si loin, qu'ils prétendent, que les traits du vifage du Mari & de la Femme viennent à fe reffembler avec le tems. Que ma belle Correspondante fe figure donc, qu'au bout de deux ou trois années Phonnête Gentil-homme, qu'on lui propofe, aura plufieurs de fes traits; ce qu'elle ne doit pas attendre de fon beau Monfieur, qui eft trop plein de fa chère Perfonne, pour en vouloir imiter une autre. J'en appelle même à fon jugement, afin qu'elle décide fi la Perfonne qui lui reffemblera le mieux, ne fera pas la plus belle.

Nous avons un Exemple, digne de Remarque, & qui ne convient pas mal à no tre Sujet, dans l'Hiftoire du Roi EDGAR, que je m'en vais rapporter ici, & dont ma belle Correfpondante aura la bonté de fe faire l'Application.

* Ce grand Monarque, qui est si fameux dans notre Hiftoire, fit un Voïage à travers fon Royaume, & devint amoureux de la Fille d'un certain Duc qui paffoit pour la plus grande Beauté du Siècle, & qui demeuroit près de Winchester. Sa paffion & fes importunitez auprès de la Ducheffe furent fi vives, qu'elle lui promit de lui ame

ner

Voyez ce que Mr. DE RAPIN en dit dans fon Hifi. d'Angleterre, Tome I. pag. 362.

ner fa Fille, d'abord qu'il feroit couché, quoi qu'elle déteftât dans le fond de fon ame une action fi criminelle. Dès que la nuit fut venue, elle prit une de fes Démoifelles, & la fit gliffer dans la chambre du Roi. Cette jeune Fille n'étoit pas dèfagréable, & ne manquoit pas d'adreffe pour fe prévaloir de cette occafion, & s'en fervir à l'établiffement de fa Fortune. En effet, elle plut tant au Roi, que, lorfqu'elle témoigna quelque envie de fe retirer avant le il ne voulut jamais le permettre.

jour te que, réduite à la néceffité de

De

fe découvrir, elle s'y prit d'une maniè re fi jolie, que le Roi en fut charmé qu'il l'amena avec lui, qu'il la combla de biens, qu'il en fit fon prémier Miniftre d'Etat, & qu'il lui fut toûjours fidèle, fans avoir aucune autre Maî treffe, jufqu'à ce qu'il époufa la belle ELFRIDE.

XXXVII. DIS

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