la vogue. Plufieurs d'entr'eux ont pour Maxime, que toute Piéce de Théatre, qui eft longtems couruë, ne doit rien valoir, comme fi le But principal de la Poëfie n'étoit pas de plaire. Je laiffe à d'autres plus experts que moi à décider fi cette Règle eft bien ou mal-fondée. Mais, fi elle est jufte, j'ofe dire, qu'elle fert beaucoup à relever l'Honneur de ceux qui l'ont établie; puis qu'il n'y a guères de leurs Piéces qui aient été difgraciées jusques au point d'effuïer trois différentes Repréfentations, & qu'il y en a plufieurs de fi bien écrites, que la Ville n'a jamais voulu les entendre qu'une feule fois:

J'ai une véritable Eftime pour les bons Critiques, tels qu'ARISTOTE & LONGIN entre les Grecs, HORACE & QUINTILIEN entre les Romains, BorLEAU & DACIER entre les François. Mais, par malheur, quelques-uns de ceux qui s'érigent en Critiques de Profeffion parmi nous font fi ftupides qu'ils ne favent pas mettre dix mots enfemble avec élegance, ni s'énoncer en termes propres: &, avec tout cela, fi ignorans, qu'il n'ont aucune teinture des Langues favantes; c'eft-à-dire, que leur Critique des anciens Auteurs n'eft que de la feconde main. Ils en jugent par ce que d'autres en ont écrit, & non par aucune idée qu'ils aient prife des Auteurs mêmes. Les mots, Unité, Ac

G7

tion

tion, Sentiment, & Diction, emploïez avec un air d'Autorité, leur donnent du relief parmi les Ignorans, qui les croient fort habiles, parce qu'ils font inintelligibles. Les anciens Critiques des Auteurs les plus célébres de leur Tems s'épuifent à faire leur Eloge; & ils trouvent fouvent des raifons pour excufer les petites bévues & les inadvertences qui paroiffent dans leurs Ecrits. Il n'en eft pas de-même des prétendus Critiques de nos Jours: la plupart ne cherchent qu'à ravaler toutes les Productions qui font applaudies à y remarquer des fautes imaginaires, & à foutenir par des raifons tirées de loin, que les plus grandes beautez qu'on y obferve font au pié de la lettre de véritables taches. En un mot les Remarques de ces Critiques, com parées à celles des Anciens, font comme les Ouvrages des Sophiftes comparez à ceux des anciens Philofophes,

L'Envie & la Chicane font les Fruits naturels de la Pareffe & de Ignorance. De là vient peut-être auffi, que la Mythologie Païenne nous aprend, que MoMUS étoit le Fils de la Nuit & du Sommeil. Les Pareffeux, qui n'ont pas travaillé à fe perfectionner, ou à fe diftinguer par quelque bon endroit font très-difpofez à médire des autres, de-même que les Ignorans font fort fu jets à décrier les beautez d'un Ouvra, ge applaudi, qu'ils ne fauroient décou

vrir eux-mêmes. Plufieurs de nos Enfans de MoMUS, qui s'honnorent du nom de Critiques; defcendent en droi te ligne de ces deux vénérables Ancêtres. Ils tombent dans cette foule d'Abfurditez, dont ils inftruifent tous les jours le Peuple, parce qu'ils ne confidérent pas: 1. Qu'il y a quelquefois plus de Jugement à s'éloigner des Règles de l'Art, qu'à les fuivre; & 2. Qu'il y a plus de beauté dans les Ouvrages d'un grand Génie qui ne fait aucune de ces Règles, que dans ceux d'un petit Gé nie, qui les poffède à-fond, & qui les obferve fcrupuleusement.

I. En effet, nous voïons fouvent des Auteurs, qui n'ignorent aucune des Régles de l'Eloquence, & qui avec tout cela aiment mieux les négliger en certaines Occafions extraordinaires. Je pourrois en alléguer pour Exemples tous les Ecrivains tragiques de l'Antiquité, qui ont donné des preuves de lear habileté à cet égard, & qui ont négligé à-deffein une Régle établie du Théatre, lors que cette négligence leur a fourni le moien d'inférer dans leurs Piéces une plus grande beauté, que ne l'auroit på jamais être l'obfervation de la Règle. Ceux, qui ont exa miné les plus admirables Piéces d'Architecture & de Sculpture, anciennes & modernes, favent très-bien, que les plus habiles Maîtres s'y éloignent fou vent des Régles de l'Art; & que cela

me

même produit un plus bel Effet, qu'une Méthode plus exacte & plus réguliére. C'eft ce que les Italiens appellent Gufto grande dans ces Arts, & que nous appellons le Sublime dans l'Art Oratoire.

II. Nos Critiques ne paroiffent pas fentir, qu'il y a plus de Beauté dans les Ouvrages d'un grand Génie, qui ignore les Règles de l'Art, que dans ceux d'un petit Génie, qui les fait & qui les obferve à toute rigueur. C'eft de ces beaux Génies de fon Tems, & de ces petits Chicaneurs artificiels, dont TERENCE parle dans le Prologue de fon. Andriene, où il dit,,, qu'il aime beau,, coup mieux imiter l'heureufe Négli,,gence des uns, que l'Exactitude obfcure & embarrassée des autres:

رو

Quorum emulari exoptat Negligentiam,

Potiùs quàm iftorum obfcuram Diligentiam, vs. 20%

Un de nos Critiques peut fe confoler du mauvais fuccès de fa Piéce, de la même maniére qu'un Médecin fe confole, à ce que le Dr. SOUTH nous dit, de la Mort d'un de fes Patiens; c'eft qu'il l'avoit traité fuivant toutes les Règles de l'Art. Notre inimitable SHAKESPEAR eft un Ecueuil pour touté l'Engeance de ces Critiques fevéres. Qui n'aimeroit mieux lire une dé fes Pièces, où il viole toutes les Ré gles du Théatre, qu'aucune des Pro.

duc.

ductions d'un de nos Critiques moder--
nes, où il n'y a pas une feule de ces
Règles qui ne foit obfervée ? Il faut
avouër, que SN-AKESPEAR étoit né
avec toutes les Semences de la Poëfie
& qu'on peut le comparer à la Pierre en-
chaffée dans l'Anneau de PYRRHUS, qui,

ce que nous dit PLINE, repréfentoit la Figure d'APOLLON, avec les neuf Mufes, dans fes veines, que la Nature y avoit tracées d'elle-même, fans aucun fecours de l'Art.

XXVI. DISCOURS.

Quale per incertam Lunam fub Luce maligna
Eft Iter in Sylvis:

VIRG. Æneid. VI. 270.

C'est comme fi l'on marchoit dans les Bois, au foible Clair de la Lune couverte de Nuages.

MON

Mr.

Du Fruit

ON_Correfpondant Réveur d'OMBRE, m'a écrit une fecon- qu'on de Lettre, où il y a plufieurs Obferva- peut retions curieufes fur les Rêves en général, cueillir avec une Méthode pour rendre le Sommeil utile à l'Efprit. Je m'imagine, qu'un Extrait de fa Lettre ne déplaira pas à mes Lecteurs.

PUISQUE nous avons fi peu de Tems à perdre, il me femble qu'il faut le mettre tout à profit: & je ne

GES.