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Fût jeté en un sac en Seine1.
Mais où sont les neiges d'antan?

La reine Blanche comme un lis,
Qui chantait à voix de sirène,

Berthe aux grands pieds, Bietrix2, Alix,
Eremburges qui tint le Maine,

Et Jeanne, la bonne Lorraine,
Où sont-ils, Vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d'antan?

1. Le drame de la Tour de Nesle a rendu populaire ce trait d'histoire. — 2. Béatrix. — 3. Gouverna. - 4. Jeanne d'Arc.

MELLIN DE SAINT-GELAIS.

MELLIN DE SAINT-GELAIS, né en 1491, fils d'un poëte distingué lui-même, Octavien de Saint-Gelais, reçut une éducation soignée, et embrassa l'état ecclésiastique. Il cultiva de bonne heure la poésie et devint l'un des poëtes de la cour de François Ier. Marot, seul, était plus aimé que lui. Mellin de Saint-Gelais, très-versé dans la littérature italienne, a traduit quelques morceaux des poëtes italiens et pris quelques-uns de leurs défauts. Son naturel caustique (Ronsard a parlé de la Tenaille de Mellin) fit qu'il réussit particulièrement dans le genre des petits contes en vers et des épigrammes les exemples que nous citons sont, eu égard au temps, de vrais modèles en ce genre.

Mellin de Saint-Gelais mourut à Paris en 1558.

A un poëte vantard.

Tu te plains, ami, grandement,
Qu'en mes vers j'ai loué Clément',
Et que je n'ai rien dit de toi :
Comment veux-tu que je m'amuse
A louer ni toi, ni ta muse?

Tu le fais cent fois mieux que moi.

Folie2.

Notre vicaire, un jour de fête,
Chantait un Agnus gringotté3,
Tant qu'il pouvait, à pleine tête,
Pensant d'Annette être écouté.
Annette, de l'autre côté,

Pleurait, attentive à son chant;

4. Clément Marot. 2. On donnait alors nom de folies aux pièces que l'on appelle maintenant épigrammes; c'est Marot qui introduisit ce dernier mot dans notre langue. 3. Fleuri, orné de difficultés et de tours de

force.

Dont le vicaire, en s'approchant,
Lui dit : « Pourquoi pleurez-vous, belle?
« Ah! messire Jean, ce dit-elle,
Je pleure un âne qui m'est mort,
Qui avait la voix toute telle

Que vous, quand vous criez si fort. »

Épigramme.

Un charlatan disait, en plein marché,
Qu'il montrerait le diable à tout le monde :
Si n'y eut nul, tant fût-il empêché,
Qui ne courût pour voir l'esprit immonde.
Lors une bourse assez large et profonde
Il leur déploie, et leur dit : « Gens de bien,
Ouvrez vos yeux; voyez, y a-t-il rien? »

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3

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Non, dit quelqu'un des plus près regardants. « Eh! c'est, dit-il, le diable, oyez-vous bien? Ouvrir sa bourse, et ne rien voir dedans. »

Épigramme.

Chatelus donne à déjeuner

A six, pour moins d'un carolus;
Et Jaquelot donne à dîner
A plus, pour moins que Chatelus.
Après tels repas dissolus,
Chacun s'en va gai et fallot.
Qui me perdra chez unatelus,
Ne me cherche chez Jaquelot.

Folie.

Madelon s'en vient privément

Me voir, quand j'écris ou compose;

1. A cause de quoi.-2. Ainsi il n'y eut personne. 3 Entendez-vous

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Un maître ès arts mal chaussé, mal vêtu,
Chez un paysan demandait à repaître,
Disant qu'on doit honorer la vertu,

Et les sept arts dont il fut passé maître.
Comment sept arts! répond l'homme champêtre;
Je n'en sais nul, hormis mon labourage;
Mais je suis saoul* quand il me plaît de l'être,
Et si nourris ma femme et mon ménage.

1. Mais si je laisse sous ses yeux quelque chose de beau, comme un diamant ou un tableau 2. Si elle.-3. Je ne vis jamais. -4. Une

seule syllabe.

5. Et aussi je nourris.

MAROT.

MAROT (CLÉMENT), le plus célèbre poëte de l'ancienne poésie française, naquit en 1495 à Cahors. Sa vie fut assez agitée. Emprisonné plusieurs fois, comme protestant, obligé de fuir de son pays malgré la protection du roi, il alla mourir à Turin, presque dans l'indigence. Voici l'épitaphe que lui fit Jodelle en vers rapportés :

Querci, la cour, le Piémont, l'Univers,

Me fit, me tint, m'enterra, me connut.
Querci mon los', la cour tout mon temps eut;
Piémont, mes os; et l'univers mes vers.

Nos poëtes et nos critiques ont tous apprécié Marot, chacun selon son goût particulier: Boileau, La Fontaine, J. B. Rousseau, Chaulieu, Fénelon, Voltaire, La Harpe, Marmontel l'ont loué ou imité de temps en temps. Le petit nombre de pièces que nous lui empruntons suffira pour le faire connaître à nos lecteurs.

Marot est mort en 1544, n'ayant pas cinquante ans.

C'est un charmant poëte, très-fin, très-vif, et d'un langage exquis.

Clément Marot affectionnait le vers de dix syllabes.

Épître à son ami Lyon Jamet, pour l'engager à obtenir son élargissement.

Je ne t'écris de l'amour' vaine et folle :
Tu vois assez s'elle3 sert, ou affolle.
Je ne t'écris ni d'armes ni de guerre :

Tu vois, qui peut bien ou mal y acquerre*.
Je ne t'écris de fortune puissante :

Tu vois assez s'elle est ferme ou glissante.
Je ne t'écris d'abus trop abusant :

Tu en sais prou, et si n'en vas usant

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4. Ma louange, ma gloire. 2. Amour était alors du féminin.. 3. Si elle est utile ou nuisible. - 4. Y acquérir. 5. Tournure maniérée qui n'ajoute rien au sens et qui rappelle le style des troubadours. - 6. Tu en sais beaucoup, et pourtant tu n'en uses pas,

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