RACAN (HONORAT DE BUEIL, marquis de), naquit à la Roche-Racan en Touraine en 1589. C'est dans la maison du duc de Bellegarde qu'il rencontra pour la premiere fois Malherbe, qui devint son maître et son ami. Il lui demanda un jour quel état il devait embrasser pour se concilier l'approbation universelle: Malherbe lui récita le Meunier, son fils et l'âne, fable du Pogge, et Racan comprit qu'il était en effet impossible de prendre un parti qui plût à tout le monde. Il consacra donc ses loisirs au culte des muses, et mérita par ses Bergeries et quelques pièces de vers pleines de naturel et de simplicité, une place très-distinguée parmi les poëtes de son temps.
Racan, qui fut un des premiers membres de l'Académie française, mourut à la Roche-Racan, en 1670.
Douceurs de la vie champêtre.
Tircis, il faut songer à faire la retraite; La course de nos jours est plus qu'à demi faite; L'âge insensiblement nous conduit à la mort. Nous avons assez vu sur la mer de ce monde Errer au gré des vents notre nef vagabonde : Il est temps de jouir des délices du port.
Le bien de la fortune est un bien périssable; Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable; Plus on est élevé, plus on court de dangers; Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,
Et la rage des vents brise plutôt le faîte
Des maisons de nos rois, que les toits des bergers.
O bienheureux celui qui peut de sa mémoire Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs, Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune, A selon son pouvoir mesuré ses désirs.
Il laboure le champ que labourait son père; Il ne s'informe point de ce qu'on délibère Dans ces graves conseils d'affaires accablés; Il voit sans intérêt la mer grosse d'orages, Et n'observe des vents les sinistres présages Que pour le soin qu'il a du salut de ses blés.
Roi de ses passions, il a ce qu'il désire; Son fertile domaine est son petit empire;
Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau.
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces; Et sans porter envie à la pompe des princes,
Il est content chez lui de les voir en tableau.
Il voit de toutes parts combler d'heur sa famille, La javelle à plein poing tomber sous sa faucille, Le vendangeur plier sous le faix des paniers; Et semble qu'à l'envi les fertiles montagnes, Les humides vallons, et les grasses campagnes S'efforcent à remplir sa cave et ses greniers.
Il suit aucunes fois un cerf par les foulées, Dans ces vieilles forêts du peuple reculées, Et qui même du jour ignorent le flambeau; Aucunes fois des chiens il suit les voix confuses, Et voit enfin le lièvre, après toutes ses ruses Du lieu de sa retraite en 2 faire son tombeau.
Il soupire en repos l'ennui de sa vieillesse Dans ce même foyer où sa tendre jeunesse
4. Et il semble.-2. En; mais alors on usait volontiers de ces licences, qui ne répugnaient pas à la langue, encore capricieuse.
A vu dans le berceau ses bras emmaillottés; Il tient par les moissons registres des années, Et voit de temps en temps leurs courses enchaînées Faire avec lui vieillir les bois qu'il a plantés.
Il ne va point fouiller aux terres inconnues, A la merci des vents et des ondes chenues, Ce que nature avare a caché de trésors; Et ne recherche point, pour honorer sa vie, De plus illustre mort ni plus digne d'envie, Que de mourir au lit où ses pères sont morts.
S'il ne possède point ces maisons magnifiques, Ces tours, ces chapiteaux, ces superbes portiques Où la magnificence étale ses attraits,
Il jouit des beautés qu'ont les saisons nouvelles, Il voit de la verdure et des fleurs naturelles, Qu'en ces riches lambris on ne voit qu'en portraits.
Agréables déserts, séjour de l'innocence, Où, loin des vanités de la magnificence, Commence mon repos et finit mon tourment; Vallons, fleuves, rochers, aimable solitude, Si vous fûtes témoins de mon inquiétude, Soyez-le désormais de mon contentement.
A M. Maynard, président d'Aurillac.
Maintenant que du Capricorne Le temps mélancolique et morne Tient au feu le monde assiégé ', Noyons notre ennui dans le verre,
Sans hous tourmenter de la guerre Du tiers état et du clergé.
Je sais, Maynard, que les merveilles Qui naissent de tes longues veilles Vivront autant que l'univers ; Mais que te sert-il que ta gloire Se lise au temple de mémoire Quand tu seras mangé des vers ?
Quitte cette inutile peine; Buvons plutôt à longue haleine De ce nectar délicieux, Qui pour l'excellence précède Celui même que Ganymède Verse dans la coupe des dieux.
C'est lui qui fait que les années Nous durent moins que des journées ; C'est lui qui nous fait rajeunir, Et qui bannit de nos pensées Le regret des choses passées Et la crainte de l'avenir.
Buvons, Maynard, à pleine tasse : L'âge insensiblement se passe, Et nous mène à nos derniers jours: L'on a beau faire des prières, Les ans, non plus que les rivières, Jamais ne rebroussent leur cours.
Le printemps vêtu de verdure Chassera bientôt la froidure; La mer a son flux et reflux : Mais depuis que notre jeunesse Quitte la place à la vieillesse, Le temps ne la ramène plus.
MALLEVILLE (CLAUDE DE), né à Paris en 1597, d'une bonne famille, fut d'abord employé dans les finances. Son goût pour les lettres lui fit abandonner cet état. Présenté au maréchal de Bassompierre, il devint son secrétaire, et lui demeura fidèle quand le maréchal fut mis à la Bastille. Lorsque Bassompierre eut obtenu sa liberté, et fut réintégré dans son grade de colonel des Suisses, il donna à Malleville l'emploi de secrétaire qui y était attaché. Plus tard notre poëte se trouva en état d'acheter la charge de secrétaire de la grande chancellerie.
Les vers de Malleville se distinguent par leur coupe harmonieuse et l'heureux choix des mots. Les pensées ne sont pas toujours bien neuves; mais il est impossible d'amener une terminaison plus complète et mieux cadencée qu'il ne le fait dans ses petites pièces, et en particulier dans ses sonnets, que Boileau n'a pas oublié de louer. Malleville mourut en 1647, à l'âge de cinquante ans.
Cloris, qui des beautés fut l'unique modèle, Et le souverain bien des hommes et des dieux, Cloris, qui fut en terre un chef-d'œuvre des cieux, Vient de laisser ici sa dépouille mortelle.
Des roses de son teint la fraîcheur éternelle, La douceur de sa voix et celle de ses yeux, Pouvaient servir d'objet aux plus ambitieux, Et ranger à ses lois l'âme la plus rebelle.
O vous qui vous flattez de vos charmes divers, Quand vos perfections, qu'adore l'univers, De celles de Cloris égaleraient le nombre;
Cessez de vous fonder sur un si frêle appui; Elle fut un soleil, elle n'est plus qu'une ombre, Et vous serez demain ce qu'elle est aujourd'hui.
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