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Quiconque approche d'elle a part à son martyre,
Et par contagion prend sa triste couleur :
Car, pour la consoler, que lui saurait-in dire
En si juste douleur?

Reviens la voir, grande âme : ôte-lui cette nue,
Dont la sombre épaisseur aveugle sa raison;
Et fais, du même lieu, d'où sa peine est venue,
Venir sa guérison.

Quelque soir dans sa chambre apparais devant elle,
Non le sang en la bouche et le visage blanc,
Comme tu demeuras sous l'atteinte mortelle
Qui te perça le flanc.

Viens-y tel que tu fus, quand aux monts de Savoie
Hymen en robe d'or te la vint amener,
Ou tel qu'à Saint-Denis, entre nos cris de joie,
Tu la fis couronner.

Après cet essai fait, s'il demeure inutile,
Je ne connais plus rien qui la puisse toucher:
Et sans doute la France aura, comme Sipyle,
Quelque fameux rocher1.

Pour moi, dont la faiblesse à l'orage succombe,
Quant mon heur abattu pourrait se redresser,
J'ai mis avecque toi mes desseins en la tombe;
Je les y veux laisser.

Quoi que pour m'obliger fasse la destinée,
Et quelque heureux succès qui me puisse arriver,
Je n'attends mon repos qu'en l'heureuse journée
Où je t'irai trouver.

4. Allusion à la fable de Niobé, mère de Sipyle, qui fut changée en rocher après la mort de ses enfants.

Consolation à Du Perrier.

Ta douleur, Du Perrier, sera donc éternelle!
Et les tristes discours

Que te met en l'esprit l'amitié paternelle,
L'augmenteront toujours!

Le malheur de ta fille au tombeau descendue,
Par un commun trépas,

Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance était pleine;
Et n'ai pas entrepris,

Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.

Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin :

Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.

Pris, quand ainsi serait que, selon ta prière,
Elle aurait obtenu

D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Q'en fût-il advenu?

Penses-tu que plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil?

Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste,
Et les vers du cercueil?

Non, non, mon Du Perrier; aussitôt que la Parque Ote l'âme du corps,

L'âge s'évanouit au deçà de la barque,

Et ne suit point les morts.

Ne te lasse donc plus d'inutiles complaintes;

Mais sage,

à l'avenir,

Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes Éteins le souvenir.

C'est bien, je le confesse, une juste coutume
Que le cœur affligé,

Par le canal des yeux vidant son amertume,
Cherche d'être allégé :

Mais d'être inconsolable, et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,

N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui?

Priam, qui vit ses fils abattus par Achille,
Dénué de support,

Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
Reçut du réconfort.

François, quand la Castille, inégale à ses armes,
Lui vola son dauphin',

Sembla d'un si grand coup devoir jeter des larmes
Qui n'eussent point de fin.

Il les sécha pourtant; et, comme un autre Alcide,
Contre fortune instruit,

Fit qu'à ses ennemis, d'un acte si perfide
La honte fût le fruit.

Leur camp, qui la Durance avait presque tarie
De bataillons épais,

Entendant sa constance, eut peur de sa furie,
Et demanda la paix.

1. François, fils atné de François Ier, étant mort en 1536, on répandit le bruit qu'il avait été empoisonné par les ordres de Charles-Quint. Malherbe admet ce bruit populaire. -2. Leur armée.

De moi, déjà deux fois d'une pareille foudre
Je me suis vu perclus;

Et deux fois la raison m'a si bien fait résoudre,
Qu'il ne m'en souvient plus.

Non qu'il ne me soit grief1 que la terre possède
Ce qui me fut si cher;

Mais en un accident qui n'a point de remède,
Il n'en faut point chercher.

La mort a des rigueurs a nulle autre pareilles;
On a beau la prier,

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois;

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre.
N'en défend point nos rois.

De murmurer contre elle, et perdre patience,
Il est mal à propos :

Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science
Qui nous met en repos.

Fin des guerres civiles annoncée : vœux pour
Henri IV'.

La rigueur de ses lois, après tant de licence,
Redonnera le cœur à la faible innocence,
Que dedans la misère on faisait envieillir.
A ceux qui l'oppressaient il ôtera l'audace;

1. Ce mot ne fait qu'une syllabe, ce qui rend le vers extrêmement dur. Grief veut dire pénible, lourd. 2. Extrait de la pièce ayant pour titre Prière pour le roi Henri le Grand qui allait en Limousin. Elle est de 1605.

Et sans distinction de richesse ou de race,
Tous, de peur de la peine, auront peur de faillir.

La terreur de son nom rendra nos villes fortes :
On n'en gardera plus ni les murs ni les portes;
Les veilles cesseront au sommet de nos tours.
Le fer, mieux employé, cultivera la terre;

Et le peuple qui tremble aux frayeurs de la guerre,
Si ce n'est pour danser; n'orra1 plus de tambours.

Loin des mœurs de son siècle il bannira les vices,
L'oisive nonchalance et les molles délices
Qui nous avaient portés jusqu'aux derniers hasards.
Les vertus reviendront de palmes couronnées,
Et ses justes faveurs, aux mérites données,
Feront ressusciter l'excellence des arts".

La foi de ses aïeux, ton amour et ta crainte3,
Dont il porte dans l'âme une éternelle empreinte,
D'actes de piété ne pourront l'assouvir ".
Il étendra ta gloire autant que sa puissance;
Et n'ayant rien si cher que ton obéissance,
Où tu le fais régner, il te fera servir.

Tu nous rendras alors nos douces destinées :
Nous ne reverrons plus ces fâcheuses années,
Qui pour les plus heureux n'ont produit que des pleurs.
Toute sorte de biens comblera nos familles;

La moisson de nos champs lassera nos faucilles,
Et les fruits passeront la promesse des fleurs".

4. N'entendra.-2. Cette strophe n'est pas moins belle que la précédente, et pour le sens et pour tout: peut-être même est-elle plus partaite comme poésie. La belle image que celle du quatrième vers! Il n'y a rien dans notre langue d'un style supérieur à celui de ces trois derniers vers-là. (Commentaire d'André Chénier.) 3. (0 grand Dieu!)-4. Le rassasier. Un grand nombre de mots noblement employés par Malherbe ne pourraient plus être d'usage. -5. Autre strophe pure, harmonieuse, animée, pleine de grace et de

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