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GILBERT.

GILBERT (NICOLAS-JOSEPH-LAURENT) naquit en 1751. Il s'essaya d'abord, mais sans succès, dans l'héroïde, genre que Colardeau avait mis en faveur. Avide de célébrité, il crut que les concours académiques offraient à son ambition la voie la plus sûre et la plus prompte, et il s'y engagea avec confiance, quoiqu'il eût pour concurrents des écrivains auxquels les prix semblaient être dévolus d'avance. Deux échecs le rebutèrent; et son âme déjà aigrie par le malheur médita une éclatante vengeance. Il s'arma du fouet de la satire, et dans deux ouvrages remarquables, le Dix-huitième siècle et Mon apologie, il flagella de son vers énergique tous les écrivains qui lui semblaient être injustement en possession de la renommée. Le succès de ces deux satires fut immense; mais elles excitèrent contre le poëte des inimitiés violentes et des haines implacables. Fréron et Clément défendirent seuls Gilbert, auquel M. de Beaumont, archevêque de Paris, accorda vainement quelque protection. Les souffrances de toute espèce avaient épuisé les forces du malheu reux poëte, qui mourut à l'Hôtel-Dieu, dans un accès de fièvre cérébrale, le 12 novembre 1780, à l'âge de vingt-neuf ans.

La franchise dans la critique littéraire.

Quoi donc ! un écrivain veut que son nom partage
Le tribut de louange offert à son ouvrage,

Et m'impute à forfait, s'il blesse la raison,
De la venger d'un vers égayé de son nom!
Comptable de l'ennui dont sa muse m'assomme,
Pourquoi s'est-il nommé, s'il ne veut qu'on le nomme?
Je prétends soulever les lecteurs détrompés

Contre un auteur bouffi de succès usurpés ;
Sous une périphrase étouffant ma franchise,
Au lieu de d'Alembert, faut-il donc que je dise:
« C'est ce joli pédant, géomètre orateur,
De l'Encyclopédie ange conservateur,

Dans l'histoire chargé d'inhumer ses confrères,
Grand homme, car il fait leurs extraits mortuaires? >>

Si j'évoque jamais, du fond de son journal,
Des sophistes du temps l'adulateur banal;
Lorsque son nom suffit pour exciter le rire,
Dois-je, au lieu de La Harpe, obscurément écrire :
« C'est un petit rimeur, de tant de prix enflé,
Qui, sifflé pour ses vers, pour sa prose sifflé,
Tout meurtri des faux pas de sa muse tragique,
Tomba de chute en chute au trône académique? »
Ces détours sont d'un lâche et malin détracteur;
Je ne veux point offrir d'énigmes aux lecteurs.
Sitôt que l'auteur signe un écrit qu'il proclame,
Son nom doit partager et l'éloge et le blâme;
C'est un garant public du plaisir qu'il me vend.
(Mon apologie.)

Derniers moments d'un jeune poëte.

J'ai révélé mon cœur au dieu de l'innocence;
Il a vu mes pleurs pénitents,

Il guérit mes remords, il m'arme de constance :
Les malheureux sont ses enfants.

Mes ennemis riant ont dit dans leur colère :

>>

« Qu'il meure, et sa gloire avec lui; Mais à mon cœur calmé le Seigneur dit en père : « Leur haine sera ton appui.

« J'éveillerai pour toi la pitié, la justice
De l'incorruptible avenir;
Eux-même épureront par leur long artifice
Ton honneur qu'ils pensent ternir. »

Soyez béni, mon Dieu! vous qui daignez me rendre
L'innocence et son noble orgueil;

Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil !

Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour, et je meurs :

Je meurs, et sur la tombe où lentement j'arrive
Nul ne viendra verser des pleurs.

Salut, champs que j'aimais! et vous, douce verdure:
Et vous, riant exil des bois!

Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,
Salut pour la dernière fois!

Ah! puissent voir longtemps votre beauté sacrée
Tant d'amis sourds à mes adieux !

Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée, Qu'un ami leur ferme les yeux !

(Poésies diverses.)

PARNY.

PARNY (ÉVARISte-Désiré DesfoRGES, chevalier de), naquit à l'île Bourbon, en 1753. Ce poëte sut, à une époque où le mauvais goût dominait, rester constamment pur, élégant et naturel. Jamais dans ses vers la recherche et l'affectation n'altèrent la naïveté ou la grâce du sentiment. Ses Poésies élégiaques sont des chefs-d'œuvre de style, et ses petits poëmes des Tableaux et des Fleurs brillent particulièment de ces couleurs douces et suaves dont il a embelli toutes ses compositions.

Parny mourut à Paris, le 5 décembre 1814.

Le Printemps et les fleurs.

Printemps chéri, doux matin de l'année,
Console-nous de l'ennui des hivers;
Reviens enfin, et Flore emprisonnée
Va de nouveau s'élever dans les airs.
Qu'avec plaisir je compte tes richesses!
Que ta présence a de charmes pour moi!
Puissent mes vers, aimables comme toi,
En les chantant, te payer tes largesses!
Déjà Zéphire annonce ton retour.
De ce retour modeste avant-courrière,
Sur le gazon la tendre primevère

S'ouvre et jaunit dès le premier beau jour.

A ses côtés la blanche pâquerette

Fleurit sous l'herbe et craint de s'élever.

Vous vous cachez, timide violette,

Mais c'est en vain; le doigt sait vous trouver:
Il vous arrache à l'obscure retraite
Qui recélait vos appas inconnus:
Et, destinée aux boudoirs de Cythère,
Vous renaissez sur un trône de verre,

Ou vous mourez sur le sein de Vénus.
L'Inde autrefois nous donna l'anémone,
De nos jardins ornement printanier.
Que tous les ans, au retour de l'automne,
Un sol nouveau remplace le premier:
Et tous les ans la fleur reconnaissante
Reparaîtra plus belle et plus brillante.
Elle naquit des larmes que jadis
Sur un amant Vénus a répandues:
Larmes d'amour, vous n'êtes point perdues;
Dans cette fleur je revois Adonis.

Dans la jacinthe, un bel enfant respire;
J'y reconnais le fils de Piérus.

Il cherche encor les regards de Phébus;
Il craint encor le souffle de Zéphire.
Des feux du jour évitant la chaleur,
Ici fleurit l'infortuné Narcisse;
Il a toujours conservé la pâleur
Que sur ses traits répandit la douleur.
Il aime l'ombre, à ses ennuis propice;
Mais il craint l'eau, qui causa son malheur.
N'oublions pas la charmante cortule;
Nommons aussi l'aimable renoncule,
Et la tulipe, honneur de nos jardins.
Si leurs parfums répondaient à leurs charmes,
La rose alors, prévoyant nos dédains,
Pour son empire aurait quelques alarmes.

(Poésies diverses.)

La chasse du taureau sauvage

Le cor lointain a retenti trois fois,
Et le taureau mugit au fond des bois.
De la forêt usurpateur sauvage,
Il vous attend, volez, adroits guerriers:
Là, des combats vous trouverez l'image,

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