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Et les thyrses guidaient sa marche triomphante.
La Gaule à ton nectar dut sa gaieté brillante.
Le charme des festins est le sel des bons mots,
L'art d'écarter les soins et d'oublier les maux.

Mais déjà vers la vigne un grand peuple s'avance;
Il s'y déploie en ordre, et le travail commence ;
Le vieillard que conduit l'espoir du vin nouveau,
Arrivé plein de joie au penchant du coteau,
Y voit l'heureux Lindor et Lisette charmée
Trancher au même cep la grappe parfumée;
Ils chantent leurs amours et le dieu des raisins.
Une troupe à leur voix répond des monts voisins :
Plus loin le tambourin, le fifre et la trompette
Font entendre des airs que le vallon répète.
Cependant les chansons, les cris du vendangeur,
Fixent sur le coteau les regards du chasseur.
Mais le travail s'avance, et les grappes vermeilles
S'élevant en monceau dans de vastes corbeilles,
Colin, le corps penché sur ses genoux tremblants,
De la vigne au cellier les transporte à pas lents:
Une foule d'enfants autour de lui s'empresse,
Et l'annonce de loin par des cris d'allégresse.
Tandis que le raisin sous la poutre est placé,
Qu'un jus brillant et pur dans la cuve est lancé,
Que d'avides buveurs y plongent la fougère1,
Où monte en pétillant une mousse légère,
Sur les monts du couchant tombe l'astre du jour.
Le peuple se rassemble, il hâte son retour;
Il arrive, ô Bacchus, en chantant tes louanges.
Il danse autour du char qui porte les vendanges;
Ce char est couronné de fleurs et de rameaux;
Et la grappe en festons pend au front des taureaux.
Le plaisir turbulent, la joie immodérée,

Des heureux vendangeurs terminent la journée.
(Les Saisons.)

4. Le verre.

L'orage.

On voit à l'horizon de deux points opposés
Des nuages monter dans les airs embrasés.
On les voit s'épaissir, s'élever et s'étendre;
D'un tonnerre éloigné le bruit s'est fait entendre:
Les flots en ont frémi, l'air en est ébranlé,
Et le long du vallon le feuillage a tremblé.
Les monts ont prolongé le lugubre murmure,
Dont le son lent et sourd attriste la nature.
Il succède à ce bruit un calme plein d'horreur,
Et la terre en silence attend dans la terreur.
Des monts et des rochers le vaste amphithéâtre
Disparaît tout à coup sous un voile grisâtre :
Le nuage élargi les couvre de ses flancs;
Il pèse sur les airs tranquilles et brûlants.

Mais des traits enflammés ont sillonné la nue,
Et la foudre, en grondant, roule dans l'étendue;
Elle redouble, vole, éclate dans les airs;
La nuit est plus profonde, et de vastes éclairs
En font sortir sans cesse un jour pâle et livide.
Du couchant ténébreux s'élance un vent rapide,
Qui tourne sur la plaine, et, rasant les sillons,
Enlève un sable noir qu'il roule en tourbillons.
Ce nuage nouveau, ce torrent de poussière,
Dérobe à la campagne un reste de lumière.
La peur, l'airain sonnant, dans les temples sacrés
Font entrer à grands flots les peuples égarés.
Grand Dieu! vois à tes pieds leur foule consternée
Te demander le prix des travaux de l'année.

Hélas! d'un ciel en feu les globules glacés Écrasent en tombant les épis renversés. Le tonnerre et les vents déchirent les nuages; Le fermier de ses champs contemple les ravages, Et presse dans ses bras ses enfants effrayés.

La foudre éclate, tombe; et des monts foudroyés
Descendent à grand bruit les graviers et les ondes,
Qui courent en torrents sur les plaines fécondes.
O récolte! ô moissons! tout périt sans retour:
L'ouvrage de l'année est détruit dans un jour.
(Les Saisons.)

LEBRUN.

LEBRUN (PONCE-DENIS ÉCOUCHARD) naquit à Paris en 1729. Ses dispositions poétiques se révélèrent de très-bonne heure, et ses premières odes furent accueillies du public avec une faveur marquée. Le prince de Conti se l'attacha en qualité de secrétaire de ses commandements; mais ce qui fut plus heureux pour Lebrun, c'est l'intérêt qu'il inspira à Louis Racine, qui ne lui épargna ni les avis ni les encouragements. A vingt-six ans il s'était déjà placé au premier rang parmi nos poëtes lyriques. Des malheurs domestiques le forcèrent d'abandonner le poëme de la Nature et celui des Veillées du Parnasse auxquels il travaillait depuis longtemps. Lebrun a excellé dans les épigrammes; il en a fait une quantité prodigieuse dont la plupart méritent d'être retenues. Il était entré un des premiers à l'Institut, lors de sa formation, et mourut à Paris le 2 septembre 1807, après avoir successivement chanté l'ancienne monarchie, la république et l'empire.

Le vaisseau le Vengeur'.

Au sommet glacé du Rhodope,
Qu'il soumit tant de fois à ses accords touchants,
Par de timides sons le fils de Calliope

Ne préludait point à ses chants.

Plein d'une audace pindarique,

Il faut que, des hauteurs du sublime Hélicon,
Le premier trait que lance un poëte lyrique,
Soit une flèche d'Apollon.

L'Etna, géant incendiaire,

Qui d'un front embrasé fend la voûte des airs,
Dédaigne ces volcans dont la froide colère

S'épuise en stériles éclairs.

1. On sait que l'équipage du vaisseau le Vengeur, plutôt que de se rendre aux Anglais, se laissa engloutir dans la mer au cri de Vive la république!

A peine sa fureur commence,

C'est un vaste incendie et des fleuves brûlants;

Qu'il est beau de courroux lorsque sa bouche immense Vomit leurs flots étincelants!

Tel éclate un libre génie,

Quand il lance aux tyrans les foudres de sa voix;
Telle, à flots indomptés, sa brûlante harmonie
Entraîne les sceptres des rois.

Toi que je chante et que j'adore,

Dirige, ô Liberté ! mon vaisseau dans son cours;
Moins de vents orageux tourmentent le Bosphore
Que la mer terrible où je cours.

Argo, la nef à voix humaine,

Qui mérita l'Olympe et luit au front des cieux,
Quel que fût le succès de sa course lointaine,
Prit un vol moins audacieux.

Vainqueur d'Éole et des Pléiades,

Je sens d'un souffle heureux mon navire emporté :
Il échappe aux écueils des trompeuses Cyclades,
Et vogue à l'immortalité.

Mais des flots fût-il la victime,
Ainsi que le Vengeur il est beau de périr:

Il est beau, quand le sort vous plonge dans l'abîme, De paraître le conquérir.

Trahi par le sort infidèle,

Comme un lion pressé de nombreux léopards,
Seul au milieu de tous sa fureur étincelle :

Il les combat de toutes parts.

L'airain lui déclare la guerre :

Le fer, l'onde, la flamme entourent ces héros;

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