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Etincellent pourtant de sublimes beautés :
Soit que, sur un écrit arrivé de Caprée,
Il brise de Séjan la statue adorée;

Soit qu'il fasse au conseil courir les sénateurs,
D'un tyran soupçonneux pâles adulateurs ;
Ou que, poussant à bout la luxure latine,
Aux portefaix de Rome il vende Messaline;
Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux.
De ces maîtres savants disciple ingénieux,

Régnier, seul parmi nous, formé sur leurs modèles,
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles :
Heureux si ses discours, craints du chaste lecteur;
Ne se sentaient des lieux où fréquentait l'auteur,
Et si, du son hardi de ses rimes cyniques,
Il n'alarmait souvent les oreilles pudiques!
Le latin dans les mots brave l'honnêteté ;
Mais le lecteur français veut être respecté :
Du moindre sens impur la liberté l'outrage,
Si la pudeur des mots n'en adoucit l'image.
Je veux dans la satire un esprit de candeur,
Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.

(Art poétique.)

Stances à Molière sur la comédie de l'École des Femmes.

En vain mille jaloux esprits,

Molière, osent avec mépris

Censurer ton plus bel ouvrage :

Sa charmante naïveté

S'en va pour jamais, d'âge en âge,
Divertir la postérité.

Que tu ris agréablement !
Que tu badines savamment?
Celui qui sut vaincre Numance,
Qui mit Carthage sous sa loi,

Jadis, sous le nom de Térence,
Sut-il mieux badiner que toi?

Ta muse avec utilité
Dit plaisamment la vérité;
Chacun profite à ton école :
Tout en est beau, tout en est ben;
Et ta plus burlesque parole
Est souvent un docte sermon.

Laisse gronder tes envieux :
Ils ont beau crier en tous lieux
Qu'en vain tu charmes le vulgaire,
Que tes vers n'ont rien de plaisant.
Si tu savais un peu moins plaire,
Tu ne leur déplairais pas tant.

(Poésies diverses.)

J. RACINE,

RACINE (JEAN) naquit à la Ferté- Milon le 21 décembre 1639. Il fit une partie de ses études à Port-Royal; et le savant Lancelot, professeur de grec, l'initia à toutes les beautés de la plus riche des littératures anciennes. C'est Molière qui lui fournit le sujet de sa première tragédie, les Frères ennemis, ou la Thébaïde, représentée en 1664; l'année suivante, il donna Alexandre, et en 1667, Andromaque, à laquelle succédèrent des chefs-d'œuvre qui resteront l'objet de l'admiration de tous les hommes de goût. Racine, dégoûté du théâtre, le quitta à l'âge de trente-huit ans, et ne sortit de son repos que douze ans après, à la prière de Mme de Maintenon qui lui avait demandé des pièces pour les faire jouer aux élèves de Saint-Cyr. Il lui donna d'abord Esther, qui fut jouée par ces jeunes filles, aux applaudissements de toute la cour, et ensuite Athalie, regardée comme le chef-d'œuvre de l'auteur, qui n'eut d'abord aucun succès. Boileau fut le seul qui en reconnut tout le mérite, et qui annonça à son ami que le public y reviendrait. Mais Racine n'eut pas le bonheur de voir cette prédiction s'accomplir: il mourut en 1699, âgé seulement de soixante ans, et désespéré d'avoir perdu les bonnes grâces de Louis XIV.

Racine avait eu l'esprit caustique dans sa jeunesse; il écrivait aussi élégamment et plus naturellement même en prose qu'en vers.

Mithridate vaincu déclare à ses fils son projet de marcher sur Rome.

Approchez, mes enfants: Enfin l'heure est venue
Qu'il faut que mon secret éclate à votre vue.
A mes nobles projets je vois tout conspirer;
Il ne me reste plus qu'à vous les déclarer.
Je fuis: ainsi le veut la fortune ennemie;
Mais vous savez trop bien l'histoire de ma vie,
Pour croire que longtemps, soigneux de me cacher,
J'attende en ces déserts qu'on me vienne chercher.
La guerre a ses faveurs ainsi que ses disgrâces.
Déjà plus d'une fois retournant sur mes traces.

Tandis que l'ennemi, par ma fuite trompé,
Tenait après son char un vain peuple occupé;
Et, gravant en airain ses frêles avantages,
De mes États conquis enchaînait les images,
Le Bosphore m'a vu, par de nouveaux apprêts,
Ramener la terreur au fond de ses marais;
Et, chassant les Romains de l'Asie étonnée,
Renverser en un jour l'ouvrage d'une année.
D'autres temps, d'autres soins. L'Orient accablé
Ne peut plus soutenir leur effort redoublé.

Il voit plus que jamais ses campagnes couvertes
De Romains que la guerre enrichit de nos pertes.
Des biens des nations ravisseurs altérés,

Le bruit de nos trésors les a tous attirés :

Ils y courent en foule, et, jaloux l'un de l'autre,
Désertent leur pays pour inonder le nôtre.
Moi seul je leur résiste. Ou lassés, ou soumis,
Ma funeste amitié pèse à tous mes amis.
Chacun à ce fardeau veut dérober sa tête,
Le grand nom de Pompée assure sa conquête :
C'est l'effroi de l'Asie, et loin de l'y chercher,
C'est à Rome, mes fils, que je prétends marcher.
Ce dessein vous surprend, et vous croyez peut-être
Que le seul désespoir aujourd'hui le fait naître.
J'excuse votre erreur; et, pour être approuvés,
De semblables projets veulent être achevés.
Ne vous figurez point que de cette contrée
Par d'éternels remparts Rome soit séparée;
Je sais tous les chemins par où je dois passer;
Et si la mort bientôt ne me vient traverser,
Sans reculer plus loin l'effet de ma parole,

Je vous rends dans trois mois au pied du Capitole.
Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deux jours
Aux lieux où le Danube y vient finir son cours;
Que du Scythe avec moi l'alliance jurée
De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée ?

Recueilli dans leurs ports, accru de leurs soldats,
Nous verrons notre camp grossir à chaque pas :
Daces, Pannoniens, la fière Germanie,

Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie.
Vous avez vu l'Espagne, et surtout les Gaulois,
Contre ces mêmes murs qu'ils ont pris autrefois
Exciter ma vengeance, et, jusque dans la Grèce,
Par des ambassadeurs accuser ma paresse;
Ils savent que, sur eux prêt à se déborder,
Ce torrent, s'il m'entraîne, ira tout inonder;
Et vous les verrez tous, prévenant son ravage,
Guider dans l'Italie et suivre mon passage.

C'est là qu'en arrivant, plus qu'en tout le chemin,
Vous trouverez partout l'horreur du nom romain,
Et la triste Italie encor toute fumante

Des feux qu'a rallumés sa liberté mourante.
Non, princes, ce n'est point au bout de l'univers
Que Rome fait sentir tout le poids de ses fers;
Et, de près inspirant les haines les plus fortes,
Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes.
Ah! s'ils ont pu choisir pour leur libérateur
Spartacus, un esclave, un vil gladiateur:

S'ils suivent au combat des brigands qui les vengent,
De quelle noble ardeur pensez-vous qu'ils se rangent
Sous les drapeaux d'un roi longtemps victorieux,
Qui voit jusqu'à Cyrus remonter ses aïeux?
Que dis-je? en quel état croyez-vous la surprendre?
Vide de légions qui la puissent défendre!
Tandis que tout s'occupe à me persécuter,
Leurs femmes, leurs enfants pourront-ils m'arrêter?
Marchons, et dans son sein rejetons cette guerre
Que sa fureur envoie aux deux bouts de la terre.
Attaquons dans leurs murs ces conquérants si fiers;
Qu'ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers.
Annibal l'a prédit, croyons-en ce grand homme :
Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome.

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