Page images
PDF
EPUB

N'entendrai-je qu'auteurs se plaindre et murmurer ?
Jusqu'à quand vos fureurs doivent-elles durer?
Répondez, mon esprit; ce n'est plus raillerie :
Dites.... Mais, direz-vous, pourquoi cette furie?
Quoi! pour un maigre auteur que je glose en passant,
Est-ce un crime, après tout, et si noir et si grand?
Et qui, voyant un fat s'applaudir d'un ouvrage
Où la droite raison trébuche à chaque page,
Ne s'écrie aussitôt : L'impertinent auteur!
L'ennuyeux écrivain! le maudit traducteur !

A quoi bon mettre au jour tous ces discours frivoles,
Et ces riens enfermés dans de grandes paroles?
Est-ce donc là médire ou parler franchement?
Non, non, la médisance y va plus doucement,
Si l'on vient à chercher pour quel secret mystère
Alidor, à ses frais, bâtit un monastère :

« Alidor? dit un fourbe, il est de mes amis,
Je l'ai connu laquais, avant qu'il fût commis;
C'est un homme d'honneur, de piété profonde,
Et qui veut rendre à Dieu ce qu'il a pris au monde. »
Voilà jouer d'adresse et médire avec art;

Et c'est avec respect enfoncer le poignard.
Un esprit né sans fard, sans basse complaisance,
Fuit ce ton radouci que prend la médisance;
Mais de blâmer des vers ou durs ou languissants,
De choquer un auteur qui choque le bon sens,
De railler d'un plaisant qui ne sait pas nous plaire
C'est ce que tout lecteur eut toujours droit de faire.
Tous les jours, à la cour, un sot de qualité
Peut juger de travers avec impunité;
Et je serai le seul qui ne pourrai rien dire!
On sera ridicule, et je n'oserai rire!

Et qu'ont produit mes vers de si pernicieux,
Pour armer contre moi tant d'auteurs furieux?
Loin de les décrier, je les ai fait paraître :

Et souvent, sans ces vers qui les ont fait connaître,

Leur talent dans l'oubli demeurerait caché;
Et qui saurait sans moi que Cotin a prêché?
La satire ne sert qu'à rendre un fat illustre;
C'est une ombre au tableau qui lui donne du lustre.
En le blâmant enfin, j'ai dit ce que j'en croi;
Et tel qui m'en reprend, en pense autant que moi.
Il a tort, dira l'un; pourquoi faut-il qu'il nomme?
Attaquer Chapelain! ah! c'est un si bon homme!
Balzac en fait l'éloge en cent endroits divers.

Il est vrai, s'il m'eût cru, qu'il n'eût point fait de vers.
Il se tue à rimer que n'écrit-il en prose?

Voilà ce que l'on dit. Et que dis-je autre chose?
En blâmant ses écrits, ai-je, d'un style affreux,
Distillé sur sa vie un venin dangereux?
Ma muse, en l'attaquant, charitable et discrète,
Sait de l'homme d'honneur distinguer le poëte.
Qu'on vante en lui la foi, l'honneur, la probité;
Qu'on prise sa candeur et sa civilité;
Qu'il soit doux, complaisant, officieux, sincère :
On le veut, j'y souscris, et suis prêt à me taire.
Mais que pour un modèle on montre ses écrits;
Qu'il soit le mieux renté de tous les beaux esprits;
Comme roi des auteurs qu'on l'élève à l'empire,
Ma bile alors s'échauffe, et je brûle d'écrire;
Et, s'il ne m'est permis de le dire au papier,
J'irai creuser la terre, et, comme ce barbier,
Faire dire aux roseaux, par un nouvel organe :
Midas, le roi Midas a des oreilles d'âne.

་་

[ocr errors]

Quel tort lui fais-je enfin? Ai-je par un écrit
Pétrifié sa veine et glacé son esprit ?
Quand un livre au Palais se vend et se débite,
Que chacun par ses yeux juge de son mérite,
Que Bilaine l'étale au deuxième pilier,
Le dégoût d'un censeur peut-il le décrier?
En vain contre le Cid un ministre se ligue :
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue.

L'Académie en corps a beau le censurer:
Le public révolté s'obstine à l'admirer.

La satire, dit-on, est un métier funeste,
Qui plaît à quelques gens, et choque tout le reste.
La suite en est à craindre: en ce hardi métier
La peur plus d'une fois fit repentir Régnier.
Quittez ces vains plaisirs dont l'appât vous abuse:
A de plus doux emplois occupez votre muse;
Et laissez à Feuillet réformer l'univers.

Et sur quoi donc faut-il que s'exercent mes vers?
Irai-je dans une ode, en phrases de Malherbe,
Troubler dans ses roseaux le Danube superbe ;
Délivrer de Sion le peuple gémissant;
Faire trembler Memphis ou pâlir le croissant;
Et, passant du Jourdain les ondes alarmées,
Cueillir, mal à propos, les palmes idumées ?
Viendrai-je, en une églogue, entouré de troupeaux,
Au milieu de Paris enfler mes chalumeaux?
La satire, en leçons, en nouveautés fertile,
Sait seule assaisonner le plaisant et l'utile,
Et, d'un vers qu'elle épure aux rayons du bon sens,
Détromper les esprits des erreurs de leur temps.
Elle seule, bravant l'orgueil et l'injustice,
Va jusque sous le dais faire pâlir le vice;

Et souvent sans rien craindre, à l'aide d'un bon mot,
Va venger la raison des attentats d'un sot.
C'est ainsi que Lucile, appuyé de Lélie,
Fit justice, en son temps, des Cotins d'Italie,
Et qu'Horace, jetant le sel à pleines mains,
Se jouait aux dépens des Pelletiers romains.
C'est elle qui, m'ouvrant le chemin qu'il faut suivre,
M'inspira, dès quinze ans, la haine d'un sot livre ;
Et sur ce mont fameux, où j'osais la chercher,
Fortifia mes pas et m'apprit à marcher.

C'est

pour elle, en un mot, que j'ai fait vœu d'écrire.

Toutefois, s'il le faut, je veux bien m'en dédire,
Et, pour calmer enfin tous ces flots d'ennemis,
Réparer en mes vers les maux qu'ils ont commis.
Puisque vous le voulez, je vais changer de style.
Je le déclare donc : Quinault est un Virgile;
Pradon comme un soleil en nos ans a paru;
Pelletier écrit mieux qu'Ablancourt ni Patru;
Cotin, à ses sermons traînant toute la terre,
Fend les flots d'auditeurs pour aller à sa chaire;
Sofal est le phénix des esprits relevés;

Perrin.... Bon, mon esprit, courage! poursuivez.
Mais ne voyez-vous pas que leur troupe en furie
Va prendre encor ces vers pour une raillerie?
Et Dieu sait aussitôt que d'auteurs en courroux,
Que de rimeurs blessés s'en vont fondre sur vous!
Vous les verrez bientôt, féconds en impostures,
Amasser contre vous des volumes d'injures,
Traiter, en vos écrits, chaque vers d'attentat,
Et d'un mot innocent faire un crime d'État.
Vous aurez beau vanter le roi dans vos ouvrages,
Et de ce nom sacré sanctifier vos pages:
Qui méprise Cotin n'estime point son roi,
Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi.

La chicane.

(Satires.)

Entre ces vieux appuis dont l'affreuse grand'salle
Soutient l'énorme poids de sa voûte infernale,
Est un pilier fameux des plaideurs respecté,
Et toujours des Normands à midi fréquenté.
Là, sur des tas poudreux de sacs et de pratique,
Hurle tous les matins une sibylle étique :
On l'appelle Chicane, et ce monstre odieux
Jamais pour l'équité n'eut d'oreilles ni d'yeux.
La Disette au teint blême, et la triste Famine,
Les Chagrins dévorants, et l'infâme Ruine.

Enfants infortunés de ses raffinements,
Troublent l'air d'alentour de longs gémissements.
Sans cesse feuilletant les lois et la coutume,
Pour consumer autrui le monstre se consume;
Et, dévorant maisons, palais, châteaux entiers,
Rend pour des monceaux d'or de vains tas de papiers.
Sous le coupable effort de sa noire insolence,
Thémis a vu cent fois chanceler sa balance.
Incessamment il va de détour en détour;
Comme un hibou souvent il se dérobe au jour :
Tantôt, les yeux en feu, c'est un lion superbe :
Tantôt, humble serpent, il se glisse sous l'herbe.
En vain, pour le dompter, le plus juste des rois
Fit régler le chaos des ténébreuses lois.
Ses griffes, vainement par Pussort accourcies,
Se rallongent déjà, toujours d'encre noircies;
Et ses ruses, perçant et digues et remparts,
Par cent brèches déjà rentrent de toutes parts.
(Le Lutrin.)

Les poëtes satiriques.

L'ardeur de se montrer et non pas de médire,
Arma la vérité du vers de la satire.

Lucile le premier osa la faire voir,

Aux vices des Romains présenta le miroir,
Vengea l'humble vertu de la richesse altière,
Et l'honnête homme à pied du faquin en litière.
Horace à cette aigreur mêla son enjoûment.
On ne fut plus ni fat ni sot impunément :
Et malheur à tout nom qui, propre à la censure,
Put entrer dans un vers sans rompre la mesure!
Perse, en ses vers obscurs, mais serrés et pressants,
Affecta d'enfermer moins de mots que de sens.
Juvénal, élevé dans les cris de l'école,
Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole.
Ses ouvrages, tout pleins d'affreuses vérités,

« PreviousContinue »