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SÉGRAIS.

SÉGRAIS (JEAN REGNAULT DE), né en 1624 à Caen, entra à l'âge de vingt ans dans la maison de Mlle de Montpensier, où il fut longtemps secrétaire, puis gentilhomme ordinaire de cette princesse, dont il a rédigé les Mémoires. Plus tard, il se retira auprès de Mme de La Fayette, et eut part à la composition de deux romans de cette dame (Zaïde et la Princesse de Clèves), qui parurent même sous son nom. Enfin il retourna dans sa ville natale, et se livra entièrement à la culture des lettres, dans lesquelles il s'était fait un nom, puisque Boileau, invitant, à la fin de son Art poétique, les plus célèbres poëtes de son temps à célébrer le nom de Louis XIV, dit :

Que Ségrais dans l'églogue en charme les forêts.

C'est en effet dans l'églogue que Ségrais s'est distingué. Ce genre de poeme ne donne guère de place à l'originalité dans les idées ; et Ségrais n'est pas sorti de la forme admise par les anciens; mais dans ce cadre étroit, il a du moins, à un haut degré, les quali tés qu'on y peut désirer, la simplicité des pensées, la douceur du style, l'harmonie de la versification.

Ségrais fut admis à l'Académie française en 1662: il mourut en 1701.

Timarète.

Clarisse aime mes vers, faisons-en pour Clarisse1.
Qui peut rien refuser au beau sang d'Arténice??
Le beau nom d'Arténice a volé jusqu'aux cieux;
Le beau nom de Clarisse est aimé de nos dieux :
Ses charmes sont puissants, son âme est noble et belle;
Elle a tout ce qui rend Arténice immortelle :

Juste arbitre du chant des plus fameux bergers,
Comme elle, elle est célèbre aux climats étrangers.
Doncques, ô digne sang d'une divine mère,
Soit qu'au tranquille frais d'un antre solitaire

4. Mlle de Rambouillet, depuis duchesse de Montausier. - 2. Mme de Rambouillet, mère de la précédente, et dont l'hôtel était alors renommé.

Le grand pasteur de l'Orne au chant si renommé1
Tienne vos sens ravis et votre esprit charmé;
Soit qu'aux bords émaillés d'une claire fontaine
Vous vous plaisiez aux jeux de ce berger de Seine,
De ce galant berger, en qui furent toujours
Avec les jeunes ris les folâtres amours;

Ou que vous admiriez la céleste harmonie
Des Apollons nouveaux de la grande Ausonie;
Quittez pour un moment des entretiens si doux :
Écoutez les ennuis d'un pauvre amant jaloux;
Écoutez les ennuis d'une aimable bergère.
Aux rivages de Loin, sur la verte fougère,
Timarète aux rochers racontait ses douleurs,
Et le triste Eurylas soupirait ses malheurs :
Tous deux (Dieux! que ne peut l'aveugle jalousie!),
L'un pour l'autre troublés de cette frénésie,
Abandonnaient leur âme à d'injustes soupçons,
Qu'ils faisaient même entendre en leurs douces chansons
Écho les redisait aux nymphes du bocage;

Un vieux Faune en riait en sa grotte sauvage;
Tels sont les jeux d'amour, disait-il, et jamais
Ces guerres ne se font qu'on n'en vienne à la paix.
Eurylas commença sur sa douce musette.
A son chant répondait la belle Timarète :
Tour à tour ils plaignaient leur amoureux souci.
La muse pastorale aime qu'on chante ainsi.

1. Malherbo.

T. CORNEILLE.

CORNEILLE (THOMAS), frère de Pierre Corneille, naquit à Rouen le 20 août 1625. Il se fit poëte par imitation: la carrière que suivait son frère aîné fut celle qu'il choisit, mais sans vocation décidée. Une grande intelligence, un goût sûr et exercé, et surtout une vaste érudition, suppléèrent au génie qui lui manquait. Il travailla près de cinquante ans pour le théâtre, et y obtint des succès nombreux et brillants. Le plus intéressant de ses ouvrages, Ariane, représenté en 1672, en même temps que Bajazet, fut accueilli avec beaucoup plus de faveur que la tragédie de Racine; mais le moment d'enthousiasme passé, le public revint de son erreur. Le Comte d'Essex, donné en 1678, eut moins de succès. Thomas Corneille, qui faisait les vers avec une prodigieuse facilité, eut le tort, pour se rendre agréable aux comédiens, de traduire la prose énergique et concise du Don Juan de Molière dans des vers lâches et diffus : le discours de don Louis à son fils est le seul morceau qui soit digne de Molière. A la mort de son frère, Thomas Corneille fut choisi par l'Académie pour lui succéder. Devenu aveugle, il se retira aux Andelys, près de Rouen, et y mourut le 8 décembre 1709, à l'âge de 84 ans.

Ariane reproche à Thésée son infidélité.

Dans Naxe1, tu le sais, un roi grand, magnanime,
Pour moi, dès qu'il me vit, prit une tendre estime :
Il soumit à mes vœux et son trône et sa foi:
Quoi qu'il ait pu m'offrir, ai-je fait comme toi?
Si tu n'es point touché de ma douleur extrême,
Rends-moi ton cœur, ingrat, par pitié de toi-même.
Je ne demande point quelle est cette beauté
Qui semble te contraindre à l'infidélité :

Si tu crois quelque honte à la faire connaître,
Ton secret est à toi ; mais qui qu'elle puisse être,
Pour gagner ton estime et mériter ta foi,
Peut-être elle n'a pas plus de charmes que moi.

4. L'ile de Naxos.

pas

Elle n'a du moins cette ardeur toute pure
Qui m'a fait, pour te suivre, étouffer la nature;
Ces beaux feux qui, volant d'abord à ton secours,
Pour te sauver la vie ont exposé mes jours;
Et si de mon amour ce tendre sacrifice
De ta légèreté ne rompt point l'injustice,
Pour ce nouvel objet, ne lui devant pas tant,
Par où présumes-tu pouvoir être constant?
A peine ton hymen aura payé sa flamme,
Qu'un violent remords viendra saisir ton âme :
Tu ne pourras plus voir ton crime sans effroi;
Et qui sait ce qu'alors tu sentiras pour moi?
Qui sait par quel retour ton ardeur refroidie
Te fera détester ta lâche perfidie?

Tu verras de mes feux les transports éclatants;
Tu les regretteras; il ne sera plus temps.
Ne précipite rien, quelque amour qui t'appelle,
Prends conseil de ta gloire avant d'être infidèle.
Vois Ariane en pleurs, Ariane autrefois

Tout aimable à tes yeux, méritait bien ton choix;
Elle n'a point changé; d'où vient que ton cœur change?

(Ariane.)

Mme DESHOULIÈRES.

DESHOULIÈRES (Madame), née en 1633 ou en 1634, à Paris, avait une beauté peu commune, une taille au-dessus de la médiocre, un maintien naturel, des manières nobles et prévenantes; avide d'instruction, elle avait appris le latin, l'italien, l'espagnol, et dans la suite les auteurs les plus estimés de ces trois langues lui devinrent familiers. Elle épousa, en 1651, Guillaume de La Font de Boisguérin, seigneur des Houlières. C'était l'époque de la Fronde; son mari était attaché au prince de Condé. Leur vie fut pendant quelque temps fort agitée. Enfin ils revinrent à la cour, ой madame Deshoulières fut appréciée comme elle méritait de l'être. Malheureusement son mari n'avait qu'une fortune fort bornée. Il fut même obligé, en 1658, de se séparer de biens d'avec sa femme afin d'abandonner tout ce qu'il possédait à ses créanciers. Il mourut en 1693. C'est peu après ce malheur que Mme Deshoulières, inquiète du sort de ses filles, écrivit à Louis XIV cette idylle allégorique où, sous l'image d'une bergère qui a perdu son chien, elle implore pour ses brebis la faveur du dieu Pan.

Mme Deshoulières avait un esprit délicat, une imagination enjouée; mais peu de fécondité dans la pensée. Ses ouvrages, au moins quelques-uns, peuvent être cités comme des modèles de poésie naturelle et tendre: il n'y faut chercher ni fortes combinaisons dans les idées, ni énergie dans le style. Lorsqu'elle traita un sujet à la fois sérieux et élevé, lorsqu'elle fit jouer en 1680 la tragédie de Genseric, elle ne réussit qu'à montrer combien une telle œuvre est difficile, et quelles qualités lui manquaient pour y réussir.

C'est dans le genre badin ou médiocre, dans les idylles et dans d'autres ouvrages de petite dimension que Mme Deshoulières a mérité des succès réels, et obtenu de son siècle ce nom de dixième muse, que la flatterie donne à toutes les femmes qui font des vers. Mme Deshoulières mourut en 1694, âgée d'un peu plus de soixante ans, treize mois et demi après son mari.

Idylle.

Ruisseau, nous paraissons avoir un même sort;
D'un cours précipité nous allons l'un et l'autre,
Vous à la mer, nous à la mort.

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