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et trop de pièces en sont complétement dépourvues pour que l'usage en fût déjà établi d'une manière régulière (1). Il était devenu au moins plus général, du temps de Térence : toutes ses comédies sont même précédées d'un prologue, mais elles ne l'ont pas toujours été (2), et l'on ne peut affirmer qu'il ait lui-même composé tous les prologues qui nous sont parvenus (3). Ils n'avaient plus cependant, à cette époque, le même

seum, t. X, p. 122 et suiv.), les autres seraient réellement de Plaute; mais M. Ritschl, si expert dans toutes les questions de latinité, les croit postérieurs de quelques années (Parerga, p. 233, etc.), et M. Dziatzko, qui a étudié cette question spéciale avec beaucoup de soin, n'attribue non plus à Plaute que ceux de l'Aulularia et du Rudens; De Prologis Plautinis et Terentianis, p. 18. Les vers 52 et suivants du prologue des Captifs prouvent même positivement, d'après M. Fabricius (De Prologi apud scriptores comicos latinos Usu, Officio, Actore ac Persona, p. 5), que Plaute n'en est pas l'auteur, et nous croyons comme lui que l'esprit et le style ne sont pas suffisamment Plautiniens pour qu'on le lui altribue. Malgré sa source grecque, le prologue du Trinumus n'est aussi certainement pas de Plaute : il en est indigne de tout point, et a été composé pour un public plus jeune au moins de cinquante

ans.

(1) Le Curculio, l'Epidicus, le Persa et le Stichus n'en ont d'aucune espèce, et nous pourrions presque avec certitude y ajouter deux autres pièces. Aucune trace du prologue des Deux Bacchis, un des moins dignes de Plaute, ne se trouve antérieurement à l'édition de 1514, et N. Angélio, l'éditeur, le donnait lui-même pour supposé. Quant à celui du Pseudulus, que Saracénus a publié dans l'édition de 1499, les anciens manuscrits, y compris le palimpseste déchiffré par Mai, n'en connaissaient que les deux derniers vers. Eichstädt avait conclu comme nous de l'irrégularité des prologues de Plaute Haec ipsa poetae sive variatio, sive inconstantia nonne declarat apertissime... neque prologum ista aetate certam obtinuisse et fixam in romanis fabulis sedem? De Dramate Graecorum comico-satyrico, p. 120.

(2) Quoique l'Andrienne fût la première pièce qu'il ait donnée au théâtre (voy. Suétone, Vita, p. 28), il dit au commencement du prologue actuel :

Poeta, quum primum animum ad scribendum
[adpulit,

Id sibi negoti credidit solum dari,
Populo ut placerent, quas fecisset fabulas,
et le commentaire de Donatus, act. V, sc. vI,
v. 14, nous apprend qu'il y avait une se-
conde fin, destinée certainement à une repré-
sentation différente, qui ne nous est pas par-
venue. Quant à l'Hécyre, on sait positive-
ment que, malgré ses deux prologues actuels,
elle n'en avait pas d'abord: Haec primo sine
prologo data est, dit Donatus, Ad Prolo-

gum, v. 1.

(3) Il semble impossible que Térence ait ignoré l'histoire du théâtre romain ou qu'il se soit permis d'impudentes vanteries, et quoique Naevius et Plaute eussent déjà traité aussi d'après Ménandre un sujet semblable, le prologue de l'Eunuque dit carrément,

v. 31 :

Eas se non negat (poeta)
Personas transtulisse in Eunuchum suam
Ex graeca sed eas fabulas factas fuisse
Latinas, scisse sese, id vero pernegat.

Le second prologue de l'Hécyre et celui de
l'Héautontimoruménos (voy. v. 45), furent
récités par Ambivius Turpio, et l'on peut
croire qu'il les avait aussi composés. Non-
seulement on n'y remarque pas au même
degré l'élégance et la propriété d'expres-
sion qui caractérisent le talent de Térence,
mais les vers 41-43 du second prologue de
l'Hécyre:

Si numquam avare pretium statui arti meae
Et eum esse quaestum, in animum induxi,
[maximum,

Quam maxime servire vostris commodis,
se retrouvent textuellement dans le prologue
de l'Héautontimoruménos (v. 48-50), et
l'on hésite à penser qu'un écrivain si facile
et si soigneux ait pu ainsi se répéter ou se
copier lui-même.

rôle à remplir plus entendus et plus experts dans l'arrangement du plan, les poëtes comiques faisaient exposer le sujet par les personnages eux-mêmes (1), el comprenaient que l'incertitude du dénoûment, la curiosité et la surprise contribuaient puissamment au succès. Aux maladroites explications qui défloraient la pièce succédèrent d'habiles insinuations qui la faisaient valoir. On en proclamait l'origine, une source grecque digne de toute confiance; on décréditait le blâme des critiques, en les taxant d'avance d'injustice et de malveillance (2), et l'on demandait aux spectateurs de vouloir bien écouter jusqu'au bout, sans faire trop de bruit (3). Sous cette forme recommandante, le prologue entra si profondément dans les usages du Théâtre, qu'il s'est retrouvé à peu près partout (4) dans les premiers essais dramatiques de la Renaissance (5): il a même sans doute traversé sans interruption, dans la charrette de quelques farceurs, les pires années du moyen âge, et, se

(1) Dehinc ne exspectetis argumentum fabu[lae : Senes qui primi venient, ii partem aperient; In agendo partem ostendent;

Adelphi, prol., v. 22.

(2) Malevolus vetus; L'Andrienne, prol., v. 6; Héautontimoruménos, prol., v. 22; Phormion, prol., v. 14.

(3) L'Eunuque, prol., v. 44; Phormion, prol., v. 31.

(4) Peut-être ne faut-il excepter que l'Es pagne, où les origines du Théâtre ont été beaucoup plus liturgiques que partout ailleurs.

(5) Il s'était dévoloppé même en Italie dans les représentations religieuses, et était devenu une petite pièce à part qui annonçait la grande: Santa Teodora, Santo Honofrio et Il Figliuol prodigo, en offrent de curieux exemples. Cecchi disait déjà dans le prologue de La Dole (1550):

Non farò argomento, perchè uffizio
Mio non è; e poi oggi e' non s' uşano,
Come già si solea.

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Il était considéré en France comme une partie essentielle du poëme comique :

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Ce proëme était bien un prologue détaché de la pièce, puisque la première partie de la Comédie en était l'exposition. En Angleterre, les pièces des Marionnettes avaient ellesmêmes leur prologue; Ben Jonson faisait dire à un acteur en chair et en os, avant la représentation de Hero and Leander par des pupazzi:

Gentles, that no longer your expectations [may wander,

behold our chief actor, amorous Leander, With a great deal of cloth, lapp'd about him [like a scarf,

for he yet serves his father, a dyer at Puddle[wharf;

Which place we'll make bold with, to call it

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répandant de plus en plus en grosses jactances, il est devenu le boniment des spectacles forains.

Septième Excursus.

La langue des Atellanes.

Si compacte que soit un peuple, la différence des conditions, des sentiments et des mœurs en desserre avec le temps l'unité, et y introduit des habitudes différentes de langage. Il se forme, pour ainsi dire, deux langues : une, plus avancée, qui ambitionne plus de logique, plus de régularité et plus d'harmonie; l'autre garde toute la rudesse de son vocabulaire, toute la brusquerie et l'indiscipline de ses constructions, mais elle serre de plus près la pensée et la renforce par une expression plus vivante et plus crue. C'est naturellement la plus violente et la plus rude qu'employèrent de préférence les jeunes Romains sans autre littérature que celle de la rue, qui imitaient les dialogues agressifs en usage à Atella. Peut-être seulement, quand ils s'approprièrent aussi les caractères osques et les transportèrent avec leur costume dans les carrefours de la Ville, voulurent-ils leur conserver quelque chose de leur langage (1). Mais ce n'était point l'osque des philologues, gardant soigneusement ses radicaux tels quels, son accent spécial et ses inflexions, mais un osque de fantaisie, comme le gascon et l'anglais de nos théâtres; un osque latinisé, se rapprochant assez de la langue populaire pour être facilement compris des plus

(1) C'est l'opinion d'Otfried Müller, Die Etrusker, t. I, p. 25, et de M. Munck, De Fabulis Atellanis, p. 56. On lit effectivement dans Varron: Scortari est saepius meretriculam ducere, quae dicta a pelle... In Atellanis licet animadvertere, rusticos dicere, se adducere pro scorto pelliculam; Varron, De Lingua Latina, 1. vi, p. 362, éd. de Spengel. Mais cette influence de l'osque sur la langue des Atellanes a été fort exagérée,

notamment par Stieve, De rei scenicae Romanorum Origine, p. 56. Les fragments qui se trouvaient dans le rôle des personnages osques empruntés aux pièces d'Atella sont eux-mêmes en latin voy. ceux de Maccus (dans Charisius, l. 1, p. 99 et 101), de Pappus (dans Nonius, s. v. CAPULUM), de Dossennus (Ibidem, s. v. MEMOR) et de Bucco; Ibidem, s. v. PURITER.

grossiers auditeurs (1). C'est là un fait qui n'admet aucune exception la langue d'un peuple est celle de sa littérature (2). Il ne faut aucune autre preuve que la nécessité des choses, et nous en avons une positive: Sylla, ce dictateur couvert de sang qui aimait à rire, avait composé des Atellanes dans la langue de son pays (3).

:

A en croire une phrase de Strabon, l'osque se serait cependant conservé à Rome après la disparition du peuple qui le parlait, et eût servi, encore de son temps, à des luttes mimiques que l'on représentait sur la scène (4). Mais la critique est une science d'hier dans l'Antiquité, les écrivains les plus exacts se croyaient quittes envers leur conscience quand ils pouvaient se réclamer d'une tradition quelconque et ne l'avaient pas sciemment modifiée. Si justement suspects que fussent les originaux, on ne les possède même plus depuis des siècles : les textes actuels ont été copiés et recopiés par des scribes, souvent inintelligents et ignares, qui les ont étourdiment, quelquefois même

:

les langues. Fecitque (ludos) nonnunquam etiam vicatim, ac pluribus scenis, per omnium linguarum histriones; Octavius, ch. 43. Il s'agit ici sans doute de pantomimes dont les gestes parlaient également toutes les langues.

(1) Le vieux-latin lui-même n'était plus représenter à Rome des comédies dans toutes compris des plus intelligents: Jam Saliare Numac carmen qui laudat, et [illud Quod mecum ignorat, solus volt scire videri, disait Horace, Epistolarum 1. II, ép. 1, v. 86, et ce n'était pas le dédain affecté d'un bel-esprit pour les choses qui ont vieilli, puisque nous avons le témoignage positif de Quintilien Saliorum carmina vix sacerdotibus suis satis intellecta; 1. 1, ch. vi, par. 40. (2) Un passage de Suétone: Sed plane poematum quoque non imperitus, delectabatur etiam comoedia veteri et saepe eam exhibuit publicis spectaculis (Octavius, ch. 89), avait fait croire à Welcker que sous l'Empire on jouait souvent des pièces grecques dans les fêtes publiques: Augustus liess öfter Stücke der alten, vermutlich der Menandrischen Komödie öffentlich auführen : Die griechische Tragödie, p. 1326. Mais cette vieille comédie est certainement l'ancienne Aiellane, celle que Mummius voulut rajeunir et remettre à la mode. On a conclu aussi d'une autre phrase de Suétone qu'Auguste fil

(3) Εμφανίζουσι δ ̓ αὐτοῦ τὸ περὶ ταῦτα ἱλαρὸν αἱ ὑπ ̓ αὐτοῦ γραφεῖσαι σατυρικαὶ κωμῳδίαι τῇ παtoi çov Athénée, I. vi, p. 261 C. Ce n'était nullement, ainsi que l'ont reconnu Stieve, De rei scenicae apud Romanos Origine, p. 62 et suiv.; Munck, De Fabulis Atellanis, p. 76 et suiv.; Hermann, Opuscula, t. V, p. 260, et Bernhardy, Grundriss der Römischen Litteratur, p. 213, note 157, et p. 406, des Drames satyriques, mais des comédies d'une gaieté acerbe et violente, de véritables Atellanes. Lydus, De Magistratibus, 1. 1, ch. XLI, p. 153, appelle la satire romaine τὴν σατυρικὴν κωμῳδίαν.

(4) Τῶν μὲν γὰρ Οσκων ἐκλελοιπότων ή διάλεκ τος μένει παρὰ τοῖς Ρωμαίοις; ὥστε καὶ ποιήματα σκηνοβατεῖσθαι κατά τινα ἀγῶνα πάτριον καὶ μιμο hayɛiola: · 1. V, ch. 1, p. 294, éd. de Müller.

volontairement altérés (1). On peut donc, sans exagérer les libertés de la critique, discuter le témoignage de Strabon, l'interpréter d'une manière raisonnable, ou même le rejeter entièrement, s'il se trouve en contradiction avec des faits constants (2).

D'abord, l'osque était bien vraiment un idiome indépendant, ayant un caractère à part et des formes spéciales. Nonseulement tous les mots que les vieux grammairiens nous en ont conservés, diffèrent essentiellement du latin (3), et, malgré la connaissance du sanscrit et tous les secours d'une philologie habituée à résoudre ou à escamoter les difficultés, les Inscriptions osques sont encore aujourd'hui insuffisamment comprises (4); mais Ennius disait avoir trois intelligences parce qu'il savait parler trois langues : l'osque, le grec et le latin (5), et quand ils faisaient campagne sur les terres osques, les généraux romains étaient obligés de choisir des espions qui, par exception, connussent la langue du pays (6). D'ailleurs, un fait matériel domine et tranche la question: tous les fragments d'Atellanes qui nous sont parvenus sont incontestablement en latin (7). S'il n'a pas été trompé par un renseignement erroné

(1) Nos manuscrits de Strabon ne remontent qu'au onzième siècle, et leur source est évidemment la même, puisqu'ils ont tous dans le septième livre une grande lacune qu'on a pu remplir grâce à des extraits détachés qui se sont trouvés très-fortuitement dans deux autres manuscrits.

(2) Un savant dont toutes les opinions sont le résultat de longues et profondes études, M. Bernhardy, a dit positivement que Strabon s'était trompé (täuchste sich); Grundriss der Römischen Litteratur, p. 166.

(3) Voy. les mots osques recueillis par Otfr. Müller, Die Etrusker, t. I, p. 27 et suivantes, et par M. Mommsen, Die unteritalischen Dialekte, glossaire, p. 244-312. Un témoignage plus positif encore se trouve dans Macrobe: Nec non et punicis oscisque verbis usi sunt veteres, quorum imitatione Virgilius peregrina verba non respuit; Saturnaliorum 1. vi, ch. 4.

(4) Nous ne parlons pas des divinations plus ou moins ingénieuses de Klenze, de Grotefend et de Peter (Hallische allgemeine Litteraturzeilung, 1842, nos 64, 85 et 86), mais des interprétations beaucoup plus substantielles de M. Mommsen (Oskische Studien, p. 86 et suivantes) et de M. Kirchhoff, Das Stadtrecht von Bantia, Berlin, 1853.

(5) Ennius tria corda habere sese dicebat, quod loqui graece et osce et latine sciret; Aulu-Gelle, l. xvii, ch. 17.

(6) Aliquanto ante lucem ad castra accessit, gnarosque oscae linguae exploratum, quid agatur, mittit; Tite-Live, 1. x, ch. 20.

(7) Quoique l'osque se rattachât comme lui au sanscrit, il en différait beaucoup, au moins dans une foule de mots. Nous citerons comme exemples, d'après Festus, Casnar, Senex; Dalivus, Insanus; Petora, Quatuor; Pepatio, Clamor, et Veja, Plaustrum. Mais nous ne pouvons, ainsi que

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