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que nous avons à rendre. Voici un trait de Scipion l'Africain, le plus doux et le plus complaisant des hommes. Toutefois. notre complaisance ne doit jamais aller jusqu'à compromettre notre réputation; ce grand homme nous sert d'exemple. Un de ses anciens amis, attaché à sa personne, ne pouvant obtenir de lui qu'il le menât en Afrique, au nombre des officiers de sa suite 13, témoignait quelque peine de ce refus : Ne soyez pas, étonné, lui dit-il, si je ne vous accorde pas votre demande. Je connais un homme à qui ma gloire certainement sera chère ; il y a long-temps que je le presse de partir avec moi au nombre des officiers de ma suite, sans avoir pu encore obtenir de lui cette grâce. En effet, si, dans notre administration, nous ne voulons point compromettre notre gloire, ni notre sûreté, nous devons plutôt prier qu'on nous accompagne dans notre province, que d'accorder, comme une faveur, qu'on nous y suive. Mais vous, Verrès, lorsque vous invitiez vos amis à vous accompagner dans votre province, comme pour partager un butin, lorsque vous exerciez vos rapines avec eux et par eux, lorsqu'en pleine assemblée vous les décoriez d'anneaux d'or 14; ne pensiez-vous pas que vous auriez à rendre compte ici de leur conduite et de la vôtre?

Tels étaient les gains énormes qu'offraient à sa cupidité les affaires dont il avait résolu de connaître avec son conseil, c'est-à-dire avec sa troupe de brigands : il avait imaginé une infinité d'autres moyens pour envahir des sommes im

menses.

XII. Personne ne doute que toutes les fortunes des particuliers ne soient au pouvoir de ceux qui règlent les jugemens et de ceux qui jugent; qu'aucun de nous ne peut posséder en paix ses maisons, ses terres, son patrimoine, si,

possit ædes suas, nemo fundum, nemo bona patria obtinere, si, cum hæc a quopiam vestrum petita sint, prætor improbus, cui nemo intercedere possit, det, quem velit judicem, judex nequam et levis, quod prætor jusserit, judicet. Si verò illud quoque accedet, ut in ea verba prætor judicium det, ut vel L. Octavius Balbus judex, homo et juris et officii peritissimus, non possit aliter judicare (si judicium sit ejusmodi): L. OCTAVIUS JUDEX ESTO SI PARET, FUNDUM CAPENATEM, QUO DE AGITUR, EX JURE QUIRITIUM P. SERVILII ESSE, NEQUE IS FUNDUS Q. CATULO RESTITUETUR : non necesse erit L. Octavio judici cogere P. Servilium, Q. Catulo fundum restituere, aut condemnare eum, quem non oporteat? Ejusdemmodi totum jus prætorium, ejusdemmodi omnis res judiciaria fuit in Sicilia per triennium, Verre prætore. Decreta ejusmodi: SI NON ACCUSES SI PE

ACCIPIT, QUOD TE DEBERE DICIS,

I

TIT, DUCAS. C. Fuficium duci jussit petitorem, L. Suetium, L. Racilium. Judicia hujusmodi : Qui CIVES ROMANI ERANT, SI SICULI ESSENT, TUM SI EORUM LEGIBUS DARE OPORTERET: QUI SICULI SI CIVES ROMANI ESSENT. Verum, ut totum genus complectamini judiciorum prius jura Siculorum, deinde istius instituta cognoscite.

1 Petitur.

lorsqu'ils nous sont disputés, un préteur injuste, qui ne trouve point d'opposant 15, donne le juge qu'il veut; et si ce juge, sans conscience et sans principes, prononce au gré du préteur. Que sera-cé si le préteur, dans la permission qu'il donne de juger, emploie une formule telle, que même un Octavius Balbus, ce juge si vertueux et si éclairé, ne pourrait juger autrement que ne prescrit la formule? Par exemple, si la permission est conçue en cette forme: L. OCTAVIUS BAL BUS SERA JUGE; S'IL APPARAÎT QUE LA TERRE de CapÈNES DONT IL S'AGIT APPARTIENT PAR LE DROIT DES ROMAINS A PUBLIUS SERVILIUS, IL OBLIGERA TOUJOURS CELUI-CI DE LA RENDRE A QUINTUS CATULUS; si, dis-je, la permission est conçue en cette forme, le juge L. Octavius Balbus n'obligerat-il pas nécessairement Publius Servilius de rendre la terre à Quintus Catulus, et ne condamnera-t-il pas celui qu'il ne devrait pas condamner? Telle a été sous Verrès la jurisprudence prétorienne; telle est la manière dont il a fait administrer la justice pendant trois ans. Voici ses ordonnances: QUE LE CRÉANCIER SOIT ACCUSÉ PAR LE DÉBITEUR, S'IL NE VEUT PAS RECEVOIR LA SOMME QUE LE DÉBITEUR DIT LUI DEVOIR S'IL DEMANDE PLUS QUE LE DÉBITEUR NE LUI OFFRE QU'ON LE MÈNE EN PRISON. Verrès n'a-t-il pas fait mener en prison C. Fuficius demandeur, aussi bien que L. Suétius et L. Racilius? Voyous comment Verrès ordonnait de juger; LES CITOYENS ROMAINS SERONT JUGÉS COMME S'ILS ÉTAIENT SICILIENS, ET LES SICILIENS COMME S'ILS ÉTAIENT CITOYENS ROMAINS; quoiqu'ils eussent dû être jugés les uns et les autres d'après leurs lois.

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Mais, pour vous montrer sous un seul point de vue toute sa manière de procéder dans les jugemens, voyez d'abord quelle est la jurisprudence des Siciliens; vous verrez après cela quelles étaient ses ordonnances.

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XIII. Siculi hoc jure sunt, ut, quod civis cum cive agat, domi certet suis legibus : quod Siculus cum Siculo non ejusdem civitatis, ut de eo prætor judices ex P. Rupilii decreto, quod is de decem legatorum sententia statuit, quam legem illi Rupiliam vocant, sortiatur. Quod privatus a populo petit, aut populus a privato : senatus ex aliqua civitate, qui judicet, datur, cum alternæ civitates rejectæ sunt. Quod civis romanus a Siculo petit, siculus judex datur: quod Siculus a cive romano, civis romanus daceterarum rerum selecti judices civium romanorum ex conventu proponi solent. Inter aratores et decumanos, lege frumentaria, quam Hieronicam appellant, judicia fiunt. Hæc omnia isto prætore non modo perturbata, sed plane et Siculis et civibus romanis erepta sunt : primum suæ leges; quod civis cum cive ageret, aut eum judicem, quem commo→ dum erat, præconem, haruspicem, medicum suum dabat: aut, si legibus erat judicium constitutum, et ad civem suum judicem venerant, libere civi judicare non licebat. Edictum enim hominis cognoscite, quo edicto omnia judicia redegerat in suam potestatem : SI QUI PERPERAM JUDICASSET, SE COGNiturum : CUM COGNOSSET, ANIMADVERSURUM: idque cum faciebat, nemo dubitabat, quin, cum judex alium de suo judicio 1 putaret judicaturum, seque in eo capitis periculum aditurum, voluntatem spectaret ejus, quem statim de capite suo 3 putaret judicaturum. Se

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XIII. Voici quelle est la jurisprudence des Siciliens: Si un citoyen plaide dans sa ville contre un de ses concitoyens, ils seront jugés d'après leurs lois. Si un Sicilien plaide contre un Sicilien qui ne soit pas de la ville, le préteur (en vertu du décret de Rupilius, porté de l'avis des dix 16 députés, décret appelé par les Siciliens loi Rupilia) tirera des juges au sort. Si un particulier fait des demandes contre un peuple, ou un peuple contre un particulier, on choisira pour les juger le sénat d'une ville tierce, quand les sénats des deux parties seront récusés. Si un citoyen romain poursuit un Sicilien, on donnera un juge sicilien; et un juge romain, si c'est un Sicilien qui poursuit un citoyen romain. A l'égard des autres affaires, on choisit ordinairement des juges parmi les citoyens romains établis dans chaque ville. Les agriculteurs et les décimateurs seront jugés d'après la loi qui les regarde, qu'on appelle loi d'Hiéron.

Sous la préture de Verrès, toutes ces formes ont été, nonseulement bouleversées, mais anéanties: Siciliens et citoyens romains se sont vus dépouillés de leurs priviléges. D'abord, pour ce qui regarde l'article d'un citoyen plaidant contre un de ses concitoyens, ou les lois n'arrêtaient pas Verrès, et il nommait un juge à son gré, soit son huissier, soit son aruspice, soit son médecin; ou, si le jugement était réglé selon les lois, si les parties avaient un de leurs concitoyens pour juge, ce juge n'était pas libre. Car écoutez l'ordonnance du préteur, par laquelle il disposait de tous les jugemens: Si quelqu'un JUGE MAL, J'EN PRENDRAI CONNAISSANCE ET JE SÉVIRAI CONTRE LE COUPABLE. D'après cette menace du préteur personne ne doutait que, dès qu'un juge s'attendrait à voir son jugement révisé par un autre, et qu'il aurait à craindre

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