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les Siciliens; il ne les a pas regardés comme des hommes, il a cru qu'ils n'auraient pas la force de le poursuivre en justice, et que vous verriez leurs infortunes d'un œil indifférent.

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XXIV. Soit : il a eu des Siciliens une idée fausse; il a eu de vous une opinion peu convenable. Mais il a maltraité les Siciliens; il a traité avec égard les citoyens romains; il les a ménagés; il s'est prêté à leurs désirs; il a tout fait pour leur plaire. Lui, ménager des citoyens romains! Point du tout, n'est pas d'hommes dont il ait été l'ennemi plus déclaré. Je ne parle point des prisons, des chaînes, des verges, des haches, enfin de cette croix qu'il a placée comme un témoignage sensible de sa douceur et de sa bienveillance pour les citoyens romains. Je supprime tous ces détails, je les réserve pour un autre temps. Je parle ici des dîmes, de la condition des citoyens romains agriculteurs. Eux-mêmes nous ont appris, dans leurs dépositions, comment ils avaient été traités ; ils ont dit qu'on les avait dépouillés de leur fortune; mais puisque le sort l'a voulu, il faut souffrir ces abus d'autorité, le mépris de toute justice, de tous les usages; enfin, il n'est point de pertes si considérables, que des hommes courageux, avec une âme grande et libre, ne croient devoir supporter. Si néanmoins, sous la préture de Verrès, Apronius, sans aucun égard, frappait et outrageait indignement des chevaliers romains, et non des hommes obscurs et inconnus, mais d'illustres 23 et importans personnages, qu'attendent nos juges? Que demandent-ils encore de moi? Faut-il trancher court sur les délits de Verrès pour en venir plus promptement à ceux d'Apronius, comme je le lui ai promis 24 dès le temps où j'étais en Sicile?

trinium, judices, summa virtute hominem, summa industria, summa gratia, Leontinis, in publico, biduum tenuit: atque ab Apronio, judices, homine in dedecore nato, ad turpitudinem educato, ad Verris flagitia libidinesque accommodato, equitem romanum scitote biduum cibo tectoque prohibitum: biduum Leontinis, in foro, custodiis Apronii retentum atque servatum, neque ante dimissum, quam ad conditiones ejus depactus est.

XXV. Nam quid ego de Q. Lollio, judices, dicam, equite romano spectato atque honesto? Clara res est, quam dicturus sum, tota Sicilia celeberrima atque notissima: qui cum araret in Ætnensi, cumque is ager Apronio cum ceteris agris esset traditus; equestri vetere illa et auctoritate et gratia fretus, affirmavit, se decumanis plus quam deberet, non daturum : refertur ejus sermo ad Apronium. Enimvero iste ridere ac mirari, Lollium nihil de Matrinio, nihil de ceteris rebus audisse: mittit ad hominem Venerios: hoc quoque attendite, apparitores a prætore assignatos habuisse decumanum : si hoc mediocre argumentum videri potest, istum decumanorum nomine ad suos quæstus esse abusum : adducitur a Veneriis, atque adeo attrahitur Lollius commode, cum Apronius e palæstra redisset, et in triclinio, quod in foro Ætnæ straverat, decubuisset. Statuitur Lollius in illo tempestivo gladiatorum convivio. Non mehercule, quæ loquor, crederem, judices, tametsi vulgo audieram, nisi mecum ipse senex, cum mihi atque huic voluntati

Apronius a retenu deux jours dans la place publique de Léontini, Matrinius dont le crédit égale le mérite et la vertu. Oui, Romains, un Apronius, né dans l'opprobre, voué à l'infamie, ministre des débauches et des dissolutions de Verrès, a tenu deux jours un chevalier romain sans abri et sans nourriture; il l'a fait garder à vue par ses gens, et ne l'a laissé partir qu'après l'avoir contraint de s'arranger suivant les conditions. qu'il lui proposait.

XXV. Que dirai-je de Lollius, aussi chevalier romain, non moins recommandable par sa vertu que par son rang? Le fait dont je vais parler est incontestable, répandu et connu dans toute la Sicile. Lollius faisait valoir dans le territoire d'Etna, qui avait été livré avec d'autres territoires à Apronius. Plein de confiance dans le crédit et l'autorité dont jouissait jadis l'ordre équestre, il protesta qu'il ne donnerait aux décimateurs que ce qu'il leur devait. On rapporte son discours à Apronius ; il se met à rire, étonné que Lollius ne fût pas instruit de ce qui était arrivé à Matrinius et à d'autres encore. Il lui envoie des esclaves de Vénus *. Remarquez, Romains, que les huissiers du décimateur lui étaient désignés par le préteur, et voyez si c'est une faible preuve que Verrès se servait du nom des décimateurs pour son profit personnel. Lollius est mené ou plutôt traîné, par les esclaves de Vénus devant Apronius, fort à propos, dans le moment même où celui-ci, de retour du gymnase, était couché sur un lit dans une salle à manger qu'il avait fait construire au milieu de la place publique, d'Etna. Lollius est laissé debout dans un festin dissolu 25 d'in

* C'étaient des esclaves publics dont les préteurs se servaient pour différens

ministères.

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accusationis meæ lacrymans gratias ageret, summa cum auctoritate esset locutus. Statuitur, ut dico, eques romanus, prope annos xc natus, in Apronii convivio, cum interea Apronius caput atque os suum unguento perfricaret. Quid est, Lolli? inquit: tu, nisi malo coactus, recte facere nescis? Homo quid ageret: taceret, responderet : quid faceret denique, illa auctoritate et ætate præditus, nesciebat. Apronius interea cœnam ac pocula poscebat: servi autem ejus, qui et moribus iisdem essent, quibus dominus, et eodem genere ac loco nati, præter oculos Lollii hæc omnia ferebant. Ridere convivæ cachinnari ipse Apronius: nisi forte existimatis, eum in vino ac luxu non risisse, qui nunc in periculo atque exitio suo risum tenere non possit. Ne multa, judices: his contumeliis scitote Q. Lollium coactum, ad Apronii leges conditionesque venisse. Lollius, ætate et morbo impeditus, ad testimonium dicendum venire non potuit. Quid opus est Lollio? nemo hoc nescit : nemo tuorum amicorum, nemo abs te productus, nemo interrogatus, nunc se primum hoc dicet audire. M. Lollius, ejus filius, adolescens lectissimus, præsto est: hujus verba audietis : nam Q. Lollius ejus filius, qui Calidium accusavit, adolescens et bonus, et fortis, et in primis disertus, cum his injuriis contumeliisque commotus in Siciliam esset profectus, in itinere occisus est; cujus mortis causam fugitivi sustinent : re quidem vera nemo in Sicilia dubitat, quin eo sit occisus, quod habere clausa non potuerit sua consilia de

fàmes gladiateurs. J'en ai entendu parler de toutes parts; je ne le croirais cependant pas, Romains, si le vieillard, me remerciant, les larmes aux yeux, d'avoir bien voulu me charger de l'accusation, ne m'eût parlé lui-même de ce fait avec la plus grande force. Un chevalier romain, âgé de près de quatrevingt-dix ans, est donc laissé debout au milieu des convives d'Apronius, tandis que celui-ci se frottait la tête et le visage avec des parfums. Eh bien! Lollius, lui dit-il, vous ne pouvez donc vous ranger à votre devoir, à moins que vous n'y soyez forcé de mauvais traitemens! Lollius, que sa vertu et par ses années rendaient si respectable, hésitait sur ce qu'il devait taire ou répondre, et ne savait quel parti prendre. Cependant Apronius demande le dîner et des coupes. Ses esclaves, du même caractère, de la même extraction que leur maître 26, passent devant Lollius en faisant le service de la table. Les convives s'en divertissaient; Apronius riait aux éclats. Peutêtre, magistrats, vous pensez qu'il n'a pas ri dans le vin et dans la débauche, lui qui ne peut s'empêcher de rire dans l'extrême péril où il se voit maintenant. En un mot, il est bon de vous l'apprendre; Lollius, à force d'outrages, fut` contraint d'en passer par tout ce que voulut Apronius.

Lollius, retenu par l'âge et les infirmités, n'a pu venir déposer lui-même. Mais, qu'est-il besoin de Lollius? Le fait n'est ignoré de personne. Aucun de vos amis, Verrès, aucun des témoins que vous avez présentés, aucun de ceux que vous avez interrogés, ne dira qu'on lui en parle aujourd'hui pour la première fois. Le fils de Lollius, jeune homme d'un mérite rare, est ici présent: il fera sa déposition. Un autre de ses fils, l'accusateur de Calidius, jeune homme honnête, âme ferme et bon orateur, étant parti pour la Sicile, irrité de ces vexations et de ces outrages, a été tué avant son arrivée. On impute sa

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