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X. C'est là l'homme que Verrès, comme je le disàis, a nommé en chef pour tourmenter et dépouiller les malheureux agriculteurs. Qui, Romains, sachez que, sous sa préture, de fidèles alliés et d'excellens citoyens ont été livrés et abandonnés à la perversité, à l'audace, à la cruauté d'un Apronius, par des établissemens nouveaux et de nouvelles ordonnances au mépris de la loi dHiéron, de cette loi que Verrès, comme je l'ai dit déjà, a rejetée et réprouvée toute entière.

Ecoutez d'abord, Romains, son admirable ordonnance: Le cultivateur donnera au décimateur tout ce que celuici aura déclaré lui étre dú. Comment! il faut donner tout ce que demandera Apronius? Quoi donc ! est-ce là le règlement d'un préteur pour des alliés, ou l'édit despotique d'un tyran insensé pour des ennemis vaincus? Je donnerai tout ce que demandera Apronius! Mais il demandera tout ce que j'aurai cultivé. Que dis - je? il demandera même plus s'il le veut. Eh bien! qu'en pensez-vous? ou vous donnerez, ou Vous serez condamné comme ayant enfreint l'ordonnance. Dieux immortels! quelle tyrannie! la chose n'est pas vraisemblable. Tout persuadés que vous êtes, Romains, qu'il n'est rien dont Verrès ne soit capable, je m'imagine que ge fait vous paraît faux. Quand toute la Sicile en déposerait, je n'oserais moi-même l'affirmer, si je n'en trouvais la preuve dans les ordonnances même tirées de ses registres: on va vous les lire. Remettez *, je vous prie, la pièce au greffier: qu'il lise sur le registre même. Lisez, greffier, l'ordonnance pour la déclaration des terres mises en labour.

On lit l'ordonnance.

Verrès se plaint qu'on ne lit pas l'ordonnance en entier; il Remettez.......... C'est à son secrétaire que Cicéron adresse la parole.

sit, in octuplum judicium daturum esse. Nihil mihi placet prætermitti. Recita hoc quoque, quod postulat; totum recita: EDICTUM DE JUDICIO IN OCTUPlum. Judicio ut arator decumanum persequatur? miserum atque iniquum, ex agro homines traduci in forum, ab aratro ad subsellia, ab usu rerum rusticarum ad inso litam litem atque judicium,

XI. Cum omnibus in aliis vectigalibus, Asia, Macedoniæ, Hispaniæ, Galliæ, Africæ, Sardinia, ipsius Italiæ (quæ vectigalia sunt), cum in his, inquam, rebus omnibus publicanus petitor ac pignerator, non ereptor neque possessor soleat esse: tu de optimo, de justissimo, de honestissimo genere hominum, hoc est, de aratoribus, ea jura constituebas, quæ omnibus aliis essent contraria. Utrum est æquius, decumanum petere, an aratorem repetere? judicium, integra re, an perdita, fieri? eum, qui manu quæsierit, an eum, qui digito licitus sit, possidere? Quid? qui in singulis jugis arant, qui ab opere ipsi non recedunt, quo in Aumero magnus ante te prætorem numerus, magna

paraît me le faire entendre par son air. Qu'est-ce qu'on passe, Verrès? Est-ce l'article où vous paraissez songer aux Siciliens, où vous jetez un regard sur les infortunés agriculteurs ? Car vous déclarez que, si le décimateur prend au-delà de ce qui lui est dû, vous permettrez de le poursuivre pour lui faire payer huit fois la somme perçue au-delà de ses droits. Je ne veux rien passer. Greffier, lisez l'article que demande Verrès, l'article qui permet de poursuivre le décimateur pour lui faire payer huit fois la somme perçue au-delà de ses droits: lisez l'ordonnance en entier.

Le greffier lit.

Comment! un cultivateur poursuivre en justice le décimateur ! Il est triste, il est injuste que des laboureurs soient transportés de leurs campagnes au barreau, de la charrue au tribunal, de leurs travaux rustiques et ordinaires dans les plaidoiries et les procès absolument nouveaux pour eux.

XI. Quoi ! * dans toutes les autres impositions de l'Asie, de la Macédoine, de l'Espagne, de la Gaule, de l'Afrique, de la Sardaigne, de la partie de l'Italie qui y est sujette; dans toutes ces impositions, dis-je, le fermier public n'a droit que de faire des demandes et de prendre des gages, non d'enlever ni de saisir les récoltes; et vous, Verrès, vous établissiez pour la classe d'hommes la plus utile, la plus vertueuse, la plus honnête, je veux dire pour les agriculteurs, une jurisprudence contraire à toute jurisprudence! Eh! lequel est plus juste que le décimateur demande ou que le cultivateur redemande ? Que le cultivateur soit jugé quand il possède encore son bien ou quand il l'a perdu? Que celui qui a amassé par ses travaux soit en possession, ou celui qui a acquis par la

* Ce passage offre un exemple du dialogisme.

multitudo Siculorum fuit: quid facient? cum dederint Apronio, quod poposcerit, relinquent arationes? relinquent Larem familiarem suum? venient Syracusas, ut, te prætore videlicet, æquo (jure), Apronium, delicias ac vitam tuam, judicio recuperatorio persequantur? Verum esto; reperietur aliquis fortis et experiens arator, qui, cum tantum dederit decumano, quantum ille deberi dixerit, judicio repetat, et pœnam octupli persequatur. Exspecto vim edicti, severitatem prætoris: faveo aratori, cupio octupli damnari Apronium. Quid tandem postulat arator? nihil, nisi ex edicto judicium in octuplum. Quid Apronius? non recusat: quid prætor? jubet recuperatores rejicere. Decurias scribamus. Quas decurias? de cohorte mea rejicies, inquit. Quid? ista cohors quorum hominum est? Volusii haruspicis, et Cornelii medici, et horum canum, quos tribunal meum vides lambere. Nam de conventu nullum umquam judicem, nec recuperatorem dedit : iniquos decumanis esse ajebat omnes, qui ullam agri glebam possiderent. Veniendum erat ad eos contra Apronium, qui nondum etiam Aproniani convivii crapulam exhalassent.

simple " enchère ? Et ceux qui ne labourent qu'un arpent * qui ne s'éloignent point de leur travail (il y en avait un grand nombre avant votre préture; une infinité de Siciliens étaient dans ce cas), que feront-ils? Quand ils auront donné à Apronius ce qu'il aura demandé, quitteront-ils leur labour? Abandonneront-ils leurs pénates? Se transporteront-ils à Syracuse? Y viendront-ils poursuivre, dans un jugement par commissaires, devant vous préteur, sans doute à partie égale, viendront-ils poursuivre Apronius, vos délices, l'objet de vos tendresses ?

Mais soit, il se trouvera un agriculteur, homme de tête et instruit des affaires, qui, après avoir donné au décimateur tout ce qu'il aura demandé, le poursuivra en justice, et lui intentera procès aux termes de l'ordonnance. J'attends l'effet de l'ordonnance, la sévérité du préteur; je m'intéresse pour l'agriculteur, je souhaite qu'Apronius soit condamné. Que demande l'agriculteur? Rien que de pouvoir poursuivre aux termes de l'ordonnance. Et Apronius? il ne refuse pas d'être jugé. Et le préteur ? il ordonne de choisir des commissaires 12 Ecrivons les classes dans lesquelles on choisira. Qu'appelez-vous classes? Vous prendrez, dit-il, des hommes de ma suite. Et de quels hommes est composée votre suite? — De l'aruspice Volusius, du médecin Cornélius, et de toute cette meute avide qui entoure mon tribunal: car Verrès ne tira jamais un seul juge du nombre des citoyens romains établis à Syracuse. Quiconque, disait-il, possède un seul pouce de terre, n'est pas favorable aux décimateurs. Il fallait donc se présenter contre Apronius devant des hommes tout échauffés encore du vin de la table d'Apronius.

* On appelait jugum, l'espace de terrain que deux bœufs pouvaient labourer par jour.

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