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A le considérer du côté moral, quoique ses écrits, comme a dit un de nos poëtes,

Alarment un peu l'innocence,

il n'a du moins montré dans ses poésies que cette espece d'amour que l'on peut avouer sans honte; et c'est un mérite presque unique dans la corruption des mœurs grecques et romaines. Il dut à sa passion extrême pour les femmes, d'être préservé de la contagion générale. Il était d'un caractere très-doux et lui-même se rend ce témoignage dans un endroit de ses Tristes, que la censure n'a jamais attaqué sa ni ses écrits aussi était il l'ami et le personne panégyriste de tous les talens. Tous les écrivains célebres qui furent ses contemporains, sont loués dans ses vers avec autant de candeur que d'affection; et il en est plusieurs parmi eux dont les ouvrages ont été perdus, et qui ne nous sont connus que par ses éloges.

PROPER CE.

Les poésies de Properce respirent toute la chaleur de l'amour, et quelquefois de la volupté ; et Ovide l'a bien caractérisé lorsqu'il a dit, en parlant de ses 'élégies, les feux de Properce:

Et Properce souvent m'a confié ses feux.
Sapè suos solitus recitare Propertius ignes,

Mais il fait un usage trop fréquent de la mythologie, et ces citations, trop facilement empruntées de la Fable, ressemblent plus aux lieux communs d'un poëte, qu'aux discours d'un amant. Une chose qui lui est particuliere parmi les poëtes érotiques, c'est qu'il est le seul qui n'ait célébré qu'une maîtresse. Il répete souvent à Cynthia, qu'elle seule sera à jamais l'objet de ses chants, et il lui a tenu parole. Cependant il ne faut pas croire qu'il ait été aussi fidele dans ses amours que dans ses vers; car il fait à un de ses amis à peu près le même aveu qu'Ovide. « Chacun, dit-il, a son défaut : le mien » est d'aimer toujours quelque chose.» Il convient que c'est surtout au théâtre qu'il ne peut ne peut s'empêcher de desirer tout ce qu'il voit. Il avoue même à Cynthia qu'il a eu quelque goût pour une Lycinna; mais si peu, si peu, que ce n'est pas la peine d'en parler. Après tout, à juger de cette Cynthia par le portrait qu'il en fait, elle ne méritait pas plus de fidélité. Jamais femme n'eut plus de disposition tourmenter, à désespérer un amant, et jamais amant ne parut si malheureux et ne se plaignit tant que Properce. C'est même ce qui répand le plus d'intérêt dans ses ouvrages; car on sait que rien n'intéresse tant que la peinture du malheur. On

plaint d'autant plus Properce, qu'après avoir bien

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reproché à sa maîtresse ses duretés, ses hauteurs, ses caprices, il finit toujours par une entiere résignation: il murmure contre le joug; mais le joug lui est toujours cher, et il veut le porter toute sa vie. Il paraît que, malgré l'inconstance de ses goûts, il avait un penchant décidé pour Cynthia, et revenait toujours à elle comme malgré lui. C'est une alternative de louanges et d'injures qui peint au naturel les différentes impressions qu'il éprouvait tour-à-tour. Tantôt il la représente comme plus belle que toutes les déesses; tantôt il l'avertit de ne pas se croire si belle, parce qu'il lui a plu de l'embellir dans ses vers et de vanter l'éclat de son teint, quoiqu'il sût fort bien que tout cet éclat n'était qu'emprunté. Ici, il lui attribue toute la fraî cheur de la jeunesse. Ailleurs, il lai dit qu'elle est déjà vieille. Enfin, après cinq ans il perd patience, il rompt sa chaîne, et ses adieux sont des imprécations dans toutes les formes; ce qui fait douter que cette chaîne soit en effet bien rompue, car l'indifférence n'est pas si colere. Aussi après ces adieux solennels qui finissent le troisieme livre, on voit dans le quatrieme reparaître Cynthia, qui, toujours assurée de son pouvoir, vient chercher son esclave dans une maison de campagne, où il soupait avec deux de ses rivales. Elle est si furieuse et si terrible, qu'à

son

son aspect, les deux compagnes de Properce commencent par prendre la fuite, et le laissent tout seul vider la querelle. Cynthia, après l'avoir bien battu, consent à lui pardonner, à condition qu'il chassera l'esclave qui s'est mêlé d'arranger cette partie de campagne; qu'il ne se promenera jamais sous le portique de Pompée, rendez-vous ordinaire des femmes romaines; qu'il n'ira point dans les rues en litiere ouverte, et qu'au spectacle il aura les yeux baissés. On voit qu'elle le connaissait bien, et qu'elle savait de quoi il était capable. Properce se soumet à tout, et devient plus amoureux que jamais; et puis fiez-vous aux imprécations et aux ruptures!

TIBUL L E.

Tibulle a moins de feu que Properce; mais il est plus tendre, plus délicat : c'est le poëte du sentiment. Il est surtout, comme écrivain, supérieur à tous ses rivaux. Son style est d'une élégance exquise, son goût est pur, sa composition irreprochable. Il a un charme d'expression qu'aucune traduction ne peut rendre, et il ne peut être bien senti que par le cœur. Une harmonie délicieuse porte au fond de l'âme les impressions les plus douces c'est le livre des amans. Il a de plus ce

Cours de littér. Tome II.

TAYLOR

INSTITUTION

UNIVERSITY 16 AUG 1960

OF OXFORD

LIBRARY

goût pour la campagné, qui s'accorde si bien avec l'amour; car la Nature est toujours plus belle quand on n'y voit qu'un seul objet. Chaulieu, le disciple d'Ovide et le chantre de l'inconstance, parle ainsi de Tibulle dans une épître à l'abbé Courtin.

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Au surplus, il ne serait pas juste d'exiger, dans des poésies amoureuses, cette unité d'objet nécessaire à l'intérêt d'un roman. Tibulle lui-même, amoureux de si bonne foi, a chanté plus d'une maîtresse. Il paraît que Délie eut ses premieres inclinations, et c'est elle qui lui a inspiré ses meilleures pieces. Némésis et Néera la remplacerent tour-à-tour, et qui sait après tout si c'était Tibulle qui avait tort? Il est sûr au moins que celles qu'il aima, conserverent de lui un souvenir bien cher, puisque nous

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