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Les chefs n'ont qu'un désir, ne forment qu'une voix;
Et, ralliés en foule auprès du chef suprême,
Veulent partir, combattre, à l'heure, à l'instant même.
Ainsi, long-tems privé des caresses du Ciel,
Le peuple industrieux qui compose le miel,
Respirant la fraîcheur de la plaine odorante,
Délaisse en bourdonnant sa ville transparente,
Quand le souffle embaumé du printems de retour
L'appelle au sein des fleurs dans les champs d'alentour.

Sur le front de Nassau le bonheur se déploie. « Généreux compagnons! reprend-il avec joie, « Oui, vous triompherez: la victoire est le prix «De ces nobles travaux pour un peuple entrepris. << Elle vous appartient. Mais c'est peu d'y prétendre: << Souvent pour l'obtenir il faut savoir l'attendre; Avec un art suprême il faut la préparer, <«< N'en jamais être sûr, et toujours l'espérer. << Armons-nous cependant d'une vigueur nouvelle; « Demain ramènera l'époque solennelle

« Où le peuple Batave assemble ses états.

« Au sein de Rotterdam nous porterons nos pas;

« Les états m'entendront; j'exposerai sans feinte « Nos efforts, nos besoins, mon espoir et ma crainte; « Et du pouvoir civil la sainte autorité

<< Nous prêtera partout son appui respecté.

« Et toi, qui, détestant les guerrières alarmes,

« Nous as pourtant contraints de recourir aux armes,

<«< Raison! guide sacré; tu gravas dans nos cœurs
<< La haine des tyrans, le mépris des erreurs.
« Farnèse en vain grossit ses phalanges serviles;
« Par toi la liberté descendra sur nos villes;
« Et je jure en ton nom de vivre et de mourir

<< Pour l'aimer, pour la suivre, et pour la conquérir. »

A la voix de Nassau toutes les voix s'unissent;
Tous les bras sont tendus; tous les échos mugissent;
Le serment généreux que les chefs ont prêté
Au camp de bouche en bouche est déjà répété.
Mais, en roulemens sourds, à l'heure accoutumée,
Le tambour annonçait le repos de l'armée :
Tout se tait; les héros du camp silencieux
Parcourent lentement les contours spacieux;
Et chacun d'eux enfin, retiré dans sa tente,
Déroule à longs replis en son âme contente
Des succès obtenus le brillant souvenir,

Et les succès plus grands promis à l'avenir.
La nuit du haut des monts descendait sur les plaines;
Bientôt, versant l'oubli des travaux et des peines,
Le sommeil bienfaisant couvre de ses pavots
Les chefs et les soldats, et la terre, et les flots.

Cependant la Raison, cette auguste déesse

A qui, dans leurs beaux jours, les peuples de la Grèce Sous le nom de Minerve élevaient des autels, Recueillit des héros les sermens immortels.

De son flambeau céleste agitant la lumière,
Plus pure que les feux du jour qui nous éclaire,
Elle court aussitôt, d'un vol précipité,

Au sommet du Morat chercher la Liberté.
Là reposent, couchés sous des tombes rustiques,
Les trois libérateurs des vallons Helvétiques;
Une roche, au milieu des monumens sacrés,
Renferme du grand Tell les débris révérés.
Debout, sur son tombeau, sa flèche triomphante
Dans le cœur des tyrans jette encor l'épouvante.
Les noms sont effacés, mais non le souvenir;
Point de marbre imposteur qui trompe l'avenir:
Pour unique ornement, l'ombrage solitaire
Des chênes, des sapins, vieux enfans de la terre.
Contemporains de Tell, ils ont vu ses combats;
Gesler en ce lieu même a reçu le trépas;

I

Le sang autrichien féconda leurs racines;
Charles dans ces forêts déposa ses ruines;
Des Bourguignons vaincus les ossemens poudreux
Ont blanchi ces vallons fertilisés
par eux.

La Liberté sourit à son peuple fidèle;

Son casque est déposé; sa lance est auprès d'elle;

1. Charles le Téméraire fut taillé en pièces dans la vallée de Morat en 1476. C'est dans cette fatale journée qu'il perdit ce beau diamant, vendu alors pour un écu, et depuis acheté si chèrement par le duc de Florepce.

L'allégresse embellit son front majestueux.
Vingt fleuves, de ces monts enfans tumultueux,
Jaillissent à ses pieds des cavernes profondes
Où reste enseveli le dépôt de leurs ondes:
La Limat et l'Aar, que le sol étranger
Sous l'empire des rois ne voit point se ranger;
L'impétueuse Adda, dont les tributs serviles
Du riant Milanais vont enrichir les villes;
Le Rhin, qui de ses flots, souvent ensanglantés,
Des belliqueux Germains baigne au loin les cités,
Mais qui, s'affaiblissant dans sa course lointaine,
A la mer de Harlem roule une onde incertaine ;
Le Duras, étendu sur de jeunes roseaux;
Le Rhône, avec fracas précipitant ses eaux,
Et qui, fier d'embellir le midi de la France,
S'abyme au sein des mers qui bordent la Provence.

Des lacs délicieux, arrosant les vallons;
D'autres lacs, suspendus sur la cime des monts,
Offrent aux yeux charmés, près des fleuves rapides,
Sur des prés toujours verts des eaux toujours limpides.
O pays fortuné! tes sages habitans,

Étrangers à l'orgueil, sont libres et contens:
On ne voit point chez eux le luxe et l'opulence;
Mais la pauvreté fière, et jamais l'indigence;
Le travail enrichi des besoins qu'il n'a pas,
Et de l'or des moissons qui germent sous ses pas.

Du commerce et des arts ignorant l'industrie,

Ils ont le premier bien : l'amour de la patrie.
Égaux devant la loi, sous son niveau d'airain,
Citoyens de l'État, membres du souverain,
Quand de la Liberté la voix se fait entendre,
Sujets pour la servir, soldats pour la défendre,
Ces héros villageois offrent un peuple armé
Du soc laborieux en glaive transformé.

Elle anime la danse et le chant des bocages,
De troupeaux mugissans couvre les pâturages,
Creuse avec ses enfans de pénibles sillons,
Dirige leurs travaux, conduit leurs bataillons.
Au sein de l'assemblée elle écoute et préside;
Tous ont donné leur voix : la Liberté décide;
Et, calmant des partis les débats orageux,
Elle dicte aux pasteurs des lois simples comme eux.

La Raison s'approchant de la fière Immortelle: « Divinité du Peuple, ô ma sœur, lui dit-elle, <«< S'il est vrai qu'à tes lois l'univers est promis, << Peux-tu donc endurer que nos vils ennemis Règnent par des forfaits sur ton futur empire? « Le Batave t'implore, et le Batave expire! << Abandonneras-tu des peuples généreux

« Au sceptre ensanglanté qui pèse encor sur eux?

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Ah! que du haut des monts ta lance se déploie;

« Arme-toi; viens, descends : j'ai préparé ta voie.

« Des superstitions écartant le bandeau,

« Les cités du Batave ont suivi mon flambeau;

OEuvres posthumes. II.

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