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quelques expressions équivoques de Dion Cassius (27), historien du 11° siècle, il faut conclure de l'ensemble des faits, avec les plus savants organes de l'érudition d'outre Rhia en cette matière. MM. Mommsen, Marquardt et Hirschfeld (28), que le Sénat ne fut point dépouillé, au profit du prince, de la précieuse prérogative de voter l'impôt et de fixer la nature et l'étendue des recettes, et comme on le verra bientôt aussi avec plus de certitude encore, de régler les dépenses du trésor et d'ouvrir les crédits (29). Sans doute on voit peu d'exemple de contributions créées ou accrues en province par le Sénat. Mais le prince n'eût point osé pratiquer seul une innovation dangereuse; il aimait mieux, usant de son initiative, proposer ou faire proposer à ce grand corps par les consuls, ou par les questeurs candidats du prince, un projet de senatus-consule (Oratio principis) (30). Le Sénat, créé et renouvelé par l'empereur en vertu de ses pouvoirs constitutionnels et soumis d'ailleurs à la terreur de l'imperium proconsulaire (jus gladii), devait obéir en général à l'influence impériale. Il fallut cependant invoquer l'autorité constituante des acta Cæsaris, et la menace de rétablir le tributum ex censu (jamais légalement aboli, et seulement omis d'année en année par le pouvoir consulaire, depuis les triumvirs), pour vaincre la résistance du Sénat et de l'opinion à la création de l'impôt du vingtième sur les successions, au profit du trésor militaire

dont nous parlerons bientôt (31). Il est naturel que Tacite et Suétone omettent, en parlant d'impôts nouveaux ou de rétablissement de taxes, la formalité du sénatus-consulte (32). Elle n'en était pas moins nécessaire et attestée par les textes qui interdisent aux gouverneurs de province sénatoriales ou impériales d'établir aucun impôt ou de l'accroître sans l'autorisation du Sénat ou du prince (33).

Avec les progrès du régime impérial vers la monarchie absolue, et l'absorption de l'Erarium par le fisc, des princes tels que Caligula, Commode ou Caracalla, qu'aucun crime n'arrètait pour amasser l'or nécessaire à leurs passions insensées, n'eurent pas le scrupule constitutionnel de consulter le Sénat à l'effet d'imposer les taxes les plus lourdes, les plus odieuses ou les plus étranges, ou de doubler les impôts existants (34). On peut même dire qu'après une longue lutte au sein de la dyarchie imaginée par Auguste, entre les droits du prince et ceux du Sénat, la distinction entre les provinces sénatoriales et les provinces impériales, entre l'Erarium et le fisc, dut s'effaçer à mesure que croissait le pouvoir de l'empereur, avec celui des nouveaux fonctionnaires impériaux. C'est ce qui fait que Dion Cassius, au 11° siècle de notre ère, ne comprenait déjà plus la séparation des diverses caisses dont le prince disposait également. Bientôt la

dernière trace du gouvernement constitutionnel ou représentatif disparut avec les droits du Sénat sur le trésor et son droit de consentir l'impôt, au nom du peuple romain, c'est-à-dire avec la plus précieuse prérogative des nations libres.

La première atteinte portée à l'unité du trésor public remonte à 759 de Rome, ou l'an 6 de notre ère. L'empire avait besoin d'une armée permanente. Après avoir réglé l'année précédente la durée du service militaire à 16 ans pour les prétoriens et à 20 ans pour les légionnaires, Auguste se vit obligé d'instituer une caisse de récompenses en faveur des vétérans (35). Il la dota d'abord d'un capital de 170 millions de sesterces, versés en son nom et au nom de Tibère; puis il y adjoignit, à titre de revenu annuel, le produit d'un impôt nouveau, le vingtième sur les successions des citoyens romains (36), et celui de l'ancienne taxe du centième sur le prix des ventes à l'encan et autres (37). La dénomination de l'impôt des mutations, vigesima populi romani) et la gestion de l'Erarium militaire confiée à trois directeurs choisis parmi les sénateurs de rang prétorien, semblent annoncer que cette caisse. fut considérée d'abord comme une annexe du trésor public (38). Mais le nom de præfecti ærarii militaris, donné bientôt à ces directeurs, et le droit de suprême commandement sur l'ar

mée, appartenant à l'empereur, attestent suffisamment qu'il s'empara sans difficulté de la disposition exclusive de ce nouveau trésor, insuffisant d'ailleurs pour supporter le surplus des charges du service militaire (39), qui demeurèrent imposées au fisc, et au besoin au trésor du peuple, désormais appelé Erarium Saturni.

Les origines et la nature du troisième trésor, c'est-à-dire du Fiscus ou trésor du prince, sont beaucoup plus obscures et soulèvent encore entre les interprètes de graves discussions. On entendait par fisci, dans le principe, les grandes corbeilles où se plaçaient les deniers versés par les contribuables ou pour être remises à la caisse centrale de la province (arca provinciæ), ou mème envoyées à Rome (40). Ce nom fut ensuite étendu aux caisses provinciales ellesmêmes (Fiscus Gallicus, etc.) (41), mais on ne le trouve guère que depuis Tibère, employé pour désigner l'ensemble du trésor de l'empepeur (42).

Voici sur la formation de cette caisse les données les plus vraisemblables. Dès l'organisation du principat, le prince dut conserver un domaine privé, comprenant ses biens héréditaires et ceux provenant d'institutions d'héritier ou de legs souvent considérables adressés à sa personne, et grossis par l'exploitation de ses capitaux ou par l'épargne de ses revenus. On y

assimilait déjà sous Auguste la meilleure partie du produit de certaines provinces annexées telles que l'Egypte, dont le prince était réputé le maître absolu comme successeur des anciens rois (43). Bientôt après la division des provinces, celles réservées au prince, durent verser à son trésor et entre les mains de ses agents, le fruit de leurs tributs. En vertu de la délégation de la souveraineté sur ce sol tributaire, on tendit à l'en réputer propriétaire, comme le peuple romain à l'égard du sol des provinces du Sénat, et cette double fiction était enseignée par le jurisconsulte Gaius (44), dès le second siècle, comme un principe de droit. Ainsi sur ces nombreuses contrées soumises à l'Imperium du prince, exercé par ses lieutenants (legati pro prætore), il eut le droit incontestable de régler ou de modifier l'impôt, de le faire percevoir et d'en disposer à son gré. Sous ce rapport, on fut porté à assimiler les biens du fisc (fiscales) au patrimoine ou domaine privé de l'empereur, en les confondant sous la dénomination générale de patrimonium principis ou res private (45). Néanmoins la force des choses amena la distinction en fait des biens privés du prince et de ceux qui étaient attribués à l'empereur, en cette qualité, c'est-à-dire, au fond, à la couronne. L'administration en fut d'abord séparée, puis elle devint indépendante en droit, et reçut, sous Septime Sévère, ancien

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