Page images
PDF
EPUB

130

Bientôt avec Grammont courent Mars et Bellone:
Le Rhin à leur aspect d'épouvante frissonne,
Quand, pour nouvelle alarme à ses esprits glacés,
Un bruit s'épand qu'Enghien et Condé sont passés; 1
Condé, dont le seul nom fait tomber les murailles, 2
Force les escadrons, et gagne les batailles; 3
Enghien, de son hymen le seul et digne fruit,
Par lui dès son enfance à la victoire instruit. *
L'ennemi renversé fuit et gagne la plaine;
Le dieu lui-même cède au torrent qui l'entraîne;
Et seul, désespéré, pleurant ses vains efforts,
Abandonne à Louis la victoire et ses bords. 5

135

140

que du destin de la guerre. Comme le système de sa pensée est tout poétique, il a le droit de mettre la fortune en jeu; et comme la présence d'un prince tel que le nôtre rend les soldats invincibles, il a pu dire poétiquement, mais Louis, etc. Bouhours, 369.

1 S'épand a vieilli, surtout au figuré; se répand vaudrait mieux ici. Féraud. Est-ce seulement comme moins usité que s'épand nous paraît ici beaucoup plus poétique que se répand? M. Daunou.

Et Condé sont passés, hémistiche un peu prosaïque, mais que la rapidité des sons fait pardonner. Le Brun.

Vers 131 et 132. Ils expriment bien noblement la haute réputation du grand Condé. Lévizac.

2 Voltaire, Henriade, VIII, 94:

Biron, dont le seul nom répandait les alarmes.

3 Corneille (Illusion, acte II, sc. 2) avait dit:

Le seul bruit de mon nom renverse les murailles,
Défait les escadrons et gagne les batailles.

* Voltaire, Henr., I, 26 (mais voy. sat. x, note du vers 480):
Aux combats, dès l'enfance, instruit par la victoire.

5 Vers 132 à 140. Dans les précédens (83 et suiv. ) le poète raconte avec autant de feu que de précision les périls, les mouvemens de l'armée ; il en nomme les chefs, il décrit les moindres circonstances de l'attaque et de son succès; puis, terminant le sujet sans altérer le charme qu'il a fait naître, il ramène ainsi l'auditeur à l'illusion de sa fable, et la soutient jusqu'au bout avec

Du fleuve ainsi dompté la déroute éclatante 1 A Wurts jusqu'en son camp va porter l'épouvante. Wurts, l'espoir du pays, et l'appui de ses murs; Wurts..Ah!quel nom, grandroi, quel Hector que ceWurts!3 Sans ce terrible nom, mal né pour les oreilles, 145 Que j'allais à tes yeux étaler de merveilles!

4

Bientôt on eût vu Skink dans mes vers emporté
De ses fameux remparts démentir la fierté; 5
Bientôt..... Mais Wurts s'oppose à l'ardeur qui m'anime.
Finissons, il est temps: aussi bien si la rime
Allait mal-à-propos m'engager dans Arnheim,
Je ne sais pour sortir de porte qu'Hildesheim. ©

150

le même art. Un bruit s'épand, etc. (vers 132 à 140)... Admirable conclusion en tout conforme à l'exorde et au nœud allégoriquement formé dans le goût antique; notre glaciale méthode ne supporte pas la concurrence avec celle-ci. On a chanté de plus grands exploits militaires que le passage du Rhin, sans leur attacher une célébrité si durable. 1. Lemercier, III, 65.

[ocr errors]

1 Qui a jamais ouï parler de la déroute éclatante d'un fleuve? Cette épithète est plus propre à la victoire qu'à la déroute. Desmarets, 68. La déroute d'un fleuve, quand le fleuve est personnifié déjà, devient une belle expression. Le Brun.

2 Commandant de l'armée ennemie. Boil., 1713.

3

Il s'effraie ici d'avoir à prononcer le nom du général Wurts, comme ci-devant (v. 5 à 16) celui des villes hollandaises: mais il renchérit cette sottise par une nouvelle impertinence. C'est qu'il fait rimer ce mot dont il nous représente la prononciation comme effroyable, avec Murs, qui est une diction française où personne jusqu'ici n'a rien trouvé de rude. Sainte-Garde, 7.

4 Un nom mal né est admirable... Au reste quand Boileau a fait une centaine de vers, il est à bout et plus épuisé que nos guerriers. Desmarets, 69; Pradon, 61, - M. Fabre (voy. p. 29, note 2) range cette expression mal né, au nombre des heureuses hardiesses de Boileau.

62.

5 Voilà un grand malheur pour le roi! Pradon, 62. Démentir la fierté Démentir est heureux... Le Brun.

6 C'est au sujet de ces vers (147 à 152) comparés aux vers 132 à 40 (un bruit s'épand, etc.), que Voltaire fait l'observation rapportée à la note du vers 20 (p. 41).

Oh! que le ciel, soigneux de notre poésie, 1
Grand roi, ne nous fit-il plus voisins de l'Asie!
Bientôt victorieux de cent peuples altiers,
Tu nous aurais fourni des rimes à milliers.
Il n'est plaine en ces lieux si sèche et si stérile
Qui ne soit en beaux mots partout riche et fertile.
Là, plus d'un bourg fameux par son antique nom
Vient offrir à l'oreille un agréable son.

4

155

160

165

Quel plaisir de te suivre aux rives du 2 Scamandre;
D'y trouver d'Ilion la poétique cendre; 3
De juger si les Grecs, qui brisèrent ses tours,
Firent plus en dix ans que Louis en dix jours!
Mais pourquoi sans raison désespérer ma veine?
Est-il dans l'univers de plage si lointaine
Où ta valeur, grand roi, ne te puisse porter,
Et ne m'offre bientôt des exploits à chanter?
Non, non, ne faisons plus de plaintes inutiles :
Puisqu'ainsi dans deux mois tu prends quarante villes, 170
Assuré des beaux 5 vers dont ton bras me répond,

Soigneux de notre poésie, me paraît un peu faible. Le Brun.

2 V.. 1701, in-12, DE Scamandre: c'est une faute, dit Brossette. Voy. à ce sujet tome III, l'article de ses erreurs, no 22.

3 La poétique cendre; expression qui enrichissait la langue poétique pour la première fois. Le Brun.

4 Louange inattendue, et par cela même encore plus admirable. Le Brun. 5 V. O. et E. Texte de toutes les éditions de 1672 à 1713 (quarante, dont quatorze originales).

Brossette, sans en donner aucun motif, a le premier substitué bons à beaux, et a été suivi par tous les éditeurs, excepté Schelte, 1726; Fabry, 1732; Brunel, 1736; Souchay, 1740; Vestein, 1741; Didot, 1781, et Auger, in-32, 1825 (on a remis bons dans l'in-8°, qui est postérieur... Voy. tome I, Not. Bibl., § 1, no 243 et 246). Il est possible que cette expression soit aussi bonne que l'autre (tel est du moins l'avis d'un de nos premiers poètes,

Je t'attends dans deux ans aux bords de l'Hellespont. 1

que nous avons consulté), mais enfin Boileau n'en a point jugé ainsi, et ce sont les vers de Boileau et non pas ceux de Brossette que nous devons donner au public.

1 Boileau tombe ici dans le ridicule qu'il avait reproché aux poètes médiocres (Voy. épît. 1, v. 25 et 26, ci-dev., p. 11).

N'avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,

Comme lui dans nos vers, pris Memphis et Byzance?

C'est la remarque de l'auteur des Réflexions sur la critique déjà citées (Voy. Saint-Marc, V, 448)... Il nous semble que l'exagération de Boileau ne choque point ici, parce qu'elle est amenée avec beaucoup d'art par les vingt vers qui précèdent.

Le même auteur dit que la fin de cette épître sent la déclamation et est ennuyeuse par le jeu de mots qui la termine.

Cette épître, observe Le Brun, est couronnée par un vers extrêmement énergique; je t'attends, etc... Les consonnances du premier hémistiche, loin d'être désagréables, donnent de l'attitude à ce vers d'autant plus heureux, qu'il semble commander la destinée du héros : le monarque est alors comme subordonné à l'inspiration du poète. - M. Amar (Monit. 28 mars 1808), rappelant qu'on a reproché au même hémistiche ses consonnances désagréables, doute qu'on puisse souscrire à ce jugement de Le Brun (dans son édition de Boileau il ne reproduit point cette remarque.).

ÉPITRE V.'

A MONSIEUR DE GUILLERAGUES,

SECRÉTAIRE DU CABINET. 2

3

ESPRIT né pour la cour, et maître en l'art de plaire,
Guilleragues, qui sais et parler et te taire,
Apprends-moi si je dois ou me taire, ou parler.
Faut-il dans la satire encor me signaler,

5

Et, dans ce champ fécond en plaisantes malices,
Faire encore aux auteurs redouter mes caprices?
Jadis, non sans tumulte, on m'y vit éclater,
Quand mon esprit plus jeune, et prompt à s'irriter,
Aspirait moins au nom de discret et de sage;
Que mes cheveux plus noirs ombrageaient mon visage.* 10
Maintenant, que le temps a mûri mes desirs, 5
Que mon âge, amoureux de plus sages plaisirs,

1 Composée en 1674 et publiée en 1675. Bross. — Erreur c'est en 1674. Voy. tome I, Not. bibl., § 1, nos 39 et 38, obs. 4.

2 Texte de 1701 et 1713.

V. O. (en part.). 1674 (in-12) à 1682. Secrétaire du cabinet du roi... 1683 à 1698, point de qualité.

à Guilleragues, tome I, Essai, no 8.

3 Perse, sat. Iv, v. 5... Dicenda, tacendaque calles.

Voy. quant

Voilà bien la grâce et la facilité de l'épître: Boileau ne confond jamais les genres. Le Brun.

✦ Ses cheveux commençaient à blanchir. Bross.

5 Maintenant que le temps, faute légère qui pouvait se corriger en mettant aujourd'hui; mais l'auteur avait besoin plus bas de ce dernier mot. Le Brun (voy. note du vers 18).

« PreviousContinue »