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CATON

79 << homines », comme dit Cicéron, dans le Pro Sextio, 67, << longe a nostrorum hominum gravitate disjunctos ».

D'ailleurs, il n'est nullement nécessaire de répéter que l'amour de la vertu, qui est au cœur des Romains, n'est pas un amour désintéressé. Ils acceptent volontiers la peine que la vertu impose, mais ils entendent bien aussi recueillir tous les avantages qu'elle offre. Libre aux Grecs d'estimer le beau pour lui-même. C'est pour eux-mêmes que les Romains pratiquent la vertu.

Messieurs, il y a eu à Rome un homme dont la vie a été la vive représentation, dont le nom est demeuré le vrai symbole du caractère de sa race. Ce type, c'est Caton. Il eut la gravité, la constance, la force, la dignité, la grandeur d'âme, toute la vertu romaine. Au même degré il eut le souci de ses intérêts. C'est pourquoi il fut dur pour ses bêtes, pour ses esclaves, pour ses soldats, pour tous ses concitoyens, dur pour lui-même si bien que tout le jour il travaillait avec ses serviteurs, buvant et mangeant avec eux, l'hiver revêtu d'une simple tunique, l'été nu sous le plus ardent soleil; et puis, quand les travaux cessaient aux champs, il s'en allait, toujours fidèle à ses principes, conduire les soldats à l'ennemi ou plaider dans les villes voisines.

Caton a dit ce mot excellemment romain :

Inertia plus detrimenti facit quam exercitio.

<< L'oisiveté tue plus d'hommes que le travail 1. » Celui-là pouvait tenir ce langage, dont le travail prolongea la vie jusqu'à quatre-vingt-cinq ans, selon Cicéron (Brutus, 20), jusqu'à quatre-vingt-dix ans, selon Tite-Live (Histoires, XXXIX, 40).

1 Aulu-Gelle, Nuits Attiques, XI, 2.

DEUXIÈME LEÇON

Le principal théâtre de l'activité romaine, les champs

Comment l'utile ne fut pas inconnu des Grecs, ni le beau des Latins.

La vie rustique, idéal des Latins.

L'Italie, terre des troupeaux. Porculatores Italici. La place que les Latins ont faite au porc dans leurs fermes, dans leurs divertissements, dans leur nourriture, dans leurs sacrifices. · Leurs divinités rustiques, intéressées; leur religion, marché avec les dieux; cérémonies en leur honneur.

MESSIEURS,

La précédente leçon vous a présenté les Romains comme des hommes actifs et laborieux, plus sensibles à l'utile qu'au beau, et capables, pour servir leurs intérêts, de prendre toutes les peines, selon le mot si juste de Pline l'Ancien :

Nostri omnium utilitatum et virtutum rapacissimi.

Évidemment, Messieurs, je n'ai pas voulu vous faire entendre que les qualités et les défauts du peuple romain lui fussent exclusivement propres ou qu'il les eût toujours au même degré. Dans toute physionomie humaine, l'ensemble des traits qui la composent est particulier. Mais

ces traits divers sont tous plus ou moins communs, et, sans jamais devenir méconnaissables, ils s'altèrent sous l'action du temps. Composé original de traits communs à d'autres peuples et que la variable influence des siècles. a pu changer, mais non détruire, telle est, Messieurs, la physionomie morale du peuple romain que j'ai esquissée devant vous.

Oui, les Romains ont aimé l'utile plus que tout autre peuple. Mais ils n'ont pas été seuls à l'aimer. Moins qu'eux, mais avant eux, les Grecs l'avaient recherché. En effet, lorsque, sous le règne de Cécrops, Poseidon et Athéna se disputèrent la possession d'Athènes, que l'un, de son trident, fit jaillir de la terre le coursier belliqueux, que l'autre y planta le pacifique olivier, si les dieux accordèrent la préférence à Athéna, c'est qu'à leur avis elle avait offert aux mortels le don le plus utile. Comme les Romains, les Grecs avaient l'habitude d'invoquer la bonne Fortune.

Les Romains ont été hommes d'action, mais non à l'exclusion des autres peuples. Si Achille, le type de la race grecque, a été reconnu pour tel par la poésie et l'histoire, c'est qu'il avait appris de son vieux maître, Phénix, l'art de bien agir en même temps que celui de bien parler,

Μύθων τε ρητῆς ἔμεναι, πρακτῆρά τε ἔργων,

comme dit Homère, Iliade, ix, 443;

Oratorem verborum actoremque rerum,

comme dit Cicéron, De Oratore, III, 15. Et si Alexandre a été, de tous les conquérants de la Grèce, le plus grand et le plus illustre, c'est que, lui aussi, avait appris les mêmes leçons de son maître, Aristote.

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Sapientissimus rex, Philippus, hunc Alexandro filio doctorem acciit, a quo eodem ille et agendi acciperet præcepta et eloquendi.

Ainsi dit Cicéron dans le De oratore, III, 35.

Il y a de l'enthousiasme, mais d'abord beaucoup de vérité, dans l'éloge que Bossuet fait des poètes de la Grèce, lorsqu'il écrit, au cinquième chapitre de la troisième partie de son Discours sur l'histoire universelle : « Les poètes mêmes, qui étaient dans les mains de tout le peuple, les instruisaient plus encore qu'ils ne les divertissaient. Le plus renommé des conquérants regardait Homère comme un maître qui lui apprenait à bien régner. Ce grand poète n'apprenait pas moins à bien obéir et à être bon citoyen. Lui et tant d'autres poètes, dont les ouvrages ne sont pas moins graves qu'ils ne sont agréables, ne célèbrent que les arts utiles à la vie humaine, ne respirent que le bien public, la patrie, et cette admirable civilité que nous avons expliquée. »>

Gens utilitaires et pratiques avant tout, les Romains n'ont pourtant pas toujours été tels à un égal degré. Marius préférait encore les exercices des camps à l'éloquence des Grecs et aux formes de l'urbanité romaine; mais Sylla possédait, et au plus haut degré, les lettres grecques et latines (Salluste, De bello Jugurthino, 63 et 95). Des contemporains de la jeunesse de Caton à ceux de sa vieillesse, les goûts ont grandement changé; les Romains ont fait une large place à l'amour du beau à côté de leur passion innée pour l'utile, et, si rude que fût leur nature, ils n'ont pas pu cependant entrer en contact avec les Grecs sans s'adoucir, sans s'humaniser.

Humanitas! Pline le Jeune, Lettres, vIII, 24, nous apprend qu'elle naquit en Grèce avec la littérature :

In Græcia primum humanitas et litteræ inventæ esse creduntur,

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