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Hanc olim veteres vitam coluere Sabini,
Hanc Remus et frater, sic fortis Etruria crevit
Scilicet et rerum facta est pulcherrima Roma,
Septemque una sibi muro circumdedit arces.

(Géorgiques, 11, 458-535 )

Messieurs, ne vous imaginez pas que Virgile, célébrant en des termes aussi enthousiastes l'heureuse vie de la campagne, ne parlait que pour lui. Sa parole trouvait son écho dans le cœur de ses compatriotes, quand il déclarait les hommes des champs les plus heureux du monde. En effet, si tous n'avaient pas assez de courage pour s'arracher à la ville et retourner à la campagne; si, comme Alfius, le « futurus rusticus » d'Horace (Épodes, I), ils s'occupaient d'abord de faire rentrer leur argent aux ides et de chercher un meilleur placement pour les calendes, ils étaient néanmoins sincères dans leur admiration des divers avantages de la vie rustique, ils ne les avaient point encore assez oubliés pour ne plus préférer à la vie agitée, artificielle, aux luttes violentes, aux rivalités criminelles de la ville, les voix et les vues des champs, et les loisirs et les jeux des paysans, et leurs tranquilles joies et leurs fortes vertus.

Vous voudrez bien relire vous-mêmes l'éloge de la vie champêtre. Vous y ajouterez cet autre éloge où, dans le même livre des Géorgiques (136-174), Virgile célèbre les incomparables avantages de l'Italie, ses moissons, ses vins, ses oliviers, ses troupeaux, ses coursiers, ses printemps, ses étés, et en même temps ses villes fameuses, ses forteresses, ses rivières, ses lacs, ses mers, ses ports, ses veines d'argent, ses mines d'airain, sa forte race de guerriers. Vous irez jusqu'au salut final où éclatent toute l'admiration et tout l'amour du poète romain pour sa patrie, également féconde en moissons et en héros :

ÉLOGES DE LA VIE CHAMPÊTRE ET DE L'ITALIE 145

Salve, magna parens frugum, Saturnia tellus,

Magna virum !

Alors, vous aurez la plus forte expression de l'amour des Romains pour la vie des champs, à laquelle il nous est impossible de rien ajouter. Et du même coup, vous vous trouverez transportés sur le second théâtre où s'est exercée l'activité romaine, dans les camps.

Salve, magna parens frugum...

Magna virum ! 1.

Virgile aime à rappeler ces deux gloires de l'Italie. C'est ainsi qu'il fait dire à Iliqnée, dans l'Enéide, 1, 530-531 :

Est locus, Hesperiam Graii cognomine dicunt,
Terra antiqua, potens armis atque ubere glebæ.

ΙΟ

QUATRIÈME LEÇON

Les autres théâtres de l'activité romaine, les camps et le forum

La vocation militaire des Romains. Leurs armées, bien exercées, bien organisées, bien disciplinées. L'empreinte de leur vie militaire sur leur langue. Le forum. Le droit et l'éloquence. Les procès dans la vie des Romains. Deux Romains dont l'un n'a aucune des habitudes de sa nation, et dont l'autre les a toutes: M. Brutus et Caton.

-

MESSIEURS,

A Rome, l'agriculteur faisait le soldat. C'était l'avis de Caton. C'était aussi l'avis d'Horace, lorsque, dans ses Odes, 1, 6, 37-39, il célébrait cette mâle génération de rustiques soldats qui avait appris à retourner la terre avec le hoyau des Sabins :

Rusticorum mascula militum
Proles, Sabellis docta ligonibus
Versare glebas.

De même que les soldats, les chefs eux-mêmes se formaient par la culture de la terre. Bossuet nous dit, en effet, dans son Discours sur l'histoire universelle, III, 6: «< On les trouvait occupés de labourage et des autres

soins de la vie rustique, quand on allait les quérir pour commander les armées. » Avant Bossuet, Cicéron, De senectute, 16, avait fait la même observation :

A villa in senatum arcessebantur et Curius et ceteri senes. Aranti Quinctio Cincinnato nuntiatum est eum dictatorem esse factum.

Ainsi le vieux Romain passait des champs aux camps, de l'agriculture à la guerre, n'ayant pas de plus graves soucis que de dompter la terre ou de battre en brèche les murs des villes ennemies, comme le dit Virgile, dans son Énéide, IX, 608 :

Aut rastris terram domat, aut quatit oppida bello.

Mais le temps vint où le Romain se montra plus guerrier qu'agriculteur, où Caton, qui passe, chez les modernes, pour le plus grand cultivateur de Rome, fut le plus ardent prôneur de la guerre sans merci contre Carthage.

Les Romains, ces « paysans victorieux », comme les appelle Balzac, cette race amie du glaive et de la lutte,

gladio pugnacissima gens »>, comme les appelle Quintilien, Institution oratoire, Ix, 3, étaient vraiment nés pour les combats. L'art de la guerre était un art éminemment romain, et, comme le dit Ovide, dans ses Fastes, III, 103,

Qui bene pugnarat, romanam noverat artem;

l'art qui a donné aux Romains leur supériorité sur les autres peuples du monde.

Tantum romana in bellis gloria ceteris præstat,

dit Quintilien, Institution oratoire, 1, 11. Si nous en croyons l'Histoire romaine de Dion Cassius, xxxIII, 40, César disait à ses soldats mutinés, devant Besançon : «Ne pas combattre, c'est ne pas être Romain. » Les

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