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l'année 1789; nous sommes revenus, après de longs égarements, au point du départ : mais combien de voyageurs sont restés sur la route!

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Tout ce qu'on peut faire par la violence, on peut l'exécuter par la loi; le peuple qui a la force de proscrire, a la force de contraindre à l'obéissance sans proscription. S'il est jamais permis de transgresser la justice sous le prétexte du bien public, voyez où cela vous conduit : vous êtes aujourd'hui le plus fort; vous tuez pour la liberté, l'égalité, la tolérance; demain vous serez le plus foible et l'on vous tuera pour servitude, l'inégalité, le fanatisme. Qu'aurez-vous à dire? Vous étiez un obstacle à la chose qu'on vouloit; il a fallu vous faire disparoître; fâcheuse nécessité sans doute, mais enfin nécessité : ce sont là vos principes; subissez-en la conséquence. Marius répandoit le sang au nom de la démocratie, Sylla au nom de l'aristocratie; Antoine, Lépide et Auguste trouvèrent utile d'écimer les têtes qui rêvoient encore la liberté romaine. Ne blamons plus les égorgeurs de la Saint-Barthélemy; ils étoient obligés (bien malgré eux sans doute) d'ainsi faire pour arriver à leur but.

Il n'a péri, dit-on, que six mille victimes par les tribunaux révolutionnaires. C'est peu! Reprenons les choses à leur origine.

Le premier n°. du Bulletin des lois contient le décret qui institue le tribunal révolutionnaire : on maintient ce décret à la tête de ce recueil, non pas, je suppose, pour en faire usage en temps et lieu, mais comme une inscription redoutable gravée au fronton du Temple des lois, pour

épouvanter le législateur et lui inspirer l'horreur de l'injustice. Ce décret prononce que la seule peine portée par le tribunal révolutionnaire est la peine de mort. L'article 9 autorise tout citoyen à saisir et à conduire devant les magistrats, les conspirateurs et les contre-révolutionnaires; l'art. 13 dispense de la preuve testimoniale; et l'art. 16 prive de défenseur les conspirateurs. Ce tribunal étoit sans appel.

Voilà d'abord la grande base sur laquelle il nous faut asseoir notre admiration: honneur à l'équité révolutionnaire! honneur à la justice de la caverne! Maintenant, compulsons les actes émanés de cette justice. Le Républicain Prudhomme, qui ne haïssoit pas la Révolution et qui a écrit lorsque le sang étoit tout chaud, nous a laissé six volumes de détails. Deux de ces six volumes sont consacrés à un dictionnaire où chaque criminel se trouve inscrit à sa lettre alphabétique, avec son nom, prénoms, áge, lieu de naissance, qualité, domicile, profession, date et motif de la condamnation, jour et lieu de l'exécution. On y trouve parmi les guillotinés, 18,613 victimes ainsi réparties:

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Dans ces nombres, ne sont pas compris les massacrés à Versailles, aux Carmes, à l'Abbaye, à la glacière d'Avignon, les fusillés de Toulon et de Marseille après les siéges de ces deux villes, et les égorgés de la petite ville provençale de Bédoin, dont la population périt toute entière.

Pour l'exécution de la loi des suspects, du 21 septembre 1793, plus de cinquante mille comités révolutionnaires furent installés sur la surface de la France. D'après les calculs du conventionnel Cambon, ils coûtoient annuellement cinq cent quatrevingt-onze millions (assignats). Chaque membre

TOME IV.

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de ces comités recevoit trois francs par jour, et ils étoient cinq cent quarante mille c'étoit cinq cent quarante mille accusateurs ayant droit de désigner à la mort. A Paris, seulement, on comptoit soixante comités révolutionnaires; chacun d'eux avoit sa prison pour la détention des suspects.

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Vous remarquerez que ce ne sont pas simplement des nobles, des prêtres, des religieux qui figurent ici dans le registre mortuaire; s'il ne s'agissoit que de ces gens-là, la Terreur seroit véritablement la Vertu canaille! sotte espèce ! Mais voilà 18,923 hommes non nobles, de divers états, et 2,231 femmes de laboureurs ou d'artisans, 2,000 enfants guillotinés, noyés et fusillés : à Bordeaux on exécutoit pour crime de négociantisme. Des femmes mais savez-vous que dans aucun pays, dans aucun temps, chez aucune nation de la terre, dans aucune proscription politique les femmes n'ont été livrées au bourreau, si ce n'est quelques têtes isolées à Rome sous les empereurs, en Angleterre sous Henri VIII, la reine Marie et Jacques II? La Terreur a seule donné au monde le lâche et impitoyable spectacle de l'assassinat juridique des femmes et des enfans en masse.

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Le Girondin Riouffe, prisonnier avec Vergniaux, madame Rolland et leurs amis à la Conciergerie, rapporte ce qui suit dans ses Mémoires d'un détenu : «Les femmes les plus belles, les plus jeunes, les

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plus intéressantes, tomboient pêle-mêle dans ce gouffre (l'Abbaye), dont elles sortoient pour aller >> par douzaine inonder l'échafaud de leur sang.

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»On eût dit que le gouvernement étoit dans les mains de ces hommes dépravés, qui, non contents

» d'insulter au sexe par des goûts monstrueux, lui » vouent encore une haine implacable. De jeunes » femmes enceintes, d'autres qui venoient d'accou

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cher et qui étoient encore dans cet état de foi» blesse et de pâleur qui suit ce grand travail de la » nature qui seroit respecté par les peuples les plus sauvages; d'autres dont le lait s'étoit arrêté » tout à coup, ou par frayeur, ou parce qu'on » avoit arraché leurs enfants de leur sein, étoient jour et nuit précipitées dans cet abîme. Elles » arrivoient traînées de cachots en cachots, leurs » faibles mains comprimées dans d'indignes fers: on en a vu qui avoient un collier au cou. Elles >> entroient les unes évanouies et portées dans les > bras des guichetiers qui en rioient, d'autres en » état de stupéfaction qui les rendoit comme im» béciles vers les derniers mois surtout (avant le » 9 thermidor), c'étoit l'activité des enfers jour >> et nuit les verroux s'agitoient; soixante per>> sonnes arrivoient le soir pour aller à l'échafaud; » le lendemain elles étoient remplacées par cent » autres, que le même sort attendoit le jour sui

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Quatorze jeunes filles de Verdun, d'une can» deur sans exemple, et qui avoient l'air de jeunes » vierges parées pour une fête publique, furent » menées ensemble à l'échafaud. Elles disparurent » tout à coup et furent moissonnées dans leur printemps La Cour des Femmes avoit l'air, le » lendemain de leur mort, d'un parterre dégarni » de ses fleurs par un orage. Je n'ai jamais vu >> parmi nous de désespoir pareil à celui qu'excita » cette barbarie.

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