Page images
PDF
EPUB

:

L'inscription est replacée y restera-t-elle ? Qui sait ce que renferme l'avenir? Qui connoît les grands hommes et qui les juge? Je ne veux rien poursuivre sous le couvercle d'un cercueil; quand la mort a appliqué sa main sur le visage d'un homme, il ne reste plus d'espace à l'insulte; mais les passions politiques sont moins scrupuleuses, et pourvu qu'une révolution dure quelques années, il est peu de gloire qui soit en sûreté dans la tombe. En comparant le récit de M. Thiers à celui de madame de Staël, on pourra saisir quelquesuns des secrets du talent.

Passons à la mort de Louis XVI. L'innocence de

la victime s'emparant du génie de l'auteur, le subjugue et se reproduit toute entière dans ces éloquentes paroles:

[ocr errors]

« Dans Paris régnoit une stupeur profonde; l'au» dace du nouveau gouvernement avoit produit l'ef» fet ordinaire que la force produit sur les masses; » elle les avoit paralysées et réduites au silence. Le » conseil exécutif étoit chargé de la douloureuse mis>>sion de faire exécuter la sentence. Tous les ministres » étoient réunis dans la salle de leur séance et comme frappés de consternation. Le tambour battoit dans » la capitale; tous ceux qu'aucune obligation n'ap» peloit à figurer dans cette terrible journée se ca» choient chez eux. Les portes et les fenêtres étoient » fermées, et chacun attendoit chez soi le triste évé »nement. A huit heures, le roi partit du Temple. » Des officiers de gendarmerie étoient placés sur le » devant de la voiture. Ils étoient confondus de la piété et de la résignation de la victime. Une mul>>titude armée formoit la haie. La voiture s'avançoit

[ocr errors]

» lentement au milieu du silence universel. On avoit » laissé un espace vide autour de l'échafaud. Des > canons environnoient cet espace, et la vile populace, toujours prête à outrager le génie, la vertu » et le malheur, se pressoit derrière les rangs des » fédérés, et donnoit seule quelques signes exté>> rieurs de satisfaction. »

[ocr errors]

Les campagnes d'Italie forment dans l'ouvrage de M. Thiers un épisode à part, qui suffiroit seul pour assigner à l'auteur un rang élevé parmi les historiens.

Après cet hommage sans réserve rendu aux chefs de l'école politique Fataliste, il me sera peut-être loisible de hasarder des réflexions sur leur système, parce qu'on en a étrangement abusé.

Les écoliers, comme il arrive toujours, n'ayant point le talent des maîtres, croient les surpasser en exagérant leurs principes. Il s'est formé une petite secte de théoristes de Terreur, qui n'a d'autre but que la justification des excès révolutionnaires; espèce d'architectes en ossements et en têtes de morts, comme ceux qu'on trouve à Rome dans les catacombes. Tantôt les égorgements sont des conceptions pleines de génie, tantôt des drames terribles dont la grandeur couvre la sanglante turpitude. On transforme les événements en personnages; on ne vous dit pas « admirez Marat,» mais « admirez ses œuvres ; » le meurtrier n'est pas beau, le meurtre qui est divin. Les membres des comités révolutionnaires pouvoient être des assassins publics, mais leurs assassinats sont sublimes, car voyez les grandes choses qu'ils ont produites. Les hommes ne sont rien; les choses sont tout et les

c'est

choses ne sont point coupables. On disoit autrefois «détestez le crime et pardonnez au criminel » ; si l'on en croyoit les parodistes de MM. Thiers et Mignet, la maxime seroit renversée et il faudroit dire « détestez le criminel et pardonnez..... que dis-je, pardonnez! aimez, révérez le crime ! »

[ocr errors]

:

Il faut que l'historien dans ce système raconte les plus grandes atrocités sans indignation et parle des plus hautes vertus sans amour; que d'un œil glacé il regarde la société comme soumise à certaines lois irrésistibles, de manière que chaque chose arrive comme elle devoit inévitablement arriver. L'innocent ou l'homme de génie doit mourir, non pas parce qu'il est innocent ou homme de génie, mais parce que sa mort est nécessaire et que sa vie mettroit obstacle à un fait général placé dans la série des événements. La mort ici n'est rien; c'est l'accident plus ou moins pathétique : besoin étoit que tel individu disparût pour l'avancement de telle chose, pour l'accomplissement de telle vérité.

Il y a mille erreurs détestables dans ce système. La fatalité, introduite dans les affaires humaines, n'auroit pas même l'avantage de transporter à l'histoire l'intérêt de la fatalité tragique. Qu'un personnage sur la scène soit victime de l'inexorable destin; que malgré ses vertus il périsse: quelque chose de terrible résulte de ce ressort mis en mouvement par le poëte. Mais que la société soit représentée comme une espèce de machine qui se meut aveuglément par des lois physiques latentes; qu'une révolution arrive par cela seul qu'elle doive arriver; que sous les roues de son

[ocr errors]

char, comme sous celles du char de l'idole indienne, soient écrasés au hasard innocents et coupables; que l'indifférence ou la pitié soit la même à l'égard du vice et de la vertu cette fatalité de la chose, cette impartialité de l'homme sont hébétées et non tragiques. Ce. niveau historique, loin de décéler la vigueur, ne trahit que l'impuissance de celui qui le promène sur les faits. J'ose dire que les deux historiens qui ont produit de si déplorables imitateurs, étoient très-supérieurs à l'opinion dont on a cru trouver le germe dans leurs ouvrages.

Non, si l'on sépare la vérité morale des actions humaines, il n'est plus de règle pour juger ces actions; si l'on retranche la vérité morale de la vérité politique, celle-ci reste sans base; alors il n'y a plus aucune raison de préférer la liberté à l'esclavage, l'ordre à l'anarchie. Mon intérêt ! direzvous. Qui vous a dit que mon intérêt est l'ordre et la liberté? Si j'aime le pouvoir, moi, comme tant de révolutionnaires? Si je veux bien abaisser ce que j'envie, mais si je ne me contente pas d'être un citoyen pauvre et obscur, au nom de quelle loi m'obligerez-vous à me courber sous le joug de vos idées ? - Par la force. Mais si je suis le plus fort?

En détruisant la vérité morale, vous me rendez à l'état de nature; tout m'est permis, et vous êtes en contradiction avec vous-même quand vous venez, afin de me retenir, me parler de certaines nécessités que je ne reconnois pas. Ma règle est mon bras : vous l'avez déchaîné, je l'étendrai pour prendre ou frapper au gré de ma cupidité ou de ma haine.

Grâces au ciel il n'est pas vrai qu'un crime soit jamais utile, qu'une injustice soit jamais nécessaire. Ne disons pas que si dans les révolutions tel homme innocent ou illustre, opposé d'esprit à ces révolutions, n'avoit péri, il en eût arrêté le cours; que le tout, ne doit pas être sacrifié à la partie. Sans doute cet homme de vertu ou de génie eût pu ralentir le mouvement, mais l'injustice ou le crime accomplis sur sa personne retardent mille fois plus ce même mouvement. Les souvenirs des excès révolutionnaires, ont été et sont encore parmi nous les plus grands obstacles à l'établissement de. la liberté.

Si taisant ce que la Révolution a fait de bien, ce qu'elle a détruit de préjugés, établi de libertés dans la France, on retraçoit l'histoire de cette Révolution par ses crimes sans ajouter un seul mot, une seule réflexion au texte, mettant seulement bout à bout toutes les horreurs qui se sont dites et perpétrées dans Paris et les provinces pendant quatre ans, cette tête de Méduse feroit reculer pour des siècles le genre humain jusqu'aux dernières bornes de la servitude; l'imagination épouvantée se refuseroit à croire qu'il y ait eu quelque chose de bon caché sous ces attentats. C'est donc une étrange méprise que de glorifier ces attentats pour faire aimer la Révolution. Ce n'est point l'année 1793 et ses énormités qui ont produit la liberté ; ce temps d'anarchie n'a enfanté que le despotisme militaire; ce despotisme dureroit encore si celui qui avoit rendu la gloire sa complice, avoit su mettre quelque modération dans les jouissances de la victoire. Le régime constitutionnel est sorti des entrailles de

« PreviousContinue »