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de Selden (Londres, 1652): on aura alors à peu près tout ce qui est relatif aux mœurs communes de l'Angleterre et de la France. La réunion des anciens historiens anglois, écossois, irlandois et normands de Camden ne vaut pas sa Britannia descriptio; c'est celle-là qu'il faut étudier pour les origines romaines et barbares. Le génie des Normands lié si intimement au nôtre, se décèle surtout dans le Doomsdaybook: ce document, d'un prix inestimable, a été imprimé en 1783, par ordre du parlement d'Angleterre. On le compléteroit en consultant le Pouillé général du clergé d'Angleterre et du pays de Galles, auquel Édouard II fit travailler en 1291; le manuscrit de ce Pouillé est aux bibliothèques d'Oxford. La principauté de Galles, les comtés de Northumberland, de Cumberland, de Westmoreland et de Durham manquent au Doomsdaybook: cette statistique offre le détail des terres cultivées, habitées où désertes de l'Angleterre, le nombre des habitans libres ou serfs et jusqu'à celui des troupeaux et des ruches d'abeilles. Dans le Doomsdaybook, sont grossièrement dessinées les villes et les abbayes.

Il ne faut pas négliger de consulter les cartes du Moyen Age; elles sont utiles non-seulement pour la géographie historique, mais encore parce qu'à l'aide des noms propres de lieu on retrouve des origines de peuples. Dans le périple de Wulfstan, par exemple, l'île de Bornholm est appelée Burgenda-land, et dans l'ouvrage historique de Snorron, Heims-Kringla, on voit que les Scandinaves disoient Borgundar-holm : voilà la patrie des Burgundes ou des Bourguignons. En ne pressant pas

trop ces indications, on en tire un bon parti; mais il ne faudroit pas, comme plusieurs auteurs allemands, se figurer qu'une tribu de Franks prit le nom de Salii, parce qu'elle campoit sur les bords de la Saale en Franconie. Le gouvernement anglois a employé, à Rome, le savant Marini à la collection des lettres des papes et des autres pièces relatives à l'histoire de la Grande-Bretagne, depuis l'an 1216.

Le Portugal et l'Espagne fournissent d'autres espèces de documents. Les langues qu'on parloit dans le midi de la Gaule, avant que ces langues eussent été envahies par le picard ou le françois wallon, étoient parlées dans la Catalogne, le long du cours de l'Ebre, et se répandoient derrière les Basques par les vallées des Astures, jusque dans les Lusitanies. Les poèmes primitifs du Cid et les Romances de la même époque, les anciennes lois maritimes de Barcelone, le récit de l'expédition de la Grande Compagnie Catalane en Morée, doivent être lues la plume à la main par l'historien françois; il trouvera aujourd'hui de nouveaux éclaircissements dans les Antiquités du droit maritime, savant ouvrage de M. Pardessus, et dans la Chronique en grec-barbare des guerres des François en Romanie et en Morée, publiée par M. Buchon à qui l'on doit de si utiles éditions.

Alphonse Ier., roi de Castille, surnommé le Sage, a laissé en vieux espagnol un corps de législation bon à consulter. Alphonse remonte souvent aux lois premières; il y a un ton de candeur et de vertu dans l'exposé de ses Institutions,

qui rend ce roi de Castille un digne contemporain de saint Louis.

Parmi les chroniqueurs espagnols, Idace doit être recherché pour la peinture des mœurs des Suèves et des Goths, et pour celle des ravages de ces peuples dans les Espagnes et les Gaules; mais il y a plus à prendre dans Isidore de Séville, postérieur à Idace d'environ cent cinquante ans. Il faut lire particulièrement dans Isidore la fin de sa Chronique, depuis l'an 500 de Jésus-Christ, son Histoire des Rois goths, vandales et suèves, son livre des Etymologies, sa Règle pour les moines de l'Andalousie et ses ouvrages de Grammaire. Dans la collection des historiens espagnols en quatre volumes in-folio, l'ordre chronologique des auteurs n'a point été suivi; parmi les bruts matériaux de l'histoire d'Espagne, git le travail des écrivains molernes et en particulier Historia de rebus hispanicis de Mariana. Les premiers livres de cette histoire sont excellents, surtout dans la traduction espagnole. Il y a deux cents pages à parcourir dans les antiquités lusitaniennes de Resend.

En descendant de l'Espagne à l'Italie, on retrouve la civilisation qui ne périt jamais sur la terre natale des Romains. Néanmoins le royaume d'Odoacre, celui des Goths, celui des Lombards ont laissé des documents où l'on reconnoît la trace des Barbares. Les collections de Muratori offrent seules une large moisson. Mais nous avons négligé d'ouvrir, lorsque nous le pouvions, deux sources, l'Escurial et le Vatican, dont l'abondance auroit renouvelé une partie de l'histoire moderne. Qu'on en juge par un fait presqu'entièrement ignoré : il

TOME IV.

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est d'usage de tenir un registre secret sur lequel est inscrit heure par heure, tout ce que dit, fait et ordonne un pape pendant la durée de son pontificat. Quel trésor qu'un pareil journal!

ARCHIVES FRANÇOISES.

Parlons de ce qui nous appartient et indiquons nos propres richesses. Rendons d'abord un éclatant hommage à cette école des Bénédictins que rien ne remplacera jamais. Si je n'étois maintenant un étranger sur le sol qui m'a vu naître ; si j'avois le droit de proposer quelque chose, j'oserois solliciter le rétablissement d'un ordre qui a si bien mérité des lettres. Je voudrois voir revivre la congrégation de Saint-Maur et de SaintVannes dans l'abbatial de Saint-Denis, à l'ombre de l'église de Dagobert, auprès de ces tombeaux dont les cendres ont été jetées au vent au moment où l'on dispersoit la poussière du Trésor des Chartes il ne falloit aux enfants d'une liberté sans loi, et conséquemment sans mère, que des bibliothéques et des sépulcres vides.

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Des entreprises littéraires qui devoient durer des siècles demandoient une société d'hommes consacrés à la solitude, dégagés des embarras matériels de l'existence, nourrissant au milieu d'eux les jeunes élèves héritiers de leur robe et de leur savoir. Ces doctes générations enchaînées au pied des autels, abdiquoient à ces autels les passions du monde, renfermoient avec candeur toute leur vie dans leurs études,

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semblables à ces ouvriers ensevelis au fond des mines d'or, qui envoient à la terre des richesses dont ils ne jouiront pas. Gloire à ces Mabillon, à ces Montfaucon, à ces Martène, à ces Ruinart, à ces Bouquet, à ces Dachery, à ces Vaissette, à ces Lobineau, à ces Calmet, à ces Ceillier, à ces Labat, à ces Clémencet et à leurs revérends confrères, dont les œuvres sont encore l'intarissable fontaine où nous puisons tous tant que nous sommes nous qui affectons de les dédaigner ! Il n'y a pas de frère lai, déterrant dans un obituaire le diplôme poudreux que lui indiquoit Don Bouquet ou Don Mabillon, qui ne fût mille fois plus instruit que la plupart de ceux qui s'avisent aujourd'hui, comme moi, d'écrire sur l'histoire, de mesurer du haut de leur ignorance ces larges cervelles qui embrassoient tout, ces espèces de contemporains des Pères de l'Église, ces hommes du passé gothique et des vieilles abbayes, qui sembloient avoir écrit eux-mêmes les chartes qu'ils déchiffroient. Où en est la collection des historiens de France? Que sont devenus tant d'autres travaux gigantesques! Qui achèvera ces monuments autour desquels on n'aperçoit plus que les restes vermoulus des échafauds où les ouvriers ont disparu?

Les Bénédictins n'étoient pas le seul corps savant qui s'occupât de nos antiquités; dans les autres sociétés religieuses ils avoient des émules et des rivaux. On doit aux jésuites la collection des Hagiographes, laquelle a pris son nom de l'érudit qui l'a commencée. Le père Hardouin, mon compatriote, ignoroit-il quelque chose, esprit un peu singulier toutefois? Le père Labbe doit être

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