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autographe que j'ai sous les yeux. Voici un passage, assurément bien remarquable, de cette lettre.

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Hardenberg, ce 11 octobre 1811.

« J'ai continué à travailler du mieux que j'ai pu » au milieu de tant d'idées tristes. Pour la pre» mière fois je verrai, j'espère, dans peu de jours » la totalité de mon Histoire du polythéisme rédigée. J'en ai refait tout le plan et plus des trois » quarts des chapitres. Il l'a fallu, pour arriver à » l'ordre que j'avois dans la tête et que je crois >> avoir átteint ; il l'a fallu encore parce que, comme » vous savez, je ne suis plus ce philosophe intrépide, sûr qu'il n'y a rien après ce monde, et > tellement content de ce monde qu'il se réjouit qu'il n'y en ait pas d'autre. Mon ouvrage est une singulière preuve de ce que dit Bacon, qu'un peu » de science mène à l'athéisme et plus de science à » la religion. C'est positivement en approfondis» sant les faits, en en recueillant de toutes parts, » et en me heurtant contre les difficultés sans nom»bre qu'ils opposent à l'incrédulité, que je me suis >vu forcé de reculer dans les idées religieuses. Je » l'ai fait certainement de bien bonne foi; car cha» que pas rétrograde m'a coûté. Encore à présent >> toutes mes habitudes et tous mes souvenirs sont philosophiques, et je défends poste après poste » tout ce que la religion reconquiert sur moi. Il y » a même un sacrifice d'amour-propre, car il est

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» difficile, je le pense, de trouver une logique plus » serrée que celle dont je m'étois servi pour atta» quer toutes les opinions de ce genre. Mon livre » n'avoit absolument que le défaut d'aller dans le » sens opposé à ce qui à présent me paroît vrai et » bon, et j'aurois eu un succès de parti indubita» ble. J'aurois pu même avoir encore un autre » succès, car avec de très-légères inclinaisons, j'en » aurois fait ce qu'on aimeroit le mieux à présent: >> un système d'athéisme pour les gens comme il » faut, un manifeste contre les prêtres, et le tout » combiné avec l'aveu qu'il faut pour le peuple » de certaines fables, aveu qui satisfait à la fois » le pouvoir et la vanité. »

Je consens à passer pour un esprit rétrograde avec Herder avec l'école philosophique transcendante de l'Allemagne, enfin avec M. Benjamin Constant et lord Byron.

La société est aujourd'hui tourmentée d'un besoin de croyance qui se manifeste de toutes parts. Vainement on veut contenter l'avidité des esprits, en s'efforçant de les rendre fanatiques d'une vérité matérielle qui les trompe encore, puisqu'elle se change en abstraction dans le raisonnement. Ce faux enthousiasme ne mène pas loin la jeunesse ; elle ne peut ni se débarrasser de la tristesse qui la surmonte, ni combler le vide qu'a laissé en elle l'absence de toute foi. On n'admire pas longtemps un peu de boue sensitive, dût ce peu de boue être composé d'esprit et de matière, et former cette prétendue Unité Humaine dont le système, renouvelé des Grecs, est encore une

rêverie d'une secte Buddhiste. Quelle misère, si cette vie d'un jour, n'étoit que la conscience du

néant !

Telle est la suite des idées et des faits, que l'on trouvera dans ces Études historiques. J'ôte à mon travail, je le sais, par cette analyse, le premier attrait de la curiosité. Si j'avois l'espérance d'être lu, je me serois gardé de me priver de mon meilleur moyen de succès; mais je n'ai point cette espérance. Un extrait, quoiqu'il soit déjà bien long, me laisse du moins la chance de faire entrevoir des vérités que j'ai cru utiles, et qui resteroient ensevelies dans les deux mille pages de mes quatre volumes. Gomme auteur j'ai tort ; j'ai raison comme homme. Lorsqu'on a beaucoup vécu, beaucoup souffert, on a beaucoup appris à force de veiller la nuit, de travailler le jour, de retourner péniblement leur sillon ou leur voile, les vieux laboureurs, comme les vieux matelots, sont devenus habiles à connoître le ciel et à prédire les orages.

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Il ne me reste plus qu'à remercier les personnes qui m'ont éclairé de leurs travaux ou de leurs conseils.

Je dois à la politesse et à l'obligeance de M. le baron de Bunsen, ministre de S. M. le roi de Prusse, à Rome, un excellent extrait des Nibelungs, que l'on trouvera à la fin du second volume de ces Études. Le savant M. de Bunsen étoit l'ami du grand historien Niebuhr; plus heureux que

moi, il foule encore ces ruines où j'espérois rendre à la terre image pour image, mon argile en échange de quelque statue exhumée.

M. le comte de Tourguéneff, ancien ministre de l'instruction publique en Russie, homme de toutes sortes de savoir, a bien voulu me communiquer des renseignements sur les historiens de la Pologne, de la Russie et de l'Allemagne.

Pour dissiper des doutes relatifs à quelques points de la philosophie des Pères de l'Église, je me suis adressé à M. Cousin, et j'ai trouvé que la vraie science est toujours accessible.

Des conversations instructives avec M. Dubois, mon compatriote, m'ont éclairé sur les systèmes religieux de l'Orient. En parlant des hommes qui ont honoré ma terre natale, j'ai fait remarquer que la Bretagne comptoit aujourd'hui M. l'abbé de Lamennais si M. Dubois publie l'ouvrage dont il s'occupe sur les origines du Christianisme, j'aurai de nouvelles félicitations à offrir à ma patrie.

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M. Pouqueville m'a mis sur la voie d'une foule de recherches nécessaires à mon travail : j'ai suivi sans crainte de me tromper celui qui fut mon premier guide aux champs de Sparte. Tous deux nous avons visité les ruines de la Grèce lorsqu'elles n'étoient encore éclairées que de leur gloire passée; tous deux nous avons plaidé la cause de nos anciens hôtes, non peut-être sans quelque succès: du moins, quand je retrouve, dans le Childe - Harold de lord Byron, des passages de mon Itinéraire, j'ai l'espoir qu'à l'aide de cet immortel interprète mes paroles

en faveur d'un peuple infortuné n'auront pas été tout-à-fait perdues.

On lira avec fruit une dissertation dont M. Lenormant a bien voulu me permettre d'enrichir mon ouvrage. M. Lenormant a parcouru l'Égypte avec M. Champollion; il a lu les inscriptions sur ces monuments, muets séculaires qui viennent de reprendre la parole dans leur désert. On ne dira plus des pyramides :

Vingt siècles descendus dans l'éternelle nuit

Y sont sans mouvement, sans lumière et sans bruit.

Les anciens ont constamment attribué à l'Orient l'origine des religions grecques : c'est sur cette base, contestée pourtant de nos jours, que M. Creuzet a appuyé son grand ouvrage des Religions de l'antiquité. Depuis la publication de ce livre, l'étude religieuse de l'antiquité a fait des progrès; les secrets de la Perse et de l'Inde se dévoilent chaque jour. L'essai sur la religion arcadienne, dont M. Lenormant s'occupe, comprendra le passage des traditions orientales en Grèce, dans leur forme la plus pure et la moins altérée. Le savant archéologue Panofka unit son travail à celui de M. Le

normant.

M. Ampère, fils de l'illustre académicien à qui la science doit des découvertes que le monde savant admire, m'a fait part avec une complaisance infinie de quelques-unes de ses traductions et de ses études scandinaves. Ces études sont extraites d'un

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