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Régence et du siècle de Louis XV ne détruisit pas les principes de la liberté que nous avons cueillie, parce que cette liberté n'a point sa source dans l'innocence du cœur, mais dans les lumières de l'esprit.

Au dix-huitième siècle, les affaires firent silence pour laisser libre le champ de bataille aux idées. Soixante ans d'un ignoble repos donnèrent à la pensée le loisir de se développer, de monter et de descendre dans les diverses classes de la société, depuis l'homme du palais jusqu'à l'habitant de la chaumière. Les mœurs affoiblies se trouvèrent ainsi calculées (comme je viens de le remarquer) pour ne plus offrir de résistance à l'esprit, ce qu'elles font souvent quand elles sont jeunes et vigou

reuses.

Louis XVI commença l'application des théories inventées sous le règne de son aïeul, par les Économistes et les Encyclopédistes. Ce prince, honnête homme, rétablit les parlements, supprima les corvées, améliora le sort des protestants. Enfin le secours qu'il prêta à la révolution d'Amérique (secours injuste selon le droit privé des nations, mais utile à l'espèce humaine en général), acheva de développer en France les germes de la liberté. La monarchie Parlementaire, réveillée à la fin de la monarchie Absolue, rappelle la monarchie des États qui sort à son tour de la tombe pour transmettre ses droits héréditaires à la monarchie Constitutionnelle : le roi martyr quitte le monde. C'est entre les fonts baptismaux de Clovis et l'échafaud de Louis XVI, qu'il faut placer le grand empire chrétien des Fran

çois. La même religion étoit debout aux deux barrières qui marquent les deux extrémités de cette longue arène. « Doux Sicambre incline le col, adore » ce que tu as brûlé, brûles ce que tu as adoré, »> dit le prêtre qui administroit à Clovis le baptême d'eau. « Fils de saint Louis, montez au ciel, » dit le prêtre qui assistoit Louis XVI au baptême de sang.

Alors le vieux monde fut submergé. Quand les flots de l'anarchie se retirèrent, Napoléon parut à l'entrée d'un nouvel univers, comme ces Géants que l'histoire Profane et Sacrée nous peint au berceau de la société, et qui se montrèrent à la terre après le déluge.

Ainsi j'amène du pied de la croix au pied de l'échafaud de Louis XVI les trois vérités qui sont au fond de l'ordre social: la vérité Religieuse, la vérité Philosophique ou l'indépendance de l'esprit de l'homme, et la vérité Politique ou la liberté. Je cherche à démontrer que l'espèce humaine suit une ligne progressive dans la civilisation, alors même qu'elle semble rétrograder. L'homme tend à une perfection indéfinie; il est encore loin d'être remonté aux sublimes hauteurs dont les traditions religieuses et primitives de tous les peuples, nous apprennent qu'il est descendu; mais il ne cesse de gravir la pente escarpée de ce Sinaï inconnu, au sommet duquel il reverra Dieu. La société en avançant accomplit certaines transformations générales

et nous sommes arrivés à l'un de ces grands changements de l'espèce humaine.

Les fils d'Adam ne sont qu'une même famille qui marche vers le même but. Les faits advenus chez les nations placées si loin de nous sur le globe et dans les siècles; ces faits qui jadis ne réveilloient en nous qu'un instinct de curiosité, nous intéres→ sent aujourd'hui comme des choses qui nous sont propres, qui se sont passées chez nos vieux parents. C'étoit pour nous conserver telle liberté, telle vérité, telle idée, telle découverte qu'un peuple s'est fait exterminer ; c'étoit pour ajouter un Talent d'or ou une Obole à la masse commune du trésor humain, qu'un individu a souffert tous les maux, Nous laisserons à notre tour les connoissances que nous pouvons avoir recueillies, à ceux qui nous suivront ici-bas. Sur des sociétés qui meurent sans cesse, une société vit sans cesse; les hommes tombent, l'homme reste debout, enrichi de tout ce que ses devanciers lui ont transmis, couronné de toutes les lumières, orné de tous les présents des âges; Géant qui croît toujours, toujours, toujours, et dont le front, montant dans les cieux, ne s'arrêtera qu'à la hauteur du trône de l'Éternel.

Et voilà comme sans abandonner la vérité chrétienne, je me trouve d'accord avec la philosophie de mon siècle et l'École Moderne Historique. On pourra différer avec moi d'opinion, mais il faudra reconnoître que, loin d'emboîter mon esprit dans les ornières du passé, je trace des sentiers libres : heureux, si l'histoire comme la politique me doit le redressement de quelques erreurs,

Au surplus, même dans mon système religieux, je ne me sépare point de mon temps, ainsi que des esprits inattentifs le pourroient croire. Le Christianisme est passé, dit-on passé ? oui, dans la rue où nous abattons une croix, chez nos deux ou trois voisins, dans la coterie où nous déclarons du haut de notre supériorité qu'on ne nous comprend pas, qu'on ne peut pas nous comprendre, que pour peu qu'une génération ne soit pas au maillot, elle est incapable de suivre le vol de notre génie et d'entrer dans le mouvement de l'univers. Grâce à ce génie, nous devinons ce que nous ne savons pas; nous plongeons un regard d'aigle au fond des siècles; sans avoir besoin de flambeau, nous pénétrons dans la nuit du passé ; l'avenir est tout illuminé pour nous des feux qui font clignoter les foibles yeux de nos pères. Soit: mais nonobstant ce, et sauf le respect dû à notre Supériorité, le Christianisme n'est pas passé il vient d'affranchir la Grèce et de mettre en liberté les Pays-Bas ; il se bat dans la Pologne. Le clergé catholique a brisé sous nos yeux les chaînes de l'Irlande; c'est ce même clergé qui a émancipé les colonies espagnoles et qui les a changées en républiques. Le Catholicisme, je l'ai dit, fait des progrès immenses aux États-Unis. Toute l'Europe ou barbare ou civilisée s'enveloppe, dans différentes Communions, de la forme évangélique. S'il étoit possible que l'univers policé fût encore envahi, par qui le seroit-il? Par des soldats, jeûnant, priant, mourant au nom du Christ. La philosophie de l'Allemagne si savante,

si éclairée, et à laquelle je me rallie, est chrétienne; la philosophie de l'Angleterre est chrétienne. Ne tenir aucun compte, au moins comme un fait, de cette pensée chrétienne qui vit encore parmi tant de millions d'hommes dans les quatre parties du monde, de cette pensée, que l'on retrouve au Kamtschatka et dans les sables de la Thébaïde, sur le sommet des Alpes, du Caucase et des Cordilières ; nous persuader que cette pensée n'existe plus parce qu'elle a déserté notre petit cerveau, c'est une grande pauvreté.

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II y a deux hommes que le siècle ne reniera pas : sortis de ses entrailles, leurs talents et leurs principes sont loués, encensés, admirés de ce siècle. Ces deux hommes marchent à la tête de toutes les opinions politiques et de toutes les doctrines litté– raires nouvelles. Écoutons lord Byron et M. Benjamin Constant sur les idées religieuses.

« Je ne suis pas ennemi de la religion, au con» traire; et, pour preuve, j'élève ma fille naturelle » à un catholicisme strict dans un couvent de la Ro> magne; car je pense que l'on ne peut jamais avoir > assez de religion, quand on en a ; je penche de jour » en jour davantage vers les doctrines catholiques. (Mémoires de lord Byron, tome V, page 172.)

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Pendant son exil en Allemagne, sous le gouvernement impérial, M. Benjamin Constant s'occupa de son ouvrage sur la religion. Il rend compte à l'un de ses amis de son travail dans une lettre

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1 M. Hochet, aujourd'hui secrétaire général du conseil d'état.

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