Hélas! voici déjà qu'aux cavales ardentes Qui le suivaient, dressant leurs crinières pendantes, Succèdent les corbeaux! La nuit descend lugubre, et sans robe étoilée. Entre le ciel et lui, comme un tourbillon sombre, Enfin, après trois jours d'une course insensée, Steppes, forêts, déserts, Le cheval tombe aux cris des mille oiseaux de proie, Voilà l'infortuné, gisant, nu, misérable, Le nuage d'oiseaux sur lui tourne et s'arrête. Eh bien ! ce condamné qui hurle et qui se traîne, Le feront prince un jour. Un jour, semant les champs de morts sans sépultures, Il dédommagera par de larges pâtures L'orfraie et le vautour. Sa sauvage grandeur naîtra de son supplice. Et quand il passera, ces peuples de la tente, Ainsi lorsqu'un mortel, sur qui son Dieu s'étale, Génie, ardent coursier, En vain il lutte, hélas! tu bondis, tu l'emportes, Tu franchis avec lui déserts, cimes chenues Et mille impurs esprits que ta course réveille Il traverse d'un vol, sur tes ailes de flamme, Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée Qui peut savoir, hormis les démons et les anges, Comme il sera brûlé d'ardentes étincelles, Il crie épouvanté, tu poursuis implacable. Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe. Le domaine de la poésie lyrique est illimité; mais quand l'imagination s'élève vers les plus hauts sommets, elle y est le plus souvent attirée par cette splendeur éblouissante que les hommes appellent la gloire. Le poëte chantera donc la gloire, non la gloire en elle-même les abstractions ne conviennent point à la poésie, mais la gloire dans une de ses incarnations les plus éclatantes. Les grands hommes sont la proie des poëtes. Cette admiration qui remplit les multitudes, qui se traduit par des acclamations confuses, des applaudissements, des couronnes jetées, des statues, des honneurs publics, elle se condense pour ainsi dire, et se résume dans un chant qui jaillit de l'âme du poëte; les sentiments tumultueux et éphémères de la foule, il les fixe dans un hymne qui ne périra pas. Le statuaire n'a pu que reproduire les traits du grand homme; le poëte le saisit et l'atteint dans ce qu'il a de plus intime, son génie même, les grandes actions dont il est le héros, la destinée qui lui est faite. Aussi se vantentils avec raison, les favoris des Muses, de donner l'immortalité. Ils sont les hérauts de la gloire, les pontifes de cette religion éternelle que l'humanité a vouée aux hommes élevés par leur génie au-dessus de ce niveau misérable où languit la médiocrité. La gloire, ce fut la passion dominante des anciens Grecs. « La muse, dit Horace, la muse a donné aux « Grecs le génie; elle leur a donné le chant harmo<< nieux, et de n'aimer rien tant que la gloire. » Alexandre voudrait un Homère pour célébrer ses exploits; Phidias grave sa propre image sur le bouclier de Pallas. Les concours gymniques attirent de toutes parts des combattants que l'amour seul de la gloire fait descendre dans la carrière. - Obtenir cette couronne de feuillage, être célébré par Pindare, c'est le rêve de tous les Grecs, du plus humble citoyen du Péloponnèse ou de l'Attique, comme de ces tyrans de Sicile ou d'Afrique, les Hiéron, les Denys, les Arcésilas. Essayons de retrouver les sentiments qui animaient les hommes d'alors, de ressusciter pour ainsi dire cette gloire qu'ils poursuivaient d'un si ardent désir. Les couronnes sont flétries, les statues sont détruites, rien n'a survécu de l'appareil splendide du triomphe, rien, si ce n'est l'ode chantée par Pindare. Le poëte est le seul écho qui vibre encore, le seul témoin des solennités d'autrefois. Interrogeons sa muse. Nous ne ferons pas revivre l'enthousiasme qui dictait ces chants de victoire mais peut-être comprendrons-nous que cet enthousiasme ait existé. Boileau nous sera d'un faible secours. Les vers qu'il a consacrés à l'ode manquent absolument de précision. Au fond, les hommes du dix-septième siècle n'avaient que du mépris pour ces fêtes païennes, où l'on couronnait la force et l'adresse du corps; mais, élevés dans le respect de l'antiquité, ils s'inclinaient devant Pindare qu'ils comprenaient peu, et goûtaient encore moins. De là je ne sais quoi de vague et même de faux dans les jugements qu'ils ont portés sur le grand lyrique. L'ode, avec plus d'éclat et non moins d'énergie, Entretient dans ses vers commerce avec les dieux. Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière; Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis. Il est à craindre qu'Achille et le Simoïs ne soient mis là que pour faire une rime à Louis, et une rime assez faible. Ainsi Malherbe, chantant Henri IV et Louis XIII, ne trouvait d'autre rime à Fils que Memphis, et promettait la conquête de ce pays lointain au père et au fils. - Aucune de ces pauvretés artificielles dans Pindare. Si une partie considérable de son œuvre nous échappe, nous pourrons du moins, en nous faisant une âme antique, saisir la vie qui animait ces chants aujourd'hui sans écho, mais qui retentissaient jadis dans la pompe du triomphe avec un éclat incomparable. |