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Je le déclare donc : Quinault est un Virgile;
Pradon comme un soleil en nos ans a paru;
Pelletier écrit mieux qu'Ablancourt' ni Patru;
Cotin, à ses sermons traînant toute la terre,
Fend les flots d'auditeurs pour aller à sa chaire;
Saufal est le phénix des esprits relevés;
Perrin 3.... Bon, mon esprit! courage! poursuivez.
Mais ne voyez-vous pas que leur troupe en furie
Va prendre encor ces vers pour une raillerie?
Et Dieu sait aussitôt que d'auteurs en courroux,
Que de rimeurs blessés s'en vont fondre sur vous!
Vous les verrez bientôt, féconds en impostures,
Amasser contre vous des volumes d'injures,
Traiter en vos écrits chaque vers d'attentat,
Et d'un mot innocent faire un crime d'État.
Vous aurez beau vanter le roi dans vos ouvrages,
Et de ce nom sacré sanctifier vos pages;
Qui méprise Cotin n'estime point son roi,
Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi.

Mais quoi! répondrez-vous, Cotin nous peut-il nuire ?
Et par ses cris enfin que sauroit-il produire ?
Interdire à mes vers, dont peut-être il fait cas,
L'entrée aux pensions où je ne prétends pas?
Non, pour louer un roi que tout l'univers loue,
Ma langue n'attend point que l'argent la dénoue;
Et, sans espérer rien de mes foibles écrits,
L'honneur de le louer m'est un trop digne prix :
On me verra toujours, sage dans mes caprices,
De ce même pinceau dont j'ai noirci les vices
Et peint du nom d'auteur tant de sots revêtus,
Lui marquer mon respect, et tracer ses vertus.
Je vous crois; mais pourtant on crie, on vous menace.
Je crains peu, direz-vous, les braves du Parnasse.
Hé! mon Dieu, craignez tout d'un auteur en courroux,

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Qui peut....- Quoi ?- Je m'entends.- Mais encor? - Taisez-vous.

4. Nicolas Perrot d'Ablancourt, de l'Académie françoise, avoit traduit Thucydide, Xénophon, Lucien, Arrien, César, Tacite, Frontin, etc. On appeloit ses traductions les belles Infidèles.

2. Sauval.

3. Saufal, Perrin, auteurs médiocres. (B.)

4. Cotin, dans un de ses écrits, m'accusoit d'être criminel de lèsemajesté divine et humaine. (B.)

AU LECTEUR.

Voici enfin la satire qu'on me demande depuis si longtemps. Si j'ai tant tardé à la mettre au jour, c'est que j'ai été bien aise qu'elle ne parût qu'avec la nouvelle édition qu'on faisoit de mon livre, où je voulois qu'elle fût insérée. Plusieurs de mes amis, å qui je l'ai lue, en ont parlé dans le monde avec de grands éloges, et ont publié que c'étoit la meilleure de mes satires2. Ils ne m'ont pas en cela fait plaisir. Je connois le public: je sais que naturellement il se révolte contre ces louanges outrées qu'on donne aux ouvrages avant qu'ils aient paru, et que la plupart des lecteurs ne lisent ce qu'on leur a élevé si haut qu'avec un dessein formé de le rabaisser.

Je déclare donc que je ne veux point profiter de ces discours avantageux; et non-seulement je laisse au public son jugement libre, mais je donne plein pouvoir à tous ceux qui ont tant critiqué mon ode sur Namur d'exercer aussi contre ma satire toute la rigueur de leur critique. J'espère qu'ils le feront avec le même succès; et je puis les assurer que tous leurs discours ne m'obligeront point à rompre l'espèce de vœu que j'ai fait de ne jamais défendre mes ouvrages, quand on n'en attaquera que les mots et les syllabes. Je saurai fort bien soutenir contre ces censeurs Homère, Horace, Virgile, et tous ces autres grands personnages dont j'admire les écrits; mais pour mes écrits, que je n'admire point, c'est à ceux qui les approuveront à trouver des raisons pour les défendre. C'est tout l'avis que j'ai à donner ici au lecteur.

La bienséance néanmoins voudroit, ce me semble, que je fisse quelque excuse au beau sexe de la liberté que je me suis donnée de peindre ses vices; mais, au fond, toutes les peintures que je fais dans ma satire sont si générales, que, bien loin d'appréhender que les femmes s'en offensent, c'est sur leur approbation et sur leur curiosité que je fonde la plus grande espérance du succès de mon ouvrage. Une chose au moins dont je suis certain qu'elles me loueront, c'est d'avoir trouvé moyen, dans une matière aussi délicate que celle que j'y traite, de ne pas laisser échapper un seul mot qui pût le moins du monde blesser la pudeur. J'espère donc que j'obtiendrai aisément ma grâce, et qu'elles ne seront pas plus choquées des prédications que je fais contre leurs défauts dans cette satire, que des satires que les prédicateurs font tous les jours en chaire contre ces mêmes défauts.

1. En 1694.

2. « C'est, ce me semble, le chef-d'œuvre de M. Despréaux. » Dictionnaire de Bayle, article Barbe, n. A.) Cet éloge, suivant Daunou, conviendroit beaucoup mieux à la neuvième satire ou à la

huitième.

SATIRE X.

1693.

LES FEMMES.

Enfin bornant le cours de tes galanteries,

Alcippe, il est donc vrai, dans peu tu te maries;
Sur l'argent, c'est tout dire, on est déjà d'accord;
Ton beau-père futur vide son coffre-fort;

Et déjà le notaire a, d'un style énergique,
Griffonné de ton joug l'instrument' authentique.
C'est bien fait. Il est temps de fixer tes désirs :
Ainsi que ses chagrins l'hymen a ses plaisirs.
Quelle joie, en effet, quelle douceur extrême,
De se voir caressé d'une épouse qu'on aime!
De s'entendre appeler petit cœur, ou mon bon!
De voir autour de soi croître dans sa maison,
Sous les paisibles lois d'une agréable mère,
De petits citoyens dont on croit être père !
Quel charme, au moindre mal qui nous vient menacer,
De la voir aussitôt accourir, s'empresser,
S'effrayer d'un péril qui n'a point d'apparence,
Et souvent de douleur se pâmer par avance!
Car tu ne seras point de ces jaloux affreux,
Habiles à se rendre inquiets, malheureux,
Qui, tandis qu'une épouse à leurs yeux se désole,
Pensent toujours qu'un autre en secret la console.
Mais quoi! je vois déjà que ce discours t'aigrit.
Charmé de Juvénal', et plein de son esprit,
Venez-vous, diras-tu, dans une pièce outrée,
Comme lui nous chanter que, dès le temps de Rhée3,
La chasteté déjà, la rougeur sur le front,
Avoit chez les humains reçu plus d'un affront;
Qu'on vit avec le fer naître les injustices,
L'impiété, l'orgueil et tous les autres vices :
Mais que la bonne foi dans l'amour conjugal
N'alla point jusqu'au temps du troisième métal?

Ces mots ont dans sa bouche une emphase admirable :
Mais je vous dirai, moi, sans alléguer la fable,

Que si sous Adam même, et loin avant Noé,

4. Instrument, en style de pratique, veut dire toutes sortes de contrats. (B.)

2. Juvénal a fait une satire contre les femmes, qui est son plus bel ouvrage. (B.)

3. Paroles du commencement de la satire de Juvénal. (B.)

Le vice audacieux, des hommes avoué,

A la triste innocence en tous lieux fit la guerre,
Il demeura pourtant de l'honneur sur la terre;
Qu'aux temps les plus féconds en Phrynes', en Laïs2,
Plus d'une Pénélope honora son pays;

Et que, même aujourd'hui, sur ce fameux modèle,
On peut trouver encor quelque femme fidèle.

Sans doute, et dans Paris, si je sais bien compter,
Il en est jusqu'à trois3 que je pourrois citer.
Ton épouse dans peu sera la quatrième :
Je le veux croire ainsi. Mais, la chasteté même
Sous ce beau nom d'epouse entrât-elle chez toi,
De retour d'un voyage, en arrivant, crois-moi,
Fais toujours du logis avertir la maîtresse.
Tel partit tout baigné des pleurs de sa Lucrèce,
Qui, faute d'avoir pris ce soin judicieux,
Trouva.... tu sais.

Je sais que d'un conte odieux
Vous avez comme moi sali votre mémoire.

Mais laissons là, dis-tu, Joconde et son histoire":
Du projet d'un hymen déjà fort avancé,

Devant vous aujourd'hui criminel dénoncé,

Et mis sur la sellette aux pieds de la critique,
Je vois bien tout de bon qu'il faut que je m'explique.
Jeune autrefois par vous dans le monde conduit,
J'ai trop bien profité pour n'être pas instruit
A quels discours malins le mariage expose :
Je sais que c'est un texte où chacun fait sa glose;
Que de maris trompés tout rit dans l'univers,
Épigrammes, chansons, rondeaux, fables en vers,
Satire, comédie; et, sur cette matière,

J'ai vu tout ce qu'ont fait La Fontaine et Molière;
J'ai lu tout ce qu'ont dit Villon et Saint-Gelais,

4. Phryné, courtisane d'Athènes. (B.)

2. Laïs, courtisane de Corinthe. (B.)

3. Ceci est dit figurément. (B.)

4. Conte de La Fontaine tiré de l'Arioste.

5. François Corbueil-Villon naquit à Paris en 1431. Accusé et, à ce qu'il paroit, convaincu de friponnerie, il fut condamné à être pendu : la peine ayant été commuée en bannissement, il retomba dans de nouveaux désordres qui lui attirèrent une seconde sentence pareille à la première; mais Louis XI lui fit grâce du supplice. On ne sait pas bien en quel lieu et en quel temps il mourut. Rabelais dit qu'il se retira en Angleterre et y devint le favori d'Édouard IV.

6. Mellin de Saint-Gelais naquit, en 1491, à Angoulême, fils naturel de l'évêque de cette ville, Octavien de Saint-Gelais; il laissa des poésies diverses, entre lesquelles on distingue la Déploration du bel Adonis, une imitation de trois chants de l'Arioste, etc.

Arioste', Marot2, Boccace3, Rabelais'.
Et tous ces vieux recueils de satires naïves 5,
Des malices du sexe immortelles archives.
Mais, tout bien balancé, j'ai pourtant reconnu
Que de ces contes vains le monde retenu
N'en a pas de l'hymen moins vu fleurir l'usage;
Que sous ce joug moqué tout à la fin s'engage;
Qu'à ce commun filet les railleurs mêmes pris
Ont été très-souvent de commodes maris;

Et que, pour être heureux sous ce joug salutaire,
Tout dépend, en un mot, du bon choix qu'on sait faire.
Enfin, il faut ici parler de bonne foi:

Je vieillis, et ne puis regarder sans effroi
Ces neveux affamés dont l'importun visage
De mon bien à mes yeux fait déjà le partage.

Je crois déjà les voir, au moment annoncé

Qu'à la fin sans retour leur cher oncle est passé,

Sur quelques pleurs forcés qu'ils auront soin qu'on voie,
Se faire consoler du sujet de leur joie.

Je me fais un plaisir, à ne vous rien celer,

De pouvoir, moi vivant, dans peu les désoler,

4. L'Arioste, né à Reggio (près de Modène), en 1474, est un des plus célèbres poëtes italiens. Son grand ouvrage, l'Orlando furioso, parut en 1516.

2. Clément Marot étoit de Cahors, où il naquit, en 1495, d'un père qui lui-même étoit poëte, mais qui a été surpassé par son fils. Conduit à la cour de François Ier, il célébrà les belles et les princes, suivit le roi à la bataille de Pavie et y reçut une blessure. Ayant embrassé la religion réformée, il se réfugia à Gênes, puis à Turin, où il mourut dans l'indigence en 1544.

3. De tous les ouvrages de Boccace, le plus connu est son Décaméron, recueil de contes où La Fontaine a puisé les sujets de la plupart des siens. 11 naquit, en 1313, à Paris, où son père, né à Certaldo, en Toscane, avoit été attiré par des affaires de commerce, et fut bientôt conduit à Florence, où il fit ses premières études. Son père, qui le destinoit au négoce, le renvoya, vers 1323, à Paris, d'où il ne revint qu'en 1829. Il a été l'ami de Pétrarque. Après avoir habité Naples et Florence, il vint mourir à Certaldo le 21 décembre 1375.

4. François Rabelais naquit à Chinon en 1483. Il se fit cordelier à Fontenai-le-Comte, puis bénédictin à Maillezais, ensuite médecin à Montpellier. Après avoir accompagné le cardinal du Bellay à Rome, il revint en France, habita Lyon et Paris, obtint une prébende dans la collégiale de Saint-Maur des Fossés, et enfin la cure de Meudon; il mourut, à Paris probablement, en 1553.

5. Les Contes de la reine de Navarre, etc. (B.) Marguerite de Valois, sœur de François Ier, étoit née à Angoulême en 1492; elle épousa le duc d'Alençon, 'puis Henri d'Albret, roi de Navarre, et fut mère de Jeanne d'Albret, qui a donné le jour à Henri IV. Marguerite

mourut en 1549.

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