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qui revenaient souvent dans sa conversation, et qui sont assez piquantes. Mlle de Lamoignon, sœur du premier président, grande dévote, et personne du reste accomplie, lui reprochait un jour ses satires; a Car il ne faut, disait-elle, médire de personne. C'est une règle absolue. - Mais quoi, dit-il, le GrandTurc? Non vraiment : c'est un souverain! Mais le diable? >> L'objection embarrassa la dévote, qui réfléchit un moment. « Non, dit-elle à la fin; il ne faut jamais dire de mal de personne. » << Un bon prêtre à qui je me confessais, disait Boileau, me demanda quelle était ma profession. Poëte. Vilain métier! Et dans quel genre? - Satirique. Encore pis. Et contre qui? Contre les faiseurs d'opéras et de romans. Achevez votre Confiteor.»

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Nous avons vu Boileau danser tout à l'heure. Voici qui est encore plus surprenant. Il faisait la guerre à Chapelle sur son ivrognerie. Chapelle se contentait de secouer les épaules, et buvait de plus belle. Boileau le rencontre un jour dans la rue, et recommence sa mercuriale. << Vous avez assez raison, dit Chapelle. Mais il fait froid, nous sommes debout. Entrons ici, vous parlerez plus à votre aise. » Il le conduit au cabaret, où l'éloquence de Boileau se donna carrière, jusqu'à ce que l'ouaille et le prédicateur fussent complétement gris.

Ces anecdotes, et beaucoup d'autres du même genre, qui traînent dans le Bolæana ou dans les notes de Brossette, ne peuvent que défrayer une curiosité banale, et ne nous apprennent rien sur le caractère de Boileau. Il vaut mieux se rappeler sa noble conduite lorsqu'à la mort de Colbert la pension de Corneille fut supprimée. Voici deux traits du même genre qui achèvent de peindre cette nature droite et généreuse, quoique peu expansive. Il ne pouvait voir un homme de lettres dans la peine, et si Colbert ou le roi lui manquaient, il secourait de sa bourse tous ceux dont il connaissait les embarras. C'est ainsi qu'il tira du besoin Cassandre, traducteur de la Rhétorique d'Aristote. Linière ne se fit pas faute de s'adresser à Boileau, et Boileau, qui ne l'aimait pas, et qui fit bonne justice de ses vers, ne lui refusa jamais un secours. Linière allait boire cet argent au cabaret, et sur un coin de la table, griffonnait une chanson contre son créancier. Patru, le célèbre avocat, se trouva un jour sans ressources, et réduit à vendre ses livres. Le marché était conclu, pour une somme assez modique, lorsque Boileau accourut, surenchérit, paya sur-le

champ, et mit dans son marché la clause que Patru garderait sa bibliothèque jusqu'à sa mort, et que l'acquéreur n'en serait que survivancier. La grande Catherine lui a volé ce trait-là, en achetant la bibliothèque de Diderot. Tout ce qu'on sait de Boileau inspire l'estime, comme ses écrits. C'est quelque chose pour un poëte illustre, que d'avoir été en même temps un galant homme. On lui représentait que ses satires lui feraient une foule d'ennemis. << Je vivrai si honnêtement, dit-il, que je ne laisserai même pas de prétexte à la calomnie. » Et il tint parole. Quand il mourut, à l'âge de soixante et quinze ans ; entouré de quelques amis et d'une partie de sa famille, le dernier mot qu'il prononça fut celui-ci : « C'est une grande consolation pour un poëte qui va mourir, que de n'avoir jamais offensé les mœurs. »

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PRÉFACES

COMPOSÉES PAR BOILEAU

POUR LES DIVERSES ÉDITIONS DE SES OUVRAGES.

I. PRÉFACE

POUR LES ÉDITIONS DE 1666 ▲ 1669.

LE LIBRAIRE AU LECTEUR.

Ces satires dont on fait part au public n'auroient jamais couru le hasard de l'impression si l'on eût laissé faire leur auteur. Quelques applaudissemens qu'un assez grand nombre de personnes amoureuses de ces sortes d'ouvrages ait donnés aux siens, sa modestie lui persuadoit que de les faire imprimer, ce seroit augmenter le nombre des méchans livres, qu'il blâme en tant de rencontres, et se rendre par là digne lui-même en quelque façon d'avoir place dans ses satires. C'est ce qui lui a fait souffrir fort longtemps, avec une patience qui tient quelque chose de l'héroïque dans un auteur, les mauvaises copies qui ont couru de ses ouvrages, sans être tenté pour cela de les faire mettre sous la presse Mais enfin toute sa constance l'a abandonné à la vue de cette monstrueuse édition qui en a paru depuis peu1. Sa tendresse de père s'est réveillée à l'aspect de ses enfans ainsi défigurés et mis en pièces, surtout lorsqu'il les a vus accompagnés de cette prose fade et insipide, que tout le sel de ses vers ne pourroit pas relever je veux dire de ce Jugement sur les sciences2, qu'on a cousu si peu judicieusement à la fin de son livre. Il a eu peur que ses satires n'achevassent de se gâter en une si méchante compagnie; et il a cru, enfin, que puisqu'un ouvrage, tôt ou tard, doit passer par les mains de l'imprimeur, il valoit mieux subir le joug de bonne grâce, et faire de lui-même ce qu'on avoit déjà fait malgré

4. A Rouen, en 1665.

2. Ce Jugement sur les sciences, dont Boileau ignoroit l'auteur quand il écrivit cette préface, est un des plus médiocres ouvrages de SaintÉvremont.

BOILEAU I

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lui. Joint que ce galant homme qui a pris le soin de la première édition, y a mêlé les noms de quelques personnes que l'auteur honore, et devant qui il est bien aise de se justifier. Toutes ces considérations, dis-je, l'ont obligé à me confier les véritables originaux de ses pièces, augmentées encore de deux autres', pour lesquelles il appréhendoit le même sort. Mais en même temps il m'a laissé la charge de faire ses excuses aux auteurs qui pourront être choqués de la liberté qu'il s'est donnée de parler de leurs ouvrages en quelques endroits de ses écrits. Il les prie donc de considérer que le Parnasse fût de tout temps un pays de liberté; que le plus habile y est tous les jours exposé à la censure du plus ignorant; que le sentiment d'un seul homme ne fait point de loi; et qu'au pis aller, s'ils se persuadent qu'il ait fait du tort à leurs ouvrages, ils s'en peuvent venger sur les siens, dont il leur abandonne jusqu'aux points et aux virgules. Que si cela ne les satisfait il leur conseille d'avoir recours à cette bienheureuse pas encore, tranquillité des grands hommes comme eux, qui ne manquent jamais de se consoler d'une semblable disgrâce par quelque exemple fameux, pris des plus célèbres auteurs de l'antiquité, dont ils se font l'application tout seuls. En un mot, il les supplie de faire réflexion que si leurs ouvrages sont mauvais, ils méritent d'être censurés; et que s'ils sont bons, tout ce qu'on dira contre eux ne les fera pas trouver mauvais. Au reste, comme la malignité de ses ennemis s'efforce depuis peu de donner un sens coupable à ses pensées même les plus innocentes, il prie les honnêtes gens de ne se pas laisser surprendre aux subtilités raffinées de ces petits esprits qui ne savent se venger que par des voies lâches, et qui lui veulent souvent faire un crime affreux d'une élégance poétique. Il est bien aise aussi de faire savoir dans cette édition que le nom de Scutari, l'heureux Scutari, ne veut dire que Scutari; bien que quelques-uns l'aient voulu attribuer à un des plus fameux poëtes de notre siècle, dont l'auteur estime le mérite et honore la vertu.

J'ai charge encore d'avertir ceux qui voudront faire des satires contre les satires, de ne se point cacher. Je leur réponds que l'auteur ne les citera point devant d'autre tribunal que celui des Muses parce que, si ce sont des injures grossières, les beurrières lui en feront raison; et si c'est une raillerie délicate, il n'est pas assez ignorant dans les lois pour ne pas savoir qu'il doit porter la peine du talion. Qu'ils écrivent donc librement : comme ils contribueront sans doute à rendre l'auteur plus illustre, ils feront le profit du libraire; et cela me regarde. Quelque intérêt pourtant que j'y trouve, je leur conseille d'attendre quelque temps, et de laisser mûrir leur mauvaise humeur. On ne fait rien qui vaille dans la co.ère. Vous avez beau vomir des injures sales et odieuses, cela marque la bassesse de votre âme, sans rabaisser la gloire

4. Les satires III et V. 2. Georges Scudéri.

de celui que vous attaquez; et le lecteur qui est de sens froid' n'épouse point les sottes passions d'un rimeur emporté. Il y auroit aussi plusieurs choses à dire touchant le reproche qu'on fait à l'auteur d'avoir pris ses pensées dans Juvenal et dans Horace, mais, tout bien considéré, il trouve l'objection si honorable pour lui, qu'il croiroit se faire tort d'y répondre.

II. PRÉFACE

POUR LES ÉDITIONS DE 1674, IN-4°, 1674 ET 1675,IN-12.

AU LECTEUR.

J'avois médité une assez longue préface, où, suivant la coutume reçue parmi les écrivains de ce temps, j'espérois rendre un compte fort exact de mes ouvrages, et justifier les libertés que j'y ai prises; mais depuis j'ai fait réflexion que ces sortes d'avant-propos ne servoient ordinairement qu'à mettre en jour la vanité de l'auteur, et, au lieu d'excuser ses fautes, fournissoient souvent de nouvelles armes contre lui. D'ailleurs je ne crois point mes ouvrages assez bons pour mériter des éloges, ni assez criminels pour avoir besoin d'apologie. Je ne me louerai donc ici, ni ne me justifierai de rien. Le lecteur saura seulement que je lui donne une édition de mes satires plus correcte que les précédentes, deux épîtres nouvelles2, l'Art poétique en vers, et quatre chants du Lutrin. J'y ai ajouté aussi la traduction du traité que le rhéteur Longin a composé du sublime ou du merveilleux dans le discours. J'ai fait originairement cette traduction pour m'instruire, plutôt que dans le dessein de la donner au public; mais j'ai cru qu'on ne seroit pas fâché de la voir ici à la suite de la Poétique, avec laquelle ce traité a quelque rapport, et où j'ai même inséré plusieurs préceptes qui en sout tirés. J'avois dessein d'y joindre aussi quelques dialogues en prose que j'ai composés; mais des considérations particulières m'en ont empèché. J'espère en donner quelque jour un volume à part. Voilà tout ce que j'ai à dire au lecteur. Encore ne sais-je si je ne lui en ai point déjà trop dit, et si, en ce peu de paroles, je ne suis point tombé dans le défaut que je voulois éviter.

1. Boileau, dans les éditions faites sous ses yeux, a écrit de sens froid, et non de sang-froid.

2. Les épitres II et III.

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