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NOTICE SUR BOILEAU.

Nicolas Boileau Despréaux est né à Paris le 1er novembre 1636. Nous disons qu'il est né à Paris, et il y a de bonnes autorités qui le soutiennent; on a même été jusqu'à désigner la maison où il est né. C'est celle qui fait le coin du quai des Orfévres et de la rue du Harlay; à moins que ce ne soit une autre maison, située dans la rue de Jérusalem. Les mêmes autorités qui le font naître à Paris le font baptiser dans la chapelle du Palais. Cependant des témoignages non moins précis établissent qu'il est né à Crône, petit village des environs de Paris, qu'il y a été baptisé, et que son nom de Despréaux lui fut donné par son père à cause de cela. Boileau Despréaux, c'est-à-dire Boileau né aux préaux, dans les prés, à la campagne. On peut s'étonner que ce point n'ait pas été mieux éclairci, car c'est la seule obscurité qui plane sur la vie du poëte. Cette vie n'est pas chargée de beaucoup d'événements, et plusieurs écrivains, sans compter Boileau lui-même, se sont donné la tâche de la raconter dans tous ses détails.

Son père, Gilles Boileau, était greffier du Parlement.

Fils d'un père greffier....

Boileau nous dit de plus que son père était un très-galant homme, d'humeur douce et facile; circonstance qui lui paraît fort extraordinaire, à cause de l'extrême méchanceté dont il se vante. La noblesse de sa famille remontait jusqu'à saint Louis, ou tout au moins jusqu'à Charles V, qui avait pour confesseur Hugues Boileau, trésorier de la Sainte-Chapelle. Cette illustre origine fut prouvée par un arrêt du Parlement. Les mauvaises langues prétendirent que les vers du poëte lui avaient tenu lieu d'une généalogie en règle; et c'est de quoi la postérité se soucie fort peu. Boileau le greffier se maria deux fois; il eut plusieurs enfants du premier lit, entre autres Boileau-Puymorin, qui fut contrôleur de l'argenterie du roi. Nicolas Boileau n'est que le onzième enfant de Gilles Boileau. Son frère aîné, nommé aussi Gilles Boileau, du nom de leur père, était un poëte estimé, qui entra à l'Académie française vingt-cinq ans avant son cadet, et eut bien de la peine à lui pardonner d'être plus célèbre que lui. Un autre

BOILEAU I

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frère de Boileau fut chanoine de la Sainte-Chapelle, et prédica. teur; un autre, chez lequel il passa une partie de sa vie, étai greffier du conseil de la grand'chambre; c'est Jérôme Boileau, que son frère l'illustre poëte préféra toujours, quoiqu'il fût joueur, et que sa femme fût ridicule et impertinente.

La jeunesse de Boileau fut très-malheureuse. Il était sacrifié à ses aînés, et ne passait d'ailleurs que pour un petit génie. « Ce sera un bon enfant, disait le père, qui n'avait d'orgueil que pour Gilles; il ne dira jamais de mal de personne. » On le reléguait dans une espèce de poivrière placée au-dessus des toits, froide en hiver, chaude en été, d'où il ne voyait que les toits du palais de justice, et qu'il quitta avec bonheur, pour descendre.... au grenier, où on eut enfin la charité de l'installer. Il avait été taillé de la pierre à l'âge de quatre ans, et fort mal taillé. Il en souffrit toute sa vie. Les biographes ont tiré mille contés de son infirmité, et y ont joint pour surcroît la ridicule histoire d'un duel avec un dindon, qui guérit Boileau pour le reste de ses jours de tout penchant et de tout besoin amoureux. Quand il quitta les jésuites, chez lesquels on le fit étudier au college d'Harcourt, on voulut le mettre dans la chicane. Il eut un pupitre chez M. Dongois, son beau-frère, greffier au Parlement, l'illustre M. Dongois, comme il l'appelle; mais il fut honteusement chassé pour le crime de s'être endormi en écrivant sous la dictée de son parent. Reçu avocat, il fit ses débuts au Parlement avec un tel succès qu'il fallut dès ce premier jour renoncer à l'espoir d'attendrir les procureurs, et d'obtenir de leur grâce le moindre sac de procès. Rebuté de ce côté, Despréaux se fit d'église. Il obtint un bénéfice simple de huit cents livres, le prieuré de Saint-Paterne qu'il garda neuf ans. On assure qu'il aima une de ses parentes, nommée Marie Poncher de Bretonville; qu'elle voulut résolument se faire religieuse, et qu'il vendit son bénéfice pour payer sa dot. Cette aventure amoureuse, dont il nous est resté une pièce de vers qui n'est pas la meilleure de Boileau, est la seule trace de tendre sentiment qu'on puisse trouver dans toute sa vie.

On peut suivre jour par jour le développement de sa veine poétique, comme il l'aurait appelée lui-même, car il a pris soin de placer dans une édition faite sous ses yeux la table chronologique de ses œuvres. A vingt ans, son bagage littéraire sé composait du Sonnet sur la mort d'une parente, de deux Chansons, et de l'Ode contre les Anglais Il dit dans une note qu'il

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avait fait cette ode à dix-sept ans, mais que depuis, il l'avait accommodée. La vérité est qu'il l'avait faite à dix-huit ans, mais il se rajeunissait toujours d'un an, parce qu'un jour què Louis XIV lui demandait son âge, il lui avait répondu : « Sire, je suis né un an avant Votre Majesté, pour raconter ses grandes actions. » Il aurait perdu ce bon mot qui est assez médiocre, et ce trait de courtisan qui n'est pas des plus fins, s'il avait dit la vérité, car il était né, non pas un an, mais deux ans avant le roi.

Ce fut à vingt-quatre ans que Boileau composa sa première satire. C'est une imitation de la troisième satire de Juvénal où le poëte latin nous représente Umbritius quittant Rome à cause des vices dont elle est pleine, et des embarras qui en rendent le séjour insupportable. Boileau a tiré deux satires de ce sujet; l'une, que les éditions placent la première, contre les vices de Paris; l'autre, que les éditions placent la sixième, contre les embarras de Paris. Furetière fut le premier qui vit cette satire, én fourrageant parmi les papiers de Boileau, un jour qu'il allait visiter son frère Gilles Boileau, l'académicien, et par ses louanges, il inspira de la confiance à l'auteur, qui laissa courir quelques copies. Le succès fut assez grand, et l'on compta dès lors un poëte de plus sur le Parnasse. Artémise ét Julie, c'est-à-dire én langue vulgaire, la marquisé de Rambouillet et la duchesse de Montausier appelèrent Boileau dans leur cercle. Mais il n'était pas fait pour plaire au monde des précieuses, et lui-même s'ên dégoûta dès le premier jour. Il y trouva Chapelain et Cotin dans toute leur gloire; et le véritable service que lui rendit l'hồtel de Rambouillet, fut de lui fournir pour les satires suivantes ces deux illustres victimes. Il y trouva aussi Mme de La Fayette et Mme de Sévigné, qui étaient bien dignes de n'y pas allér, qui l'apprécièrent sur-le-champ, et le comptèrent désormais parmi leurs fidèles. L'amitié de Mme de La Fayette lui valut celle de M. de La Rochefoucauld. De proche en proche, il se liâ avec Racine, Molière, La Fontaine. Il eut l'avantage, inappréciable pour tout écrivain, et nécessaire surtout à un critique, de vivre dans le commerce intime des esprits les plus distingués et les plus délicats de son temps. L'amitié qui l'unit à Racine fut ten dre, dévouée, sans réservé. Ils ne furent séparés que par la mort, et pendant les longues années que dura leur intimité, ja« mais l'un d'eux ne livra un vers au public sans l'avoir fait d'abord juger et corriger par son ami.

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Boileau et Racine, cela va sans dire, eurent un grand nombre d'ennemis. Cependant Racine était le meilleur des hommes, doux, tendre, généreux, et sinon modeste, ayant tout l'extérieur et tous les agréments de la modestie. Boileau, de son côté, moins affectueux, plus disposé à la domination, incapable de dissimuler ses antipathies, était une nature droite, franche, faite pour inspirer l'estime et la confiance. Mais le génie de l'un et la sévérité de l'autre, leurs succès à tous les deux, la gloire même qui leur vint de leur vivant, et dès leur jeunesse, ameutèrent contre eux ce qui restait de l'école des précieuses, les poëtes longtemps admirés et qu'ils mirent dans l'ombre, les nouveaux venus qu'ils éclipsèrent, et toute cette foule d'esprits dénigrants et médiocres que la gloire d'autrui importune. Boileau n'avait pas comme son ami et comme Molière, de ces succès d'enthousiasme qui passionnent la foule pendant des années; mais, s'il était moins admiré et moins envié, il était bien plus redoutable. Nous sommes surpris maintenant, quand nous le voyons parler dáns ses vers de l'effroi qu'il inspire, de son humeur bizarre et maligne; quand il se qualifie lui-même de «< critique achevé. Mais, en regardant autour de nous, ne voyons-nous pas des critiques, chargés de distribuer chaque semaine, en vile prose, au bas d'un journal, le blâme et la louange, aux dramaturges, aux poëtes, aux romanciers, aux historiens, devenir, s'ils ont un peu de goût, et si leur journal a quelque importance, les oracles du succès, des maîtres écoutés, applaudis au moindre mot, courtisés par les plus illustres? Il n'y avait pas de journal quotidien du temps de Boileau; encore moins de feuilletons hebdomadaires. Il fallait lire soi-même, ou s'en rapporter à des nouvellistes mal famés. Deux hommes seuls remplissaient le métier de critique : Molière par ses comédies, Boileau par ses satires; et celui-ci était même le critique en titre d'office. C'était son métier de faire la guerre aux mauvais vers et aux méchants poëtes, et de consacrer les réputations légitimes. On voyait, on sentait qu'il avait le goût juste, à ce degré qui est du génie, et qui donne aux jugements de certains esprits une sorte d'infaillibilité. Ses ennemis niaient timidement son autorité et la reconnaissaient en secret; lui-même n'en doutait pas. Il parlait volontiers sur un ton d'oracle, parce qu'il avait la conscience de décider en dernier ressort. Sans lui, on ne faisait que du bruit; avec lui, on arrivait à la gloire. Ses satires, qui paraissaient de loin en loin, car il travaillait lente

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