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AU ROI.

Quoique cette Piéce foit placée avant toutes les autres, elle n'a pourtant pas été faite la premiere. L'Auteur la compofa au commencement de l'année 1665, & il avoit déja fait cinq Satires. La même année ce Dic cours fut inféré dans un Recueil de Poéfies, avant que l'Auteur eût eu le tems de le corriger. Il le fit imprimer lui-même l'année fuivante 2666 avec les fept premieres Satires.

EUNE & vaillant Héros, dont la haute fageffe N'eft point le fruit tardif d'une lente vieillesse, Et qui feul, fans Miniftre, à l'exemple des Dieux, Soutiens tout par Toi-même, & vois tout par tes yeux, GRAND ROI; fi jufqu'ici, par un trait de prudence, J'ai demeuré pour Toi dans un humble filence, Ce n'eft pas que mon cœur, vainement suspendu, Balance pour t'offrir un encens qui t'est du. Mais je fais peu fouer, & ma Mufe tremblante Fuit d'un fi grand fardeau la charge trop pefante, A iij

Qui d'un indigne encens proranent tes autels;
Qui dans ce champ d'honneur, où le gain les amene,
Ofent chanter ton nom fans force & fans haleine;
Et qui vont tous les jours, d'une importune voix,
T'ennuyer du récit de tes propres exploits.

L'un en ftyle pompeux habillant une Eglogue,
De fes rares vertus Te fait un long prologue,
Et mêle en fe vantant foi-même à tout propos,
Les louanges d'un Fat à celles d'un Héros.

L'autre en vain fe laffant à polir une rime,
Et reprenant vingt fois le rabot & la lime,
Grand & nouvel effort d'un efprit fans pareil !
Dans la fin d'un Sonnet Te compare au Soleil.
Sur le haut Hélicon leur veine méprisée,
Fut toujours des neuf Sœurs la fable & la rifée.
Calliope jamais ne daigna leur parler,
Et Pégafe pour eux refufe de voler.

Cependant à les voir enflés de tant d'audace,
Te promettre en leur nom les faveurs du Parnaffe,
On diroit, qu'ils ont feuls l'oreille d'Apollon,
Qu'ils difpofent de tout dans le facré Vallon.

C'eft à leurs doctes mains, fi l'on veut les en croire,
Que Phébus a commis tout le foin de ta gloire;
Et ton nom, du Midi jufqu'à l'Ourfe vanté,
Ne devra qu'à leurs vers fon immortalité.
Mais plutôt fans ce nom, dont la vive lumiere

Donne un luftre éclatant à leur veine groffiere,
Ils verroient leurs écrits, honte de l'Univers,
Pourrir dans la pouffiere à la merci des vers.
A l'ombre de ton nom ils trouvent leur afile;

Comme on voit dans les champs un arbriffeau débile,
Qui, fans l'heureux appui qui le tient attaché,
Languiroit triftement fur la terre couché.

Ce n'eft pas que ma plume injufte & téméraire,
Veuille blâmer en eux le deffein de Te plaire :
Et parmi tant d'Auteurs, je veux bien l'avouer,
Apollon en connoît qui Te peuvent louer.

Oui, je fais qu'entre ceux qui T'adreffent leurs veilles,
Parmi les Pelletiers on compte des Corneilles.
Mais je ne puis fouffrir, qu'un Efprit de travers,
Qui pour rimer des mots pense faire des vers,
Se donne en Te louant une gêne inutile.
Pour chanter un Auguste, il faut être un Virgile.
Et j'approuve les foins du Monarque guerrier,
Qui ne pouvoit fouffrir qu'un Artisan grossier
Entreprît de tracer, d'une main criminelle,
Un portrait fervé pour le pinceau d'Apelle.
Moi donc, qu connois peu Phébus & fes douceurs,
Qui fuis nouveau fevré fur le mont des neuf Sœurs :
Attendant que pour Toi l'âge ait mûri ma Muse,
Sur de moindres sujets je l'exerce & l'amufe:
Et tandis que ton bras, des peuples redouté,
Va, la foudre à la main, rétablir l'équité,
Et retient les méchans par la peur des fupplices,
Moi, la plume à la main, je gourmande les vices;
Et gardant pour moi-même une jufte rigueur,
Je confie au papier les fecrets de mon cœur.

Ainfi, dès qu'une fois ma verve fe réveille,
Comme on voit au printems la diligente abeille,
Qui du butin des fleurs va composer son miel,
Des fotifes du tems je conpofe mon fiel.

Je vais de toutes parts où me guide ma veine,
Sans tenir en marchant une route certaine,
Et fans gêner ma plume en ce libre métier
Je la laiffe au hazard courir sur le papier.

Le mal eft, qu'en rimant, ma Muse un peu légere ;
Nomme tout par fon nom, & ne fauroit rien taire.
C'eft-là ce qui fait peur aux Esprits de ce tems,
Qui tout blancs au-dehors, font tout noirs au-de-

dans.

Ils tremblent qu'un Cenfeur, que fa verve encourage,
Ne vienne en fes écrits démafquer leur visage,

Et fouillant dans leurs mœurs en toute liberté,
N'aille du fond du puits tirer la Vérité.
Tous ces gens éperdus au feul nom de Satire,
Font d'abord le procès à quiconque ofe rire.
Ce font eux que l'on voit, d'un difcours infenfé,
Publier dans Paris que tout eft renversé,

Au moindre bruit qui court qu'un Auteur les me

nace

De jouer des Bigots la trompeuse grimace.
Pour eux un tel ouvrage est un monftre odieux ;
C'eft offenfer les Loix, c'eft s'attaquer aux Cieux.
Mais bien que d'un faux zèle ils mafquent leur
foibleffe,

Chacun voit qu'en effet la vérité les bleffe.
En vain d'un lâche orgueil leur esprit revêtu
Se couvre du manteau d'une auftere vertu:

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