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D'un fentiment plus vif, fi l'oreille munie
Des Sphères dans leurs cours entendoit l'harmonie,
Comment parmi ce bruit trouver quelques plaisirs,
Au murmure des eaux, au fouffle des Zéphirs?
Reconnoiffez enfin la Sageffe éternelle

Dans les dons, qu'en naiffant chaque Etre reçoit d'elle;
Dans ceux, qu'elle refufe, adorez fa bonté.

Parmi les animaux, quelle diverfité!

Quelle gradation, quelle chaine infinie,

Depuis les vermiffeaux, dont la Terre eft remplie,
Jufqu'à l'Homme, ce Chef, ce Roi de l'Univers:
Entre leurs facultés, que de degrés divers!
Sous les voiles obfcurs qui couvrent fa paupiere,
La Taupe ne peut voir l'éclat de la lumiere:
Mais rien n'échappe au Linx; à ses yeux pénêtrans
Les corps les plus épais deviennent transparens.
Dans l'ombre de la nuit, par le feul bruit guidée,
La Lionne pourfuit la Biche intimidée.

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L'odorat dans le chien, par un prompt jugement,
Sur d'invifibles pas le conduit fûrement.

Rapprochez, s'il fe peut la diftance infinie.

Des Oiseaux aux poiffons, pour la voix, pour l'oüie,

Contemplez l'Araignée en fon réduit obfcur;

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Que fon toucher eft vif, qu'il eft prompt, qu'il eft für! 320
Sur ces pieges tendus fans ceffe vigilante,
Dans chacun de fes fils elle paroît vivante.

Par quel art merveilleux l'Abeille dans nos Champs
Va-t-elle s'enrichir des tréfors du Printemps!
Par quel difcernement fait-elle nous extraire
Des fucs les plus mortels un préfent falutaire.
Dans ce qu'on nomme inftinct, que de variété !
Eléphant, fi connu par ta docilité,

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Toi, qui de la raifon parois avoir l'ufage,
Combien fur le Pourceau n'as-tu pas d'avantage.

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Comment par l'Homme même un inftinct admiré,

Si près de la raifon en eft-il féparé ?

O! qu'entre l'un & l'autre on voit peu de diftance!
Pouvez-vous concevoir la fecrette alliance,
Qui joint le fouvenir à la réfléxion?
Où commence, où finit la féparation,
Qu'entre les fens groffiers & la pure pensée
La main du Créateur a pour jamais placée ?
Donnez un même instinct à tous les animaux;
En force, en attributs, supposez-les égaux,
Vous rompez les liens de cette dépendance,
Qui fait regner entr'eux l'ordre & l'intelligence;
Ils ne pourront alors s'accorder & s'unir,

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Et vous verrez fur eux votre empire finir.

Que peuvent contre vous leur force, leur adreffe?
Le Ciel de la raifon arme votre foibleffe;

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Il met dans ce préfent, qu'il réserve pour vous,
L'infaillible moyen de les fubjuguer tous.

Dans le vague des airs, fur la terre, dans l'onde,
Voyez en mouvements la Nature féconde,
Sans ceffe elle embellit, ou peuple l'Univers:
Parcourez, raffemblez tous les Etres divers;
Commencez par le Dieu, qui leur donne la vie ;
Quel fpectacle étonnant! quelle chaîne infinie!

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Efprits purs dans les Cieux, Hommes, Poiffons, Oifeaux, 355
Habitans de la Terre, & des Airs, & des Eaux,
Infectes différens, que l'œil découvre à peine.
Brifez un des anneaux qui forment cette chaîne,
De l'affemblage entier l'équilibre eft perdu,
Et tout dans le cahos fe trouve confondu.
Si chaque tourbillon, où nagent les Planettes
Se meut différemment, felon des Loix fecrettes;
Si, confervant toujours un ordre merveilleux,

forme, il affermit l'affemblage des Cieux+

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Qu'une feule Planette en rompe l'harmonie,

Des autres tourbillons tout-à-coup défunie,

Elle entraîne en tombant tous les globes divers,
Dont le conftant accord forme cet Univers.
De fon centre ébranlé la Terre dérangée,
Sera dans le cahos au même instant plongée;
Les Aftres, les: Soleils, l'un fur l'autre entaffés,
Par les globes voifins ne font plus balancés ;
Dans le trouble & l'horreur la Nature expirante,
Jufqu'au Trône de Dieu porteroit l'épouvante.
Pour répondre aux defirs de l'Homme ambitieux,
Faudra-t-il renverfer & la Terre & les Cieux ?
Si dans le corps humain chaque membre rebelle
Aux mouvements fecrets d'une loi naturelle,
A d'autres fonctions fe vouloit attacher;

Si le pied vouloit voir, fi l'œil vouloit marcher ;
Si la main au travail uniquement bornée
Prétendoit de la tête avoir la destinée,
Enfin, fi chacun d'eux fe faifoit un tourment
D'obéir à l'efprit, dont ils font l'inftrument;
Quelle confufion! N'en eft-il pas de même,
Quand l'Homme révolté contre l'Etre fuprême,
De tout Etre créé le mobile & l'efprit,

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Veut fortir de la régle & de l'ordre préfcrit?

De ce vafte Univers les diverfes parties. Sont pour former un tout fagement afforties:

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De ce tout étonnant la Nature eft le corps,

L'Eternel en eft l'ame, en conduit les refforts;

Et s'il fe cache aux yeux, les traits de fa puiffance
Annoncent à l'efprit fon augufte présence:

En fabricant la Terre, en conftruifant les Cieux,
Il est également puiffant & glorieux :

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En tous lieux il s'étend, fans avoir d'étendue;
Sans être divifé, par tout il s'infinue,

Des efprits & des corps c'eft l'invisible appui.
Et tout Etre vivant refpire, agit en lui.

Il donne & ne perd rien; il produit, il opére,
Sans que jamais fa force, ou fe laffe, ou s'altére:
Il fe montre à nos yeux aufli fage, auffi grand
Dans le moindre Ciron, que dans un Eléphant;
Dans un Homme ignoré fous une humble chaumiere,
Que dans le Séraphin rayonnant de lumiere.
Le foible & le puiffant, le grand & le petit,
Tout, devant fes regards, tombe, s'anéantit.
Sa fubftance pénétre & le Ciel & la Terre,
Les remplit, les foutient, les joint & les refferre.
Rougis donc,.ô Mortel, de ta préfomption,
Et ne nomme plus l'ordre une imperfection.
Ce qui paroît un mal à notre foible vue,
Eft de notre bonheur une fource inconnue.
Rentre enfin dans toi même, à l'Eternel foumis,
Contente-toi du rang, où fes decrets t'ont mis.

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Sois fûr, que dans ce Monde, ou dans quelqu'autre Sphère
Dans les bras de ton Dieu tu trouveras un Pere;
Et qu'en lui foumettant ton efprit & ton cœur,
Chaque pas, que tu fais, te conduit au bonheur.
Dans le moment fatal, qui finit ta carriere,
Ainfi que dans l'inftant, où tu vois la lumiere,
Toujours cher à fes yeux, ne crains rien pour ton fort;
S'il préfide à ta vie, il préfide à ta mort:
La nature n'est pas une aveugle puissance,

C'est un art, qui fe cache à l'humaine ignorance;
Ce qui paroit hazard, eft l'effet d'un deflein,
Qui dérobe à tes yeux fon principe & fa fin.
Ce qui dans l'Univers te révolte & te bleffe,
Forme un parfait accord, qui passe ta fageffe:
Tout défordre apparent est un ordre réel;
Tout mal particulier un bien univerfel;
Ainfi malgré tes fens, malgré leur impofture,
Conclus, que tout eft bien dans toute la Nature.

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SOMMAIRE

De la nature & de l'état de l'Homme par rapport à lui-même, confidéré comme individu. Il n'eft pas fait pour étudier la nature de Dieu: mais pour s'ér tudier lui-même. L'Homme eft un mélange de grandeur & de baffeffe, de lumiere & d'obfcurité, de perfections & d'imperfections, de force & de foibleffe. Combien il eft borné dans fes connoiffances. Deux principes de nos actions, l'amour propre, & la raifon. Tous deux font également néceffaires: quoique trèsdifférens, ils tendent au même but.

L'Homme ne

peut être heureux, qu'autant qu'il fait les accorder entr'eux, & les renfermer dans leurs juftes bornes. Les paffions font des modifications de l'amour propre. Elles font d'une grande utilité à l'Homme en parti culier, & à la focieté en général. Il ne s'agit pas de détruire les paffions, mais de les gouverner, & de les tempérer les unes par les autres. De la paf fion dominante. Elle est néceffaire pour faire entrer les Hommes dans les différentes vues que la Provi dence a fur eux, & pour donner plus de force à

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