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les entretiens; quelquefois des lectures faites par l'un, répétées par l'autre 102; si l'on peut même par ses leçons rendre les hommes meilleurs, pourquoi ne le ferait-on pas? Eh quoi! il est honnête d'enseigner la formule qui rend valable l'aliénation des biens consacrés 103, et si l'on enseigne l'art de défendre la consécration même, cela n'est pas honnête?

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Mais, dit-on, on s'honore du titre de jurisconsulte sans connaître le droit, tandis que ceux qui sont habiles dans l'art de parler dissimulent leur talent, et cela parce que la jurisprudence est agréable aux hommes, et que l'éloquence leur est suspecte. Mais l'éloquence peut-elle. vraiment se déguiser? échappe-t-elle à notre pénétration? ou bien s'expose-t-on à quelque reproche en enseignant aux autres un art grand et noble? Qu'il est beau d'avoir étudié soi-même! Quelques uns peut-être dissimulent leurs études; pour moi, je m'en suis toujours fait gloire. Pourrais-je n'en pas convenir, puisque, bien jeune encore, j'ai quitté Rome et passé la mer pour m'instruire; puisque ma maison a toujours été remplie des hommes les plus éclairés; et que peut-être mes entretiens offrent quelques traces de connaissances? mes écrits d'ailleurs sont honorés du public; comment alors dissimuler mes études? Que m'en reviendrait-il, sinon de passer pour ne pas en avoir tiré grand fruit?

XLIII. Il y a cependant, il faut l'avouer, plus de dignité à traiter les points précédens, que ceux dont je vais parler. Il s'agit, en effet, d'examiner maintenant la manière d'arranger les mots, et pour ainsi dire de compter, de mesurer les syllabes; cet art, tout nécessaire qu'il est, selon moi, a bien un autre éclat dans la pratique que dans les règles qu'on en donne. Cela est vrai

omnium magnarum artium, sicut arborum, altitudo nos delectat; radices stirpesque non item : sed esse illa sine his non potest. Me autem, sive pervagatissimus ille versus, qui vetat,

Artem pudere proloqui, quam factites,

dissimulare non sinit, quin delecter; sive tuum studium hoc a me volumen expressit : tamen eis, quos aliquid reprehensuros suspicabar, respondendum fuit. Quod si ea, quæ dixi, non ita essent; quis tamen se tam durum agrestemque præberet, qui hanc mihi non daret veniam, ut, quum meæ forenses artes, et actiones publicæ concidissent, non me aut desidiæ, quod facere non possum; aut mœstitiæ, cui resisto, potius, quam litteris, dederem? quæ quidem me antea in judicia atque in curiam deducebant, nunc oblectant domi. Nec vero talibus modo rebus, quales hic liber continet, sed multo etiam gravioribus et majoribus : quæ si erunt perfectæ, profecto forensibus nostris rebus etiam domesticæ litteræ respondebunt. Sed ad institutam disputationem rever

tamur.

XLIV. Collocabuntur igitur verba, aut ut inter se quam aptissime cohæreant extrema cum primis, eaque sint quam suavissimis vocibus; aut ut forma ipsa concinnitasque verborum conficiat orbem suum; aut ut comprehensio numerose et apte cadat. Atque illud primum videamus, quale sit, quod vel maxime desiderat diligentiam, ut fiat quasi structura quædam, nec tamen fiat

de toutes choses, mais surtout de ce qui nous occupe maintenant. Il en est des études les plus nobles, comme de ces arbres dont la hauteur charme nos regards; on n'en peut dire autant des racines; mais, sans leur secours, l'arbre n'aurait pu s'élever. Pour moi, soit que ce vers, passé en proverbe,

Pourquoi rougir de l'art que l'on professe ?....

me force d'avouer que je me plais infiniment à ces travaux ; soit que le désir de vous satisfaire m'ait arraché ce traité, j'ai cru cependant devoir prévenir la critique de certains esprits. Quand même ce que j'ai dit ne serait pas aussi bien fondé, il faudrait être bien difficile, bien sauvage, pour ne pas me permettre, quand je ne puis plus vaquer ni aux fonctions du barreau, ni aux affaires publiques 104, de chercher de la consolation dans les lettres, au lieu de me livrer à l'oisiveté, qui me répugne, ou à la tristesse, que je tâche de vaincre? Ces études, qui autrefois m'accompagnaient au sénat, au barreau, font aujourd'hui le bonheur de ma solitude. Au reste, je ne m'occupe pas seulement des matières traitées dans ce livre; je m'occupe de sujets d'une importance plus haute; si je puis y donner la dernière main, mes travaux privés ne paraîtront pas, je pense, inférieurs à mes discours publics. Revenons à notre objet.

XLIV. L'arrangement des mots consiste ou à lier le plus habilement possible les dernières syllabes avec les suivantes, et à former les sons les plus agréables; ou à choisir les mots, et à les disposer si bien que la mesure naisse d'elle-même; ou à donner à la période un tour harmonieux, une juste cadence. Voyons ce qui concerne le premier arrangement pour réussir en ce point, il

operose: nam esset quum infinitus, tum puerilis labor; quod apud Lucilium scite exagitat in Albucio Scævola,

Quam lepide lexeis compostæ! ut tesserulæ omnes
Arte pavimento, atque emblemate vermiculato.

Nolo tam minuta hæc constructio appareat: sed tamen stilus exercitatus efficiet facile hanc viam componendi. Nam ut in legendo oculus, sic animus in dicendo prospiciet, quid sequatur, ne extremorum verborum cum insequentibus primis concursus, aut hiulcas voces efficiat, aut asperas. Quamvis enim suaves gravesque sententiæ, tamen si inconditis verbis efferuntur, offendent aures; quarum est judicium superbissimum. Quod quidem latina lingua sic observat, nemo ut tam rusticus sit, qui vocales nolit conjungere: In quo quidam etiam Theopompum reprehendunt, quod eas litteras tanto opere fugerit; etsi id magister ejus Isocrates: at non Thucydides : ne ille quidem, haud paullo major scriptor, Plato; nec solum in his sermonibus, qui dialogi dicuntur, ubi etiam de industria id faciendum fuit, sed in populari oratione, qua mos est Athenis laudari in concione eos, qui sint in præliis interfecti; quæ sic probata est, ut eam quotannis, ut scis, illo die recitari necesse sit in ea est crebra ista vocum concursio, quam magna ex parte, ut vitiosam, fugit Demosthenes.

XLV. Sed Græci viderint; nobis, ne si cupiamus qui

faut sans doute de l'art et des soins; mais il ne faut pas que l'art soit trop sensible: ce serait un travail puéril et infini que de vouloir polir toutes les syllabes; et l'on mériterait ces reproches ingénieux que Scévola dans Lucilius adresse à Albucius 105:

Le bel arrangement, l'admirable industrie!
C'est une mosaïque, une marqueterie.

Je ne veux pas une attention si minutieuse: mais l'habitude d'écrire rendra facile cet artifice de la composition. Comme l'œil du lecteur, ainsi l'esprit de celui qui compose voit ce qui suit; et il évite le choc de certaines syllabes entre elles, les hiatus, les sons durs. Quelque agrément et quelque noblesse que puissent avoir les pensées, si l'expression n'en est pas harmonieuse, elles blesseront l'oreille, ce juge si sévère. C'est au reste quelque chose de si conforme au génie de notre langue, qu'il n'y a aucun Romain, quelque grossier qu'il soit, qui ne préfère l'élision au choc des voyelles. On reproche cependant à Théopompe d'avoir poussé trop loin cette attention: ainsi faisait Isocrate son maître, mais non Thucydide, ni même cet écrivain plus grand qu'eux tous, Platon; non-seulement dans ses dialogues, où cette négligence était commandée par l'art même, mais dans ce discours funèbre, qu'il composa, suivant l'usage d'Athènes, en l'honneur des guerriers morts pour la patrie, et qui fut trouvé si beau, que la loi ordonne, comme vous le savez, que tous les ans on en fasse lecture publique. On y rencontre souvent des voyelles qui se heurtent, ce que Démosthène, presque partout, évite comme un défaut.

XLV. Mais c'est aux Grecs à juger ce que leur lan

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