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et quelles agitations ne dut-elle pas amener, puisque aussitôt nous voyons apparaître, les unes après les autres, des lois judiciaires se modifiant, se détruisant, comme si les sénateurs et les chevaliers luttaient et s'arrachaient tour à tour le pouvoir : (an 632) loi Sempronia aux chevaliers; (an 648) loi prima Servilia jud. partage entre les deux ordres; (an 654) loi secunda Servilia jud. aux chevaliers; (an 663) loi Livia jud. partage entre les deux ordres; (an 672) sons Sylla, loi Cornelia jud. aux sénateurs; (an 684) sous Pompée, loi Aurelia jud. et loi Pompeia jud. (699) partage entre les deux ordres.

Le préteur urbain est chargé de dresser une liste annuelle des juges-jurés. Il le fait publiquement, sous le serment de n'y admettre que les meilleurs citoyens, dans les conditions et dans le nombre prescrits. Ce sont les judices selecti, judices in albo relali, pour toute l'année. Cette liste comprenait, en vertu de la loi Aurelia, trois décuries: la première de sénateurs, la deuxième de chevaliers, la troisième des tribuns du trésor. Le nombre des décuries augmenta plus tard, et sous l'empire l'aptitude à y être inscrit descendit jusqu'aux militaires et aux citoyens plus faibleinent imposés que les chevaliers '.

Ainsi, à la fin de la République, chaque délit a sa loi, son tribunal, sa procédure bien déterminée. Nul ne peut être traduit devant les tribunaux permanents, si ce n'est en vertu d'une loi, d'un plébiscite ou d'un' sénatus-consulte approuvé par les tribuns. Ces actes permettent et règlent la mise en accusation.

On procède ensuite à la désignation des juges, citoyens jurés, pris sur le tableau annuel, dressé publiquement par le préteur et

affiché au Forum. Le mode de cette désignation, ainsi que le nombre des jurés, est déterminé, pour chaque délit, par la loi établissant la question perpétuelle.

Les délits pour lesquels il n'existe pas de question perpétuelle, sont jugés par les comices, le Sénat, et dans certains cas par les édiles curules, par des magistrats ou des quæsilores, désignés spécialement. Cette procédure s'appelle extraordinaire (cognitio extraordinaria). La connaissance du crime de perduellio (haute trahison) fut toujours dévolue au comiliatus maximus (comices par centuries), comme tribunal supérieur aux Duumvirs, délégués appelés à prononcer en premier ressort 2.

Voici en résumé comment on procédait pour l'exercice des actions publiques, devant les quæstiones perpetuæ.

Tout citoyen avait le droit d'intenter une accusation. On se présentait devant le juge, et l'on demandait l'autorisation d'accuser la personne que l'on désignait. Cette déclaration ou postulatio était affichée un certain temps au Forum; s'il y avait des

1. Ortolan, ouvrage cité. 2. Voyez Ortolan. Id.

accusateurs en second ordre, ou subscriptores, ils remplissaient la même formalité.

Un jury décidait ensuite quel serait l'accusateur, parmi ceux qui se présentaient, et ce procès préparatoire s'appelait divinatio, parce que le juge devinait en quelque sorte quel devait être l'accusateur.

Celui qui était désigné précisait ensuite les faits, la nature du crime, la peine qu'il demandait (nominis et criminis delatio). Le magistrat dressait un procès-verbal (inscriptio), déclarait l'inculpé en état d'accusation (reatu), et fixait le jour de la comparution. Un délai plus ou moins long était accordé pour l'information, dont l'accusateur lui-même était chargé, et nous voyons par l'exemple de Cicéron dans l'affaire de Verrès, qu'il n'employait pas toujours le délai entier qui lui était accordé.

Puis commençait la procédure devant les juges-jurés (judicium). Les parties étaient citées; en leur présence on tirait au sort le président et les membres du jury (sortitio); dans certaines quæstiones déterminées ils étaient produits en nombre égal par l'accusateur et l'accusé (editi), mais toujours le droit de récusation était largement exercé. Le nombre des jurés variait suivant les quæstiones.

On entendait d'abord l'accusateur ou les accusateurs; puis l'accusé, qui était entouré de ses amis ou protecteurs (advocati), ou son avocat (patronus) prenait la parole: il y avait généralement plusieurs avocats. Les témoins, qui prêtaient serment par Jupiter, étaient entendus après la discussion ou pendant la plaidoirie; la loi Pompeia, portée à l'occasion du procès de Milon, disposa que les preuves seraient produites à l'ouverture des débats: l'usage varia très-souvent sur ce point'.

Enfin, le préteur ou le président (judex quæstionis) distribuait aux jurés des tablettes où ils écrivaient secrètement un A (absolvo) ou un C (condemno), ou les lettres N L (non liquet, l'affaire n'est pas claire). La majorité absolue des suffrages décidait s'il y avait condamnation, absolution ou renvoi à un plus ample informé (ampliatio).

Telles étaient les formes de procédure suivies devant les quæstiones perpetuæ: elles étaient à peu près les mêmes devant les autres tribunaux.

§ III. Affaires civiles.

Si des affaires criminelles nous passons à l'examen des procès civils, nous trouvons également 1° deux pouvoirs judiciaires sẻparés, l'un établissant le droit et organisant le procès, l'autre jugeant et prononçant; 2° le jury universellement appliqué.

1. Certaines affaires se plaidaient une seconde fois, après un jour franc d'intervalle: cette deuxième action s'appelait comperendinatio.

b

Les Quirites, les hommes à la lance, avaient dans leurs coutumes juridiques, même antérieurement à la loi des DouzeTables, des formes de procédure, simulacre d'actes de violence ou de combat, dans lesquels se révèle tantôt leur vie militaire, le rôle que jouait la lance parmi eux; tantôt la domination sacerdotale et patricienne, qui avait réglé les formes, et qui les avait fait passer de l'état de grossière réalité à celui de symboles et de pantomimes commémoratives.

Peu après la promulgation des Douze-Tables, on régla les formes de procéder ou actions de la loi (actiones legis). Le mot d'action veut dire forme de procéder; c'est une procédure, considérée dans son ensemble, dans la série des actes et des paroles qui la constituent.

Il existait primitivement quatre actions; deux étaient des formes de procéder pour arriver au règlement et à la décision du litige; deux étaient plus particulièrement des formes de procéder pour la mise à exécution.

Les deux premières se nommaient actio sacramenti, et judicis postulatio; les deux autres manus injectio et pignoris capio.

L'actio sacramenti s'appliquait, avec des variations de formes, aux poursuites soit pour obligation, soit pour droit de propriété ou autres droits réels; son caractère prédominant consiste dans le sacramentum ou somme d'argent que le plaideur doit consigner dans les mains du pontife, et qui sera perdue pour celui qui succombera, au profit du culte public.

La judicis postulatio se réfère à la demande faite au magistrat d'un juge pour juger le procès, sans recourir au sacramenlum; c'est par conséquent une simplification de procédure, pour des cas où la rigueur civile s'adoucit.

La manus injectio (main mise) est la saisie corporelle de la personne du débiteur condamné, ou convaincu par son aveu ; à la suite de cette formalité, il était addictus, attribué au créancier par le préteur.

La pignoris capio (prise de gage) est la saisie de la chose du débiteur. Sauf cette dernière forme, les actions de la loi s'accomplissent devant le magistrat (in jure), même dans le cas où il doit donner un juge; c'est le préliminaire juridique.

Ce qui caractérise le système des actions, ce sont les symboles qui y figurent, la lance (vindicta), la glèbe, la tuile, la balance; les gestes sont sévèrement réglés, ainsi que les paroles à prononcer; ces paroles sont sacrées; on perd un procès pour dire vites au lieu de arbores, terme sacramentel. Le patricien seul et le pontife connaissent ces pantomimes et ces formules; seuls ils possèdent la juridiction (jus), et seuls le jugement (judicium); car le juge ne peut être pris que dans la caste privilégiée.

Mais peu à peu le peuple romain s'affranchit de ce joug étroit; les actions de la loi tombent en désuétude, d'abord on en crée

une cinquième, appelée condictio, et enfin elles finissent par être presque hors d'usage, et font place à un système plus commode. C'est le système formulaire.

Ce système, conséquence graduelle du progrès de la démocratie, ne fut en réalité qu'une modification du système précédent. Peu à peu la formule se dégagea de la symbolique inventée par les patriciens, et les arcanes de la procédure devinrent plus accessibles, non pour les plaideurs eux-mêmes, mais pour les jurisconsultes ou les patriciens chargés de les diriger. Le système nouveau consistait particulièrement dans une formule que le préteur écrivait sur l'exposé et la demande des parties, et qui était remise au juge pour servir de règle à cette décision 3.

Cette formule renfermait quatre parties distinctes: la demonstratio indiquait le fait à l'occasion duquel s'était élevé un litige; l'intentio énonçait la prétention du demandeur et fixait le point de droit; l'adjudicatio autorisait le juge à adjuger à l'une des parties sa part dans l'objet contesté; la condemnatio donnait au juge le pouvoir de condamner ou de renvoyer la demande.

Ainsi, le préteur, par la formule, investissait le juge du droit de juger (do, dico, addico). Le juge était ordinairement pris dans la liste affichée des jurés; choisi par les parties, ou tiré au sort, avec droit de récusation pour les deux parties. D'autres fois, le jugement était donné, non à un juge, mais à un arbiter, sans qu'il soit facile d'indiquer la différence exacte de ces deux termes. Le préteur donnait également aux parties des recuperatores. Etablis primitivement pour juger les différends des citoyens avec les étrangers, sous la juridiction du prætor peregrinus, les récupérateurs furent appelés plus tard à vider des procès de toute espèce; ils étaient au nombre de trois, tandis qu'il n'y avait qu'un arbiter ou judex.

Enfin, dans certains cas, le préteur renvoyait la cause devant le tribunal permanent des centumvirs, dont l'origine n'est pas bien connue. Les quatre chambres qui le composaient siégeaient ensemble ou séparément; il y avait aussi un tribunal de décemvirs, dont les attributions ne nous sont pas bien connues.

En résumé, sauf des cas où le magistrat statuait lui-même (judicia extraordinaria), il déclarait simplement le droit, et organisait l'instance. L'affaire était ensuite jugée par le juge-juré, l'arbitre, ou les récupérateurs, excepté certaines affaires de la compétence du tribunal des centumvirs ou de celui des décemvirs.

1. Grellet-Dumazeau. Le Barreau romain.

APPRECIATION DU TALENT ORATOIRE DE CICERON.

EXTRAIT DE QUINTILIEN. (Liv. XII, Inst. Orat.)

Quorum ego virtutes plerasque arbitror similes, consilium, ordinem, dividendi, præparandi, probandi rationem, omnia denique quæ sunt inventionis. In eloquendo est aliqua diversitas pensior ille, hic copiosior: ille concludit adstrictius, hic laxius pugnat : ille acumine semper, hic frequenter et pondere: illi nihil detrahi potest, huic nihil adjici : curæ plus in illo, in hoc naturæ.

Salibus certe et commiseratione (qui duo plurimum affectus valent) vincimus. Et fortasse epilogos illi, mos civitatis abstulerit. Sed et nobis illa quæ attici mirantur, diversa latini sermonis ratio minus permiserit.

Cedendum vero in hoc quidem, quod et ille prior fuit, et ex magna parte Ciceronem, quantus est, fecit. Nam mihi videtur Marcus Tullius, cum se totum ad imitationem Græcorum contulisset, effinxisse vim Demosthenis, copiam Platonis, jucunditatem Isocratis.

Nec vero quod in quoque optimum fuit, studio consecutus est tantum, sed plurimas vel potius omnes ex seipso virtutes extulit immortalis ingenii beatissima ubertate. Non enim pluvias, ut ait Pindarus, aquas colligit, sed vivo gurgite éxundat, dono quodam providentiæ genitus, in quo totas vires suas eloquentia experiretur.

Nam quis docere diligentius, movere vehementius potest? Cui tanta unquam jucunditas adfuit? Ut ipsa illa quæ extorquet, impetrare eum credas: et cum transversum vi suâ judicem ferat, tamen ille non rapi videatur, sed sequi. Jam in omnibus quæ dicit, tanta auctoritas inest, ut dissentire pudeat: nec advocati studium, sed testis aut judicis afferat fidem. Cum interim hæc omnia, qua vix singula quisquam intentissima cura consequi posset, fluunt illaborata. Et illa, quâ nihil pulchrius auditu est, oratio præ se fert tamen felicissimam facilitatem.

Quare non immerito ab hominibus ætatis suæ regnare in judiciis dictus est: apud posteros vero id consecutus, ut Cicero jam non hominis sed eloquentiæ nomen habeatur. Hunc igitur spectemus: hoc propositum sit nobis exemplum. Ille se profecisse sciat, cui Cicero valde placebit'.

1. La plupart des qualités de l'orateur sont au même degré chez tous les deux : la sagesse, la méthode, l'ordre des divisions, l'art des préparations, la disposition des preuves, enfin tout ce qui tient à ce qu'on appelle invention. Dans l'élocution, il y a quelque différence. L'un serre de plus près son adversaire; l'autre prend plus de champ pour combattre. L'un se sert toujours de la pointe de ses armes; l'autre en fait aussi souvent sentir le poids. On ne peut rien ôter à l'un, rien ajouter à l'autre. Il y a plus de travail dans Démosthènes, plus de naturel dans Cicéron. Celui-ci l'emporte évidemment pour la plaisanterie et le pathétique, deux puissants ressorts de l'art oratoire. Peut-être dira-t-on que les mœurs

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