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EXTRAIT DE FÉNELON. LETTRE A L'ACADÉMIE.

Je ne crains pas de dire que Démosthènes me paraît supérieur à Cicéron. Je proteste que personne n'admire Cicéron plus que je ne fais. Il embellit tout ce qu'il touche; il fait honneur à la parole; il fait des mots ce qu'un autre n'en saurait faire. Il a je ne sais combien de sortes d'esprits. Il est même court et véhément toutes les fois qu'il veut l'être, contre Catilina, contre Verrès, contre Antoine. Mais on remarque quelque parure dans son discours. L'art y est merveilleux, mais on l'entrevoit. L'orateur, en pensant au salut de la République, ne s'oublie pas et ne se laisse point oublier. Démosthènes paraît sortir de soi et ne voir que la patrie; il ne cherche point le beau; il le fait sans y penser. Il se sert de la parole comme un homme modeste de son habit pour se couvrir. Il tonne, il foudroie; c'est un torrent qui entraîne tout. On ne peut le critiquer, parce qu'on est saisi; on pense aux choses qu'il dit et non à ses paroles. On le perd de vue; on n'est occupé que de Philippe qui envahit tout. Je suis étonné de ces deux natures; mais j'avoue que je suis moins touché de l'art infini et de la magnifique éloquence de Cicéron que de la rapide simplicité de Démosthènes.

et les lois d'Athènes ne permettaient pas à l'orateur grec les belles péroraisons du nôtre; mais aussi la langue attique lui donnait des avantages et des beautés que la notre n'a pas. D'un autre côté, Démosthènes a un grand avantage, c'est qu'il est venu le premier, et qu'il a contribué en grande partie à faire Cicéron ce qu'il est. Il s'est attaché à imiter les Grecs, et nous a représenté, ce me semble, á lui seul la force de Démosthènes, l'abandon de Platon, la douceur d'lsocrate. Mais ce n'est pas l'étude qu'il a pu en faire qui lui a donné ce qu'il y a dans chacun d'eux il l'a tiré de lui-même et de cet heureux génie né pour réunir toutes les qualités. On dirait qu'il a été formé par une destination particulière de la Providence qui a voulu montrer aux hommes jusqu'où l'éloquence pouvait aller. En effet, qui sait mieux développer la vérité? qui sait émouvoir plus puissamment les passions? quel écrivain eut jamais autant de charme? Ce qu'il arrache de force, il semble l'obtenir de plein gré, et quand il vous entraîne avec violence, vous croyez le suivre volontairement. Il y a dans tout ce qu'il dit une telle autorité, qu'on a honte de n'être pas de son avis. Ce n'est point un avocat qui s'emporte, c'est un témoin qui dépose, un juge qui prononce, et cependant tous ces différents mérites dont chacun coûterait un long travail à tout autre qu'à lui, semblent ne lui avoir rien coûté, et dans la perfection de son style il conserve toute sa grace et la plus heureuse facilité. C'est donc à juste titre que parmi ses concitoyens il a passé pour le dominateur du barreau, et que dans la postérité son nom est devenu celui de l'éloquence. Ayons-le donc toujours devant les yeux comme le modèle que l'on doit se proposer, et que celui-là soit sûr d'avoir profité beaucoup, qui aimera beaucoup Cicéron.

POUR S. ROSCIUS D'AMÉRIE.

ARGUMENT.

Pendant les proscriptions de Sylla, S. Roscius d'Amérie fut assassiné (septembre 672). Deux de ses parents, Capiton et Magnus, pour s'emparer impunément de sa fortune, s'associèrent Chrysogonus, affranchi et favori de Sylla. Bien que Roscius eût été partisan de la noblesse et de Sylla, bien que le terme des proscriptions, fixé par le dictateur lui-même, fût passé depuis trois mois, Chrysogonus se fit adjuger les biens de Roscius, valant six millions de sesterces (1,230,000 fr.), pour la somme dérisoire de deux mille sesterces.

Non contents de dépouiller ainsi le jeune Roscius, les complices, après avoir tenté de le faire périr, le firent accuser par un certain Erucius, d'avoir tué son père. Le crédit de Chrysogonus effrayait les plus puissants amis du jeune homme. Cicéron, à peine âgé de vingt-sept ans, se chargea de cette cause périlleuse, devant le tribunal, composé de sénateurs en vertu de la loi Cornelia, et présidé par le préteur Fannius.

Dans l'exorde, Cicéron explique pourquoi il défend Roscius, bien que ce jeune homme ait pour protecteurs des hommes d'un plus grand talent et d'une plus grande autorité. On pardonnera plutôt à son âge ce qu'il pourra dire de trop hardi; et d'ailleurs, l'amitié lui faisait un devoir d'accepter cette mission. Il invoque l'indulgence des juges pour lui-même, leur pitié pour le malheureux accusé, leur sévérité pour les audacieux accusateurs.

La narration qu'il fait des événements, met en pleine lumière l'innocence de son client, dont la vertu ne peut être même soupçonnée d'un crime sans motif, et fait ressortir la scélératesse des calomniateurs, qui, non contents d'avoir dépouillé Roscius, veulent attirer sur sa tête la peine des parricides. C'est ici que se place cette fameuse tirade sur le parricide, tant applaudie par les auditeurs, et taxée plus tard par Cicéron lui-même de déclamation.

Dans la seconde partie de la confirmation, Cicéron démontre que, selon toutes les apparences, les parents de Roscius le père sont ses véritables assassins; dans la troisième, que la vente des biens, ou plutôt la confiscation au profit de l'infàme Chrysogonus, est tout à fait illégale.

La péroraison, que nous citons, est un modèle de véhémence et de pathétique.

L'éloquence du jeune Cicéron fut, dans cette circonstance, à la

EXTR. DE CIG.

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hauteur de son courage; il gagna son procès, et dès lors fut placé au rang des plus grands orateurs.

I.

EXORDE.

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Credo ego vos, judices, mirari, quid sit, quod, quum tot summi oratores hominesque nobilissimi sedeant 1, ego potissimum surrexerim, qui neque ætate neque ingenio neque auctoritate sim cum iis, qui sedeant, comparandus. Omnes enim hi, quos videtis adesse in hac causa, injuriam novo scelere conflatam putant oportere defendi; defendere ipsi propter iniquitatem temporum non audent. Ita fit, ut adsint, propterea quod officium sequuntur; taceant autem idcirco, quia periculum metuunt. Quid ergo? Audacissimus ego ex omnibus? Minime. At tanto officiosior, quam ceteri? Ne istius quidem laudis ita sum cupidus, ut aliis eam præreptam velim. Quæ me igitur res præter ceteros impulit, ut causam Sex. Roscii reciperem $? Quia, si quis istorum dixisset, quos videtis adesse, in quibus summa auctoritas est atque amplitudo; si verbum de re publica fecisset, id quod in hac causa fieri necesse est, multo plura dixisse, quam dixisset putaretur: ego etiamsi omnia quæ dicenda sunt libere dixero, nequaquam tamen similiter oratio mea exire atque in vulgus emanare poterit. Deinde, quod ceterorum neque dictum obscurum potest esse propter nobilitatem et amplitudinem, neque temere. dicto concedi propter ætatem et prudentiam; ego si quid liberius dixero, vel occultum esse propterea, quod nondum ad rempublicam accessi, vel ignosci adolescentiæ meæ poterit: tametsi non modo ignoscendi ratio, verum etiam cognoscendi consuetudo jam de civitate sublata est. Accedit illa quoque causa, quod a ceteris forsitan ita peti

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tum sit ut dicerent, ut utrumvis salvo officio se facere posse arbitrarentur: a me autem ii contenderunt, qui apud me et amicitia et beneficiis et dignitate plurimum possunt, quorum ego neque benevolentiam erga me ignorare, nec auctoritatem aspernari, nec voluntatem negligere debeam.

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His de causis ego huic causæ patronus exstiti, non electus unus, qui maximo ingenio, sed relictus ex omnibus, qui minimo periculo possem dicere: neque uti satis firmo præsidio defensus Sex. Roscius, verum uti ne omnino desertus esset. Forsitan quæratis, qui iste terror sit et quæ tanta formido, quæ tot ac tales viros impediat, quo minus pro capite et fortunis alterius 2 quemadmodum consuerunt causam velint dicere. Quod adhuc vos ignorare non mirum est, propterea quod consulto ab accusatoribus ejus rei, quæ conflavit hoc judicium, mentio facta non est. Quæ res ea est? Bona patris hujusce Sex. Roscii, quæ sunt sexagies quæ de viro fortissimo et clarissimo, L. Sulla, quem honoris causa nomino, duobus millibus nummum sese dicit emisse adolescens, vel potentissimus hoc tempore nostræ civitatis, L. Cornelius Chrysogonus. Is a vobis, judices, hoc postulat, ut, quoniam in alienam pecuniam tam plenam atque præclaram nullo jure invaserit, quoniamque ei pecuniæ vita Sex. Roscii obstare atque officere videatur, deleatis ex animo suo suspicionem omnem metumque tollatis: sese hoc incolumi non arbitratur hujus innocentis patrimonium tam amplum et copiosum. posse obtinere; damnato et ejecto sperat se posse, quod adeptus est per scelus, id per luxuriam effundere atque consumere. Hunc sibi ex animo scrupulum, qui se dies

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chaussure, qui blesse le pied; d'où le sens métaphorique de souci, inquiétude, qu'il a ici et dans beaucoup d'endroits. Ex. «Hunc mihi ex animo scrupulum calle qui me dies noclesque stimulat ac pungit. Pro Cluentro. 76. Domesticorum quidem sollicitudinum aculeos omnes et scrupulos occultabo. » Lett. à Att. 1-4. Scrupulus veut dire aussi tout simplement petit poids, petite quantité. Scrupulus argenti.

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