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de possession ne dure qu'aussi longtemps que quelque changement de fait ne vient point mettre le possesseur dans une position où il lui devient physiquement impossible d'agir désormais exclusivement sur la chose, à son gré, par lui-même ou par d'autres. Possessio corpore sive facto contrario, in contrarium acto amittitur.

Comme la possession est un moyen extérieur nécessaire à l'exercice de la propriété, elle tombe dans la sphère du droit et a un sens juridique, quoiqu'en elle-même, et d'après son essence originaire, elle soit un simple fait. C'est aussi une conséquence de l'idée de la propriété exposée plus haut, que le propriétaire, comme tel, en règle générale, tant que, par exception, quelques motifs particuliers ne s'y opposent point, peut exiger la possession paisible de la chose, et la défendre par les voies de droit contre tout trouble. Sous ce rapport, la possession est à la propriété, comme l'élément matériel est à l'élément légal, comme l'exercice du droit et la possibilité physique de cet exercice sont au droit luimême 1.

Maintenant, de même que le propriétaire ne possède pas nécessairement toujours sa chose, et même n'a pas toujours le droit d'en exiger la possession, de même, réciproquement, on peut posséder une chose sans en être propriétaire, on peut posséder la chose d'autrui.

Cela peut arriver tantôt avec droit, tantôt sans droit, et le but du possesseur peut varier beau

coup.

'On peut dire que c'est le fait dans lequel le droit vient se réaliser. Voy. mon Exposé des principes généraux du droit romain sur la propriété, etc., 2e édit., no 7, p. 8-10. (Note du traducteur.)

Ainsi le possesseur réunit souvent à la détention naturelle de la chose l'intention de s'en attribuer en même temps la propriété, il veut exercer formellement le droit de propriété sur cette chose. Alors sa possession prend, par cette intention, un certain caractère juridique tout particulier; car le droit romain rattache à un semblable exercice de fait de la propriété, abstraction faite de la question de savoir si le droit de propriété appartient véritablement ou non à celui qui l'exerce, certaines conséquences de droit, certains effets favorables au possesseur. C'est pourquoi on nomme une pareille possession, possession juridique, par opposition à la possession non juridique, c'est-à-dire aux cas où l'on a une chose corporellement en son pouvoir, mais sans l'intention de s'attribuer le droit de propriété.

Les Romains nomment, dans un sens large, toute possession possessio; mais, dans un sens étroit, rigoureux, technique, ils désignent, par l'expression possessio et possidere, seulement cette espèce de possession que nous appelons juridique : ils désignent la possession non juridique par les expressions habere, tenere rem, ou naturaliter possidere, naturalis possessio.

D'après l'explication qui précède, ce qui convertit la possession de fait en une possession de droit, en une possession proprement dite, c'est une certaine intention, savoir l'intention de s'attribuer le droit de propriété sur la chose, l'animus (sibi) possidendi, appelé aussi simplement animus. Cela explique pourquoi l'on dit en droit romain: possessio corpore (facto) et animo adquiritur. Et comme cette intention, qui a existé jusqu'à cet instant, peut ensuite cesser d'exister, à cette maxime se rattache immédiatement cette autre maxime pos

sessio corpore et animo contrario (in contrarium acto) amittitur.

Ce qui caractérise la possession juridique, ce sont certains effets de droit qui s'y rattachent, en faveur du possesseur, les jura possessionis. Ainsi celui qui possède une chose comme propriétaire, soit qu'il en ait véritablementla propriété, ou qu'il ne l'ait pas, soit que, dans ce dernier cas, il croie être propriétaire, ou que sciemment il s'attribue à tort cette propriété, peut cependant provisoirement prétendre à la garantie de droit contre tout fait qui trouble arbitrairement sa possession. Cette garantie consiste dans les interdits possessoires, c'est-à-dire dans certaines actions personnelles, par lesquelles le possesseur, en suivant la forme propre à la procédure des interdits, peut écarter tout trouble apporté à sa possession. Ainsi, quand le possesseur, par suite de cette voie de fait, a déjà perdu la possession physique, il peut, au moyen des recuperandæ possessionis interdicta, exiger la restitution immédiate de sa possession. Au contraire, si les voies de fait qui ont été exercées ne l'ont point encore dépouillé de sa possession, il peut, en intentant les retinendæ possessionis interdicta, faire maintenir et respecter sa possession actuelle. (Voy. ci-dessus, § 55).

Toute possession juridique donne donc droit à être protégé par les interdits possessoires, et cette protection forme le caractère général de la possession juridique, qu'aussi les modernes nomment ordinairement possession relative aux interdits, possessio ad interdicta. Mais la possession peut encore, avec l'adjonction de certaines circonstances, avoir un autre effet, une autre conséquence juridique plus importante.

En effet, celui qui a acquis, d'une certaine ma

nière, la possession juridique d'une chose, sans en être devenu propriétaire, peut convertir sa possession en propriété par cela même qu'il continue de posséder, pendant un certain temps, paisiblement et sans interruption. Il acquiert alors, par l'usage usus, la propriété de la chose, rem usu capit, usucapio. Cela suppose, comme condition préalable, qu'il a acquis la possession de la chose d'une manière juste, justo titulo, et dans la croyance loyale qu'il peut s'en attribuer la propriété, bona fide. Une semblable possession juridique qui peut ainsi conduire à l'usucapion est appelée par excellence, dans les sources, civilis possessio, à cause de cet effet de droit civil rigoureux.

Tout cela n'est littéralement vrai que des choses corporelles; car une chose incorporelle ne peut, d'après sa nature, être corporellement en notre pouvoir, être possédée. Cependant le besoin pratique a suggéré aux Romains l'idée d'appliquer, par analogie, les effets de la possession juridique à certains droits, notamment aux servitudes. Alors l'exercice du droit prend la place de la détention corporelle, corpus, factum, et l'intention de s'attribuer le droit qu'on exerce sur la chose d'autrui, prend la place de l'animus sibi possidendi. C'est ce qu'on appelle quasi possessio, ou juris possessio, par opposition à la vera possessio, ou corporis possessio.

Possideri autem possunt, quæ sunt corporalia. Et adipiscimur possessionem corpore et animo, neque per se animo, aut per se corpore. PAULUS, fr. 3, pr. et § 1, D., XLI, 2, De adquirenda vel amittenda possessione.

Quemadmodum nulla possessio adquiri, nisi animo et corpore, potest, ita nulla amittitur, nisi in qua utrumque in contrarium actum est. PAULUS, fr. 8, D., eod.

Sequens divisio interdictorum hæc est, quod quædam adipis

cendæ possessionis causa comparata sunt, quædam retinendæ, quædam recuperandæ....

Retinendæ possessionis causa comparata sunt interdicta uti possidetis et utrubi, quum ab utraque parte de proprietate alicujus rei controversia fit, et ante quæritur, uter ex litigatoribus possidere, uter petere debeat.... Sed interdicto quidem uti possidetis de fundi vel ædium possessione contenditur, utrubi vero interdicto de rerum mobilium possessione....

Recuperandæ possessionis causa solet interdici, si quis ex possessione fundi, vel ædium vi dejectus fuerit. Nam ei proponitur interdictum unde vi, per quod is, qui dejecit, cogitur ei restituere possessionem, cæt. § 2, 4 et 6, I., Iv, 15, De interdictis.

Usucapio est adjectio dominii per continuationem possessionis temporis lege definiti. MODESTINUS, fr. 3, D., XLI, 3, De usurp.

et usuc.

Fieri potest, ut alter possessor sit, dominus non sit, alter dominus quidem sit, possessor non sit; fieri potest, est et possessor idem et dominus sit. ULPIANUS, fr. 1, § 2, D., XLIII, 17, Uli possidetis.

II.

Histoire de la propriété.

$ 89.

Ancien droit romain.

L'idée de propriété (alicujus, meum, nostrum esse) est si naturelle qu'on peut admettre qu'elle est aussi ancienne que le droit romain lui-même.

Il n'y avait originairement qu'une seule espèce de propriété, qu'on exprimait par la formule meum est ex jure Quiritium.

Ce n'est que plus tard qu'on employa pour la désigner le mot dominium; et, après qu'à côté d'elle il se fut formé une autre espèce de propriété, on y ajouta, pour ne pas la confondre avec celle-ci, l'épithète de justum, legitimum dominium, dominium ex jure Quiritium.

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