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Sacrifier à l'homme, adorer son idole,

Lui venir, comme au dieu des saisons et des veuts,
Demander à genoux la pluie ou le beau temps?
Non. Mais cent fois la bête a vu l'homme hypocondre
Adorer le métal que lui-même il fit fondre;
A vu dans un pays les timides mortels

Trembler aux pieds d'un singe assis sur leurs autels ;
Et sur les bords du Nil les peuples imbécilles,
L'encensoir à la main, chercher les crocodiles.

Mais pourquoi, diras-tu, cet exemple odieux ? Qne peut servir ici l'Egypte et ses faux dieux? Quoi! me prouverez-vous par ce discours profane Que l'homme, qu'un docteur, est au-dessous d'un âne ?

Un âne, le jouet de tous les animaux,

Un stupide animal, sujet à mille maux ;

Dout le nom seul en soi comprend une satire!
Oui, d'un âne : et qu'a-t-il qui nous excite à rire ?
Nous nous moquons de lui : mais s'il pouvoit un jour,
Docteur, sur nos défauts s'exprimer à son tour;
Si, pour nous réformer, le ciel prudent et sage
De la parole enfin lui permettoit l'usage;
Qu'il put dire tout haut ce qu'il se dit tout bas;
Ah! Docteur, entre nous, que ne diroit-il pas !
Et que pent-il penser lorsque dans une rue
Au milieu de Paris il promene sa vue;
Qu'il voit de toutes parts les hommes bigarrés,
Les uns gris, les uns noirs, les autres chamarrés?
Que dit-il quand il voit, avec la mort en trousse.
Courir chez un malade un assassin en housse;
Qu'il trouve de pédants un escadron fourré,
Suivi par un recteur de bedeaux entouré;
On qu'il voit la Justice, en grosse compagnie,
Mener tuer un homme avec cérémonie?
Que pense-t-il de nous lorsque sur le midi

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Un hasard au palais le conduit un jeudi (1);
Lorsqu'il entend de loin, d'une gueule infernale,
La chicane en fureur mugir dans la grand'salle?
Que dit-il quand il voit les juges, les huissiers,
Les clercs, les procureurs, les sergents, les greffiers?
Oh! que si l'âne alors, à bon droit misanthrope,
Pouvoit trouver la voix qu'il eut au temps d'Esope;
De tous côtés, Docteur, voyant les hommes fous,
Qu'il diroit de bon cœur, sans en être jaloux,
Content de ses chardons, et secouant la tête,
Ma foi, non plus que nous l'homme n'est qu'une bête!

(1) C'est le jour des grandes audiences.

SATIRE IX (1).

C'EST à vous, mon esprit, à qui je veux parler.

Vous avez des défauts que je ne puis celer:
Assez et trop long-temps má làche complaisance
De vos jeux criminels a nourri l'insolence;
Mais, puisque vous poussez ma patience à bout,
Une fois en ma vie il faut vous dire tout.

On croiroit, à vous voir dans vos libres (aprices
Discourir en Caton des vertus et des vices,
Décider du mérite et du prix des auteurs,
Et faire impouement la leçon aux docteurs,
Qu'étant seul à couvert des traits de la satire
Vous avez tout pouvoir de parler et d'écrire.
Mais moi, qui dans le fond sais bien ce que j'en crois,
Qui compte tous les jours vos défauts par mes doigts,
Je ris quand je vous vois, si foible et si stérile,
Prendre sur vous le soin de réformer la ville,
Daus vos discours chagrins plus aigre et plus mordant
Qu'une femme en furie, ou Gautier (2) en plaidant.

Mais répondez un peu. Quelle verve indiscrete
Sans l'aveu des neuf sœurs vous a rendu poëte?
Sentiez-vous, dites-moi, ces violents transports
Qai d'un esprit divin font mouvoir les ressorts?
Qui vous a pu souffler une si folle audace?
Phébus a-t-il pour vous applani le Parnasse?
Et ne savez-vous pas que, sur ce mont sacré,
Qui ne vole au sommet tombe au plus bas degré;

(1) Cette satire est entièrement dans le goût d'Horace, et d'un homme qui se fait sou procès à soi-même pour le faire à tous les autres.

(2) Avocat célebre, et très mordant.

Et qu'à moins d'être au rang d'Horace ou de Voiture Gn rampe dans la fange avec l'abbé de Pure?

Que si tous mes efforts ne peuvent réprimer Cet ascendant malin qui vous force à rimer,

Sans perdre en vains discours tout le fruit de vos veilles,

Osez chanter du roi les augustes merveilles:
Là, mettant à profit vos caprices divers,
Vous verriez tous les ans fructifier vos vers;
Et par l'espoir du gain votre muse animée
Vendroit au poids de l'or une once de fumée.
Mais en vain, direz-vous, je pense vous tenter
Par l'éclat d'un fardeau trop pesant à porter :
Tout chantre ne peut pas, sur le ton d'un Orphée,
Entonner en grands vers la Discorde étouffée;
Peindre Bellone en feu tonnant de toutes parts,
Et le Belge effrayé fuyant sur ses remparts (1).
Sur un ton si hardi, sans être téméraire,
Racan pourroit chanter au défaut d'un Homere;
Mais pour Cotin et moi, qui rimons au hasard,
Que l'amour de blâmer fit poëtes par art,
Quoiqu'un tas de grimauds vante notre éloquence,
Le plus sûr est pour nous de garder le silence.
Un poëme insipide et sottement flatteur
Déshonore à-la-fois le héros et l'auteur :
Enfin de tels projets passent notre foiblesse.

Ainsi parle un esprit languissant de mollesse,
Qui, sous l'humble dehors d'un respect affecté,
Cache le noir venin de sa malignité.

Mais, dussiez-vous en l'air voir vos ailes fondues, Ne valoit-il pas mieux vons perdre dans les nues, Que d'aller sans raison, d'un style peu chrétien,

(1) Cette satire a été faite dans le temps que le roi prit Lille en Flandre et plusieurs autres villes.

Faire insulte en rimant à qui ne vous dit rien,
Et du bruit dangereux d'un livre téméraire
A vos propres périls enrichir le libraire ?

Vous vous flattez peut-être, en votre vanité,
D'aller comme un Horace à l'immortalité :
Et déja vous croyez dans vos rimes obscures
Aux Saumaises (1) futurs préparer des tortures.
Mais combien d'écrivains, d'abord si bien reçus,
Sont de ce fol espoir honteusement déçus!
Combien, pour quelques mois, ont vu fleurir leur livre,
Dont les vers en paquet se vendent à ia livre!
Vous pourrez voir, un temps, vos écrits estimés
Courir de main en main par la ville semés;
Puis de là, tout poudreux, ignorés sur la terre,
Suivre chez l'épicier Neuf-Germain (2) et la Serre (3);
On, de trente feuillets réduits peut-être à neuf,
Parer, demi-rongés, les rebords du Pont-neuf (4).
Le bel honneur pour vous, en voyant vos ouvrages
Occuper le loisir des laquais et des pages;

Et souvent dans un coin renvoyés à l'écart
Servir de second tome aux airs du Savoyard (5)!

Mais je veux que le sort, par un heureux caprice,
Fasse de vos écrits prospérer la malice,
Et qu'enfin votre livre aille, au gré de vos vœux,
Faire siffler Cotin chez nos derniers neveux :.
Que vous sert-il qu'un jour l'avenir vous estime,
Si vos vers aujourd'hui vous tiennent lieu de crime,

(1) Saumaise, célebre commentateur.

(2) Poëte extravagant.

(3) Auteur peu estimé.

(4) Où l'on vend d'ordinaire les livres de rebut.

(5) Fameux chantre du Pont-neuf, dont ou vante encore los ohansons.

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