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CHANT SECOND.

CEPENDANT
EPENDANT cet oiseau qui prône les merveilles (1),
Ce monstre composé de bouches et d'oreilles,
Qui, sans cesse volant de climats en climats,
Dit par-tout ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas;
La Renommée enfin, cette prompte couriere,
Va d'un mortel effroi glacer la perruquiere;
Lui dit que son époux, d'un faux zele conduit,
Pour placer un lutrin doit veiller cette nuit.
A ce triste récit, tremblante, désolée,
Elle accourt, l'œil en feu, la tête échevelée,
Et trop sûre d'un mal qu'on pense lui celer:
Oses-tu bien encor, traître, dissimuler (2)?
Dit-elle : et ni la foi que ta main m'a donnée,
Ni nos embrassements qu'a suivis l'hyménée,
Ni ton épouse enfin toute prête à périr,

Ne sauroient donc t'ôter cette ardeur de courir !
Perfide! si du moins, à ton devoir fidele,
Tu veillois pour orner quelque tête nouvelle!
L'espoir d'un juste gain consolant ma langueur
Pourroit de ton absence adoucir la longueur.
Mais quel zele indiscret, quelle aveugle entreprise
Arme aujourd'hui ton bras en faveur d'une église?
Où vas-tu, cher époux ? est-ce que tu me fuis?
As-tu donc oublié tant de si douces nuits?
Quoi! d'un œil sans pitié vois-tu conler mes larmes?
Au nom de nos baisers jadis si pleins de charmes,
Si mon cœur, de tout temps facile à tés desirs,
N'a jamais d'un moment différé tes plaisirs;

(1) Enéide, liv. IV, v. 173. (2) Enéide, liv. IV, v. 305.

Si, pour te prodiguer mes plus tendres caresses,
Je n'ai point exigé ni serments, ni promesses;
Si toi seul à mon lit enfin eus toujours part;
Differe au moins d'un jour ce funeste départ.
En achevant ces mots, cette amante enflammée
Sur un placet voisin tombe demi-pâmée.
Son époux s'en émeut, et son cœur éperdu
Entre deux passions demeure suspendu ;
Mais enfin rappelant son audace premiere :

Ma femme, lui dit-il d'une voix douce et fiere,
Je ne veux point nier les solides bienfaits
Dont ton amour prodigue a comblé mes souhaits;
Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire
Avant que tes faveurs sortent de ma mémoire.
Mais ne présume pas qu'en te donnant ma foi
L'hymen m'ait pour jamais asservi sous ta loi.
Si le ciel en mes mains eût mis ma destinée,
Nous aurions fui tous deux le joug de l'hyménée,
Et, sans nous opposer ces devoirs prétendus,
Nous goûterions encor des plaisirs defendus.
Cesse donc à mes yeux d'étaler un vain titre :
Ne m'ôte pas l'honneur d'élever un pupitre ;
Et toi-même, donnant un frein à tes desirs,
Raffermis ma vertu qu'ébranlent tes soupirs.
Que te dirai-je enfin? c'est le ciel qui m'appelle.
Une église, un prélat m'engage en sa querelle.
Il faut partir : j'y cours. Dissipe tes douleurs,
Et ne me trouble plus par ces indignes pleurs.
Il la quitte à ces mots. Son amante effarée
Demeure le teint pâle, et la vue égarée :
La force l'abandonne; et sa bouche, trois fois
Voulant le rappeler, ne trouve plus de voix.
Elle fuit, et, de pleurs inondant son visage,
Seule pour s'enfermer vole au cinquieme étage.
Mais, d'un bouge prochain accourant à ce bruit,
Sa servante Alizon la rattrape et la suit.

Les ombres cependant, sur la ville épandues,
Du faîte des maisons descendent dans les rues (1),
Le souper hors du chœur chasse les chapelains,
Et de chantres buvants les cabarets sont pleins.
Le redouté Brontin, que son devoir éveille,
Sort à l'instant, chargé d'une triple bouteille
D'un vin dont Gilotin, qui savoit tout prévoir,
Au sortir du conseil eut soin de le pourvoir,
L'odeur d'un jus si doux lui reud le faix moins rude.
Il est bientôt suivi du sacristain Boirude;

Et tous deux, de ce pas, s'en vont avec chaleur
Du trop lent perruquier réveiller la valeur.
Partons, lui dit Brontin : déja le jour plus sombre,
Dans les eaux s'éteignant, va faire place à l'ombre.
D'où vient ce noir chagrin que je lis dans tes yeux?
Quoi! le pardon sonnant te retrouve en ces lieux!
Où donc est ce grand cœur dont tantôt l'alégresse
Sembloit du jour trop long accuser la paresse?
Marche, et suis-nous du moins où l'honneur nous at,
tend.

Le perruquier honteux rougit en l'écoutant.
Aussitôt de longs clous il prend une poignée :
Sur son épaule il charge une lourde cognée ;
Et derriere son dos, qui tremble sous le poids,
Il attache une scie en forme de carquois :

Il sort au même instant, il se met à leur tête.
A suivre ce grand chef l'un et l'autre s'apprête :
Leur cœur semble allumé d'un zele tout nouveau ;
Brontin tient un maillet; et Boirude, un marteau.
La lune, qui du ciel voit leur démarche altiere,
Retire en leur faveur sa paisible lamiere.
La Discorde en sourit, et, les suivant des yeux,
De joie, en les voyant, pousse un cri dans les cieux.

(1) Virgile, églog. I, v. 83.

L'air, qui gémit du cri de l'horrible déesse,
Va jusques dans Cîteaux réveiller la Mollesse.
C'est là qu'en un dortoir elle fait son séjour :
Les Plaisirs nonchalants folâtrent à l'entour;
L'un pêtrit dans un coin l'embonpoint des chanoines;
L'autre broie en riant le vermillon des moines:
La Volupté la sert avec des yeux dévots,

Et toujours le Sommeil lui verse des pavots.
Ce soir, plus que jamais, en vain il les redouble.
La Mollesse à ce bruit se réveille, se trouble:
Quand la Nuit, qui déja va tout envelopper,
D'un funeste récit vient encor la frapper;
Lai conte du prélat l'entreprise nouvelle:
Aux pieds des murs sacrés d'une sainte chapelle,
Elle a vu trois guerriers, ennemis de la paix,
Marcher à la faveur de ses voiles épais:

La Discorde en ces lieux menace de s'accroître:
Demain avec l'aurore un lutrin va paroître,
Qui doit y soulever un peuple de mutins.
Ainsi le ciel l'écrit au livre des destins.

A ce triste discours, qu'un long soupir acheve, La Mollesse, en pleurant, sur un bras se releve, Ouvre un œil languissant, et, d'une foible voix, Laisse tomber ces mots qu'elle interrompt vingt sois: O Nuit! que m'as-tu dit? quel démon sur la terre Souffle dans tous les cœurs la fatigue et la guerre? Hélas! qu'est devenu ce temps, cet heureux temps, Où les rois s'honoroient du nom de fainéants,

S'endormoient sur le trône, et, me servant sans honte, Laissoient leur sceptre aux mains ou d'un maire ou d'un comte!

Aucun soin n'approchoit de leur paisible cour:
On reposoit la nuit, on dormoit tout le jour.
Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines
Faisoit taire des vents les bruyantes haleines,

Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille et lent,

Promenoient dans Paris le monarque indolent.
Ce doux siecle n'est plus. Le ciel impitoyable
A placé sur leur trône un prince infatigable.
Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix :
Tous les jours il n'éveille au bruit de ses exploits.
Rien ne peut arrêter sa vigilante audace:
L'été n'a point de feux, l'hiver n'a point de glace.
J'entends à son seul ncm tous mes sujets frémir.
En vain deux fois la paix a voulu l'endormir;
Loin de moi son courage, entraîné par la gloire,
Ne se plaît qu'à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerois à te tracer le cours
Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.
Je croyois, loin des lieux d'où ce prince m'exile,
Que l'Eglise du moins m'assuroit un asyle.
Mais en vain j'espérois y régner sans effroi:
Moines, abbés, prieurs, tout s'arme contre moi:
Par mon exil honteux la Trappe (1) est ennoblie;
J'ai vu dans Saint Denys la réforme établie;
Le Carme, le Feuillant, s'endurcit aux travaux;
Et la regle déja se remet dans Clairvaux.
Citeaux dormoit encore, et la sainte Chapelle
Conservoit du vieux temps l'oisiveté fidele:
Et voici qu'un lutrin, prêt à tout renverser,
D'un séjour si chéri vient encor me chasser!
O toi, de mon repos compague aimable et sombre,
A de si noirs forfaits prêteras-tu ton ombre?
Ah! Nuit, si tant de fois, dans les bras de l'amour,
Je t'admis aux plaisirs que je cachois au jour,
Du moins ne permets pas... La Mollesse oppressée
Dans sa bouche à ce mot sent. sa langue glacée;
Et, lasse de parler, succombant sous l'effort;
Soupire, étend les bras, ferme l'œil, et s'endort.

2

(1) Abbaye de saint Bernard, dans laquelle l'abbé Armand Bouthillier de Rancé a mis la réforme.

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