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maintes fois entendu accuser d'exercer sur les mœurs une action énervante et démoralisatrice.

>> Un franc-comtois d'une puissante imagination et à la mémoire duquel la Société d'Emulation du Doubs s'apprête à rendre hommage par l'érection d'un buste à Alaise, l'architecte Alphonse Delacroix, a développé dans un ouvrage très remarquable les principes d'une science qui sera peutêtre reprise et perfectionnée un jour, mieux nommée par lui l'architectonique et qui donne à tous les arts des règles com

munes.

» Il y a quelque chose de grand et de vrai dans cette idée. originale qui fusionne la parole, la musique, la peinture, la sculpture, l'architecture, en leur donnant avec la même origine des règles de style et d'architecture semblables.

> On a souvent comparé Michel-Ange à Beethoven, Mozart à Raphaël.

» Michel-Ange et Beethoven! ces deux génies qui, par l'audace de la forme, la grandeur des conceptions, la puissance de l'expression, livrent nos âmes à toutes les terreurs, à toute la violence des passions déchaînées par leur imagination en délire.

> Regardez les plafonds de la chapelle sixtine!

» Ne reconnaissez-vous pas dans ces titans, les fantômes évoqués par la muse gigantesque et terrible du plus grand des musiciens !

>> Raphaël et Mozart, auxquels nous pourrions joindre Lamartine, par des moyens moins violents, des lignes moins tourmentées, des formes plus pures, plus gracieuses de tonalités moins heurtées, nous ont chanté ces mélodies les plus touchantes, les plus suaves et les plus passionnées que jamais artiste ait composé.

» Au milieu des nuages formés dans nos esprits par la chute des grands mots de la versification de Victor Hugo, comme au milieu du bruit des fortes sonorités de l'orchestre de Meyerbeer, nous trouvons réunis à dose égale, chez les deux

plus grands romantiques de notre théâtre contemporain, la poésie et le sentiment des plus grandes situations dramatiques.

» Quel homme ayant le sens artistique tant soit peu développé ne saisirait la parenté du génie d'un Berlioz et d'un Delacroix et ne reconnaîtrait chez tous deux la même touche vigoureuse, la même recherche de la vérité par la couleur et peut-être aussi la même pauvreté de dessin.

>> Qui n'admettrait une ressemblance entre le style descriptif d'un Théophile Gauthier, admirable ciseleur de mots, et celui d'un Mendelsohn, conteur charmant et sublime ciseleur de sons.

>> Ecoutez les accords de l'harmonie du plain-chant se prolonger sans rythmes déterminés sous les voûtes profondes des anciennes cathédrales :

» Rythme musical, rythme architectural, n'est-ce pas le même esprit qui les a créés; n'est-ce pas l'idée religieuse du moyen âge qui leur a donné à tous deux leurs formes archaïques, leur mystique ressemblance?

» Quelle que soit la grossièreté ou la subtilité de la matière que l'artiste est appelé à manipuler: marbre, couleurs, son ou mot, la pensée se dégage de son pinceau, de son ciseau ou de sa plume aussi vraie, aussi pure, aussi sublime, aussi personnelle.

» Et dans cet essor de la pensée humaine, je pourrais même dire qu'où le poète, le peintre et le sculpteur s'arrêtent impuissants devant l'expression du sentiment à rendre, le musicien jette notre âme extasiée dans des profondeurs que son art seul peut concevoir.

» La musique, a dit Lamartine, exprime l'inexprimable. Et ailleurs, l'auteur de Graziella écrit encore ces lignes qui s'adressent spécialement aux impressions produites par l'œuvre du poète et du musicien :

<« Il y a plus de génie dans une larme que dans tous les musées et toutes les bibliothèques de l'univers. »

>> Sans être aussi absolus que Lamartine, ne soyons pas ingrats envers la musique et les musiciens.

>> Parmi les plus belles émotions que nous devons à l'art, comptons celles (un peu éphémères peut-être, et c'est là le seul reproche qu'on puisse leur faire), comptons, dis-je, les émotions que nous devons à la musique, et nous conviendrons qu'un art aussi puissant doit avoir sa place à l'égal des autres dans nos recherches scientifiques, historiques et philosophiques.

» Je vous ai dit en commençant, Messieurs, que les musiciens avaient mauvais caractère !

>> Je devais porter un toast.

» L'entêtement avec lequel je me suis obstiné à transformer ce toast en un trop long discours serait peut-être une preuve de la véracité de notre légende de tout à l'heure.

» Messieurs, pardonnez-moi cette obstination; le désir que j'ai d'éveiller sur les questions de la philosophie musicale l'attention du public m'a peut-être entraîné un peu loin dans cette circonstance.

» J'étais du reste, il faut l'avouer, fort embarrassé de répondre au désir qui m'avait été exprimé par M. Barbier de prendre avec lui la parole au nom de la Société d'Emulation du Doubs.

>> Suisse, habitant la France, et accueilli comme tous mes compatriotes à cœur ouvert par la large et cordiale hospitalité française, j'en suis arrivé à confondre si bien dans une commune affection et mon pays d'origine et mon pays adoptif, qu'il me semblait que parler pour l'un des deux était en quelque sorte prêcher pour ma paroisse.

» J'ai dû chercher en dehors des sujets que ma situation mixte m'appelait à traiter une question intéressante, et vous le voyez, mes goûts naturels (avec un peu de préméditation peut-être) m'ont entrainé à vous parler de cet art musical que j'aime passionnément et auquel j'emprunterai encore la conclusion de cette causerie: Messieurs, à la bonne har

monie des Sociétés suisses et françaises, et en particulier à la vieille amitié qui unit la Société d'histoire de Neuchâtel à la Société d'Emulation du Doubs. »

Chargé de répondre à vos deux délégués, M. Pernod, en quelques paroles bien senties, porte le toast à la France, acclamé par l'assistance.

Puis après quelques autres discours, l'excursion projetée au Chatelard et au Prieuré nous donna l'occasion de faire la connaissance de quelques-uns des principaux membres de la Société d'Histoire, qui vous ont déjà été présentés par M. Castan et M. Besson dans leurs précédents comptes rendus.

J'ai nommé M. de Moulinen, l'historien bernois, M. Jaccard, le professeur de géologie du Locle, M. Hippolyte Etienne, inspecteur fédéral des fabriques, M. Alfred Borel, qui ne voulut pas nous laisser prendre le bateau sans nous faire entrer dans sa magnifique propriété au bord du lac, où des rafraichissements nous avaient été préparés.

Un nom, Messieurs, manque à tous ceux que je vous ai cités dans le cours de ce récit, nom que vous avez l'habitude d'entendre signaler en tête de ceux qui, en Suisse, reçoivent vos délégués avec le plus d'affabilité : nous n'avons pas eu le plaisir de serrer la main à M. Jules Jurgensen, retenu au Locle par un deuil de famille.

TABLE DÉCENNALE

DES MÉMOIRES

DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS

1876-1885: 5′ Serie (T. I à T. X)

Par M. Alfred VAISSIER.

La Table générale des Mémoires de 1841 à 1875 est jointe au tome X
de la quatrième série.)

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