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TUMULUS DE MONTARLOT

(HAUTE-SAONE)

Par M. l'abbé Auguste ROSSIG NOT

CURE D'ARGILLIÈRES.

Séance du 14 mars 1885.

L'arrondissement de Gray se signale à l'attention de l'archéologue par l'existence d'un certain nombre de tumulus qui portent tous les signes de la plus haute antiquité. Plusieurs ont été explorés, il y a quelques années, par Eugène Perron: celui d'Apremont, au mois d'octobre 1879, et ceux de Mercey et de Savoyeux, en 1880. Les résultats de ces fouilles ont été publiés, en ce qui concerne le tumulus d'Apremont, par les Matériaux pour l'histoire primitive et naturelle de l'homme, 2e série, t. XI, 1882) et, pour ce qui regarde les tertres funéraires de Mercey et de Savoyeux, par la Revue archéologique (février et mars 1882). A la fin de son rapport sur ces dernières fouilles, Perron fait la remarque suivante: « Il reste à ouvrir dans les environs de Gray, quelques autres buttes tumulaires dont l'exploration prochaine, je l'espère, à en juger par les apparences extérieures, complètera et augmentera les renseignements que viennent de nous fournir les fouilles de Mercey et de Savoyeux sur les populations gauloises qui ont fréquenté ou habité les bords de la Saône supérieure avant la conquête romaine. »

Que le savant et regretté archéologue ait eu en vue, lorsqu'il écrivait ces lignes, les tumulus de Montarlot, nous n'en pouvons douter; car plusieurs fois il les avait visités, et, à

un habitant de ce village qui lui demandait l'âge de ces tertres, il répondait qu'il les croyait antérieurs à Jésus-Christ. En leur attribuant cet âge, il était dans l'erreur, mais cette erreur, il ne fut pas le seul à la partager: Edouard Clerc, parlant de ces tumulus, les reporte au premier siècle de notre ère. Nous verrons qu'ils ne peuvent être antérieurs au Ive siècle. Leur forme oblongue s'écarte de celle qu'on rencontre constamment dans les tumulus gaulois toujours ronds et de forme conique. Cette anomalie a-t-elle échappé aux observations des deux savants dont nous parlons? Nous ne pouvons le dire. Mais M. Castan nous l'a signalée dès que nous lui avons donné la description de ces tumulus.

Disons ici que nous devons beaucoup aux conseils et aux encouragements de l'éminent bibliothécaire et archéologue bisontin et que nous puiserons largement, pour la rédaction de cette notice, aux renseignements qu'il a bien voulu nous donner.

Les tumulus de Montarlot étaient donc connus avant que nous y mettions la pioche. Edouard Clerc en parle dans son ouvrage. La Franche-Comté à l'époque romaine; l'auteur de l'Histoire de Champlitte, en dit quelques mots, et la Géographie de Joanne signale les tombelles de Montarlot. Ces tumulus s'élèvent à trois cents mètres au nord-ouest du village de Montarlot-lez-Champlitte, à droite du chemin rural conduisant à Leffond, sur la crête d'un cap de forme très allongée, forçant la rivière du Sâlon qui coule à ses pieds, à faire, en cet endroit, un coude très prononcé. Ce promontoire est sur un des contreforts de la colline voisine au sommet de laquelle est établi le retranchement gaulois connu sous le nom de camp de Montarlot, Ed. Clerc a donné un plan approximatif de ce camp dans son Essai sur l'histoire de la Franche-Comté (2e édit., t. I, pl. 7). Il indique à l'est les deux tumulus dont nous parlons, tandis qu'à l'ouest, il fait figurer le Moulin de la bataille, voisin du lieu dit Champs de la Bataille. Ce voisinage d'un camp, de deux tumulus,

de lieux dits Champs de la Bataille et Rourge-Montée indiquent le théâtre d'un combat sanglant. Certains auteurs ont même cru pouvoir fixer l'époque de ce combat. Ed. Clerc le reporte à la défaite de Sabinus par Vespasien. M. l'abbé Briffaut, dans son Histoire de Champlitte, voit à Montarlot le champ de bataille où Constance-Chlore, après avoir été défait par des Lètes, sous les murs de Langres, a pris sur ces Germains une glorieuse revanche à la suite de laquelle ces étrangers, qui ne venaient dans les Gaules que pour s'y établir, ont été fixés par le vainqueur dans un lieu voisin de celui de leur défaite et sont devenus les fondateurs de Champlitte (Campus-Litorum.)

Quoi qu'il en soit de ces conjectures, il est à croire que le tumulus que nous venons de fouiller, fut édifié à la suite d'un combat; mais on verra plus loin que sa construction peut se rattacher à d'autres évènements. « Toutefois, nous dit M. Castan, rien n'empêcherait d'admettre que deux actions militaires d'époques différentes aient eu lieu sur le même point; on l'a dit avec raison: les bonnes positions stratégiques sont de tous les temps. >>

De concert avec M. le docteur Aillet, j'avais formé le projet de fouiller les tumulus de Montarlot.

Eloignés tous deux de ce village, nous trouvâmes dans M. l'abbé Ferniot, curé de Montarlot-les-Champlitte, en même temps que l'hôte le plus généreux, un auxiliaire des plus dévoués et des plus intelligents.

Une première fouille fut opérée en 1884 dans la partie centrale du premier tertre; le concours de la Société d'Emulation du Doubs, nous facilita l'année suivante l'exploration de la partie sud; celle du nord demeure plantée en vigne.

Le tumulus a 30 mètres de long, sur 20 mètres de large et une hauteur de 6 mètres. Un travail de quelques heures suffit à nous révéler, d'une manière certaine, la nature du monument. Sous une couche de terre végétale d'environ 80 centimètres d'épaisseur se trouvait un revêtement de

grosses pierres brutes, jetées les unes sur les autres et formant une enveloppe protectrice d'une épaisseur moyenne de un mètre. Sous ce double revêtement, était une terre silico-calcaire de même nature que celle du sol environnant. C'est dans cette terre qu'on a découvert, au centre du tumulus, dans un espace de 7 à 8 mètres de diamètre, et à 2 mètres de profondeur, 15 squelettes dans un état de conservation suffisant pour reconnaître qu'ils étaient tous couchés les uns à côté des autres, ayant la tête à l'ouest et les pieds à l'est. De plus, chaque corps avait sa fosse séparée, creusée à une très petite profondeur; ces fosses étaient remplies d'une terre meuble qui permettait aux ouvriers d'en suivre facilement les contours.

A des dispositions si caractérisques, il n'y eut que deux exceptions. Un squelette d'enfant a été trouvé couché en travers d'un autre squelette qui était certainement, d'après l'examen de M. le docteur Aillet, un squelette de femme. Aura-t-on voulu assigner à cet enfant, pour sa sépulture, le lieu de repos qu'il affectionnait plus spécialement pendant sa vie? Enfin un squelette d'une taille très-élevée et dont les ossements aux arètes saillantes indiquent une force particulièrement remarquable, gisait à un mètre plus bas que les autres; il avait la tête au nord et les pieds au sud. Cette orientation et ce mode exceptionnel de sépulture peuvent-ils nous faire supposer que l'individu ainsi inhumé n'était pas de la même tribu ou de la même religion que ceux qui reposent avec lui dans le même monument funéraire?

Au-dessous du double revêtement de terre et de pierres qui forme la partie supérieure du tumulus, nous avons trouvé dans cette première fouille, deux puits parfaitement cylindriques, d'un mètre de diamètre, descendant plus bas que les squelettes, jusqu'au rocher. Ces puits étaient remplis d'une terre très-meuble s'enlevant facilement à la pioche. Il importe de remarquer que ces puits, creusés à 4 mètres l'un de l'autre n'existent qu'à l'intérieur du tumulus, et

qu'ils n'en percent point la croûte. Le double revêtement dont nous avons parlé, est intact au-dessus de ces puits, et s'il eût été entamé après l'érection du tumulus, pour y pratiquer des fouilles ou pour tout autre motif, il eût fallu qu'après cette opération, on eût pris la précaution de rejeter les terres et les pierres dans leur position respective. D'ailleurs, on ne conçoit guère des fouilles faites au moyen de puits d'un mètre de diamètre et de trois mètres de profondeur.

Ces puits sont-ils le résultat de sondages pratiqués par les constructeurs de ce tumulus pour son assainissement, ou bien ont-ils servi à quelque rite funéraire (1) ?

La fouille atteignit en profondeur le sol naturel; elle a même été poussée plus bas, car nous voulions nous assurer que la pierre attaquée était bien de la roche et non le recouvrement d'une sépulture avec réduit. Ce n'eût pas été d'ailleurs le seul exemple d'une sépulture ancienne avec superposition de sépulture plus récente.

La roche a été rencontrée à trois mètres de profondeur. Le tumulus est donc réellement beaucoup moins élevé que son apparence extérieure ne le fait croire. Il est construit, avonsnous dit, sur la crête d'un contre-fort étroit et de forme trèsallongée; c'est cette situation qui contribue à lui donner une élévation apparente beaucoup plus grande que son élévation réelle. Les côtés extérieurs qui forment sa base sont, en vérité, à 6 mètres au-dessous de son sommet, mais cette base, au lieu d'offrir un plan horizontal, est convexe comme la surface du tumulus telle est la cause de l'illusion.

La reprise des fouilles pour la partie sud du tumulus a montré la continuité du même système de construction.

Le revêtement de terre est à peu près partout d'une égale épaisseur, mais le revêtement de pierre est beaucoup plus profond du côté de l'est. Le sol naturel qui sert de base au

(1) Voir Matériaux pour l'histoire primitive et naturelle de l'homme, année 1877, p. 43.

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