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RAPPORT SUR LE CONGRÈS

DE LA SOCIÉTÉ HELVÉTIQUE DES SCIENCES NATURELLES

TENU AU LOCLE, AU MOIS D'AOUT 1885,

Par M. Georges SIRE, docteur ès sciences,

DÉLÉGUÉ DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS.

Séance du 14 novembre 1885.

MESSIEURS,

Il existe, en Suisse, une ancienne société savante, connue sous le nom de Société helvétique des sciences naturelles, dont la tradition est de se réunir chaque année dans une localité différente de la Confédération. C'est une occasion pour les membres de cette Compagnie, de visiter les curiosités naturelles, artistiques et industrielles de la région, de se communiquer leurs observations ou recherches scientifiques, et enfin d'échanger entre eux les sentiments confraternels dont ils sont mutuellement animés.

Ces assises scientifiques sont très suivies, non pas seulement par les savants de la Suisse, car on y rencontre des délégués de tous les pays limitrophes. Aussi nos voisins ont-ils pris l'habitude de faire appel aux habitants de la localité où doit se réunir le congrès, afin d'avoir les logements suffisants pour héberger tous les adhérents. Il est toujours répondu à cet appel avec empressement, et chaque membre ou délégué est sûr de trouver, au lieu de réunion, un gite confortable et l'accueil le plus cordial.

Cette année, la Société helvétique a tenu sa 68° session, du 10 au 13 août dernier, au Locle, ville située à notre porte, et l'une des plus importantes du Canton de Neuchâtel, par sa richesse et l'extension de son industrie.

Dès le mois de juillet, le comité d'organisation avait adressé à notre Compagnie une invitation pour assister aux fêtes qui seraient données en l'honneur de la Société helvétique. Cette invitation débutait par ces lignes:

<«< En fixant leur rendez-vous au Locle, nos collègues ne pouvaient s'attendre à y trouver les agréments de la ville et de la contrée au milieu de laquelle ils étaient réunis l'an dernier (1), non plus que les attraits et les ressources scientifiques des grandes cités de la Suisse. Ce qu'ils ont voulu, c'est visiter ce Jura, si important par sa structure et ses caractères géologiques, ces montagnes de Neuchâtel, siège de l'industrie horlogère, que quelques-uns se souviendront peut-être avoir vues pour la première fois, il y a trente ans, lors de la réunion à la Chaux-de-Fonds, en 1855.

» Grâce à la création des chemins de fer et à la nouvelle voie ferrée internationale, le Locle est maintenant en communication directe et facile, aussi bien avec la France qu'avec la Suisse aussi nous espérons voir arriver en grand nombre nos collègues et les amis des sciences. La simplicité de la réception sera compensée par la cordialité et la sympathie de la population du Locle. »

Quatre-vingt-dix membres et délégués répondirent à cet

appel.

A la même époque, notre sympathique confrère M. J. Jurgensen, avec la courtoisie que vous lui connaissez, offrait l'hospitalité de sa maison à vos délégués, qui furent M. Barbier, notre cher président, et moi.

L'inauguration du buste d'Alphonse Delacroix, à Alaise, le 9 août, nous empêcha d'être au Locle dès le début de la session. Partis de Besançon, le 11 août, à 10 heures du matin, nous étions rendus à 2 heures 30 à la station des Brenets-Col-des-Roches, où la voiture de M. J. Jurgensen nous attendait, et, en 10 minutes, deux chevaux fringants nous

(1) La ville de Lucerne.

transportèrent au Châtelard, belle et pittoresque résidence d'été de notre hôte. Nous y fûmes l'objet d'une cordiale et affectueuse réception, réception rendue plus charmante par la présence de plusieurs membres de la famille Jurgensen et de quelques amis en villégiature.

Tous ceux qui ont séjourné sous ce toit ami connaissent le panorama grandiose qui s'offre à la vue depuis le Châtelard. On y domine le coquet village des Brenets, situé à droite, et au pied duquel s'étend le paisible lac de Chaillexon. Au delà est la frontière de France, parsemée de quelques métairies, mais dont l'apparente aridité contraste d'une façon si frappante avec l'aspect plantureux de la rive neuchâteloise.

En face, la vue s'étend au loin sur la vallée du Doubs. A gauche, de verts pâturages forment le versant de belles montagnes couronnées de forêt de sapins. Puis, çà et là, les villages des Pargots, de Lac-ou-Villers, le hameau des Bassots; enfin, les sinuosités du cours du Doubs s'acheminant paresseusement du val de Morteau, dont on distingue à l'horizon les montagnes avoisinantes.

Notre attention est bientôt détournée de ce charmant paysage. Elle est attirée tout d'abord par une tour d'aspect moyen-âge, perchée au sommet d'un pic boisé dépendant du parc du Châtelard. Sur cette tour flotte le drapeau fédéral. Sur un chalet voisin se déploie le drapeau français, tandis que sur la résidence principale est hissé l'étendard du Danemarck, dont M. Jurgensen est le consul pour le Canton de Neuchâtel.

Tout au Châtelard décèle des apprêts de fête. Au milieu des préparatifs d'une brillante illumination et de nombreuses corbeilles de fleurs, est dressée une vaste tente multicolore qui abrite de longues tables n'attendant plus que des convives.

Entre temps, il nous est remis à chacun un pli cacheté renfermant 1 le programme de la 68° réunion annuelle de la Société helvétique des sciences naturelles, sous la présidence du savant professeur de géologie de l'Académie de Neuchâtel, M. Jaccard, du Locle, et l'un des membres cor

respondants à vie de notre Compagnie; 2o les insignes aux armes du Canton, que chaque membre ou délégué doit porter à la boutonnière.

Le programme nous apprend qu'après la première assemblée générale qui a eu lieu le matin au temple allemand et un dîner donné au Cercle de l'Union républicaine, les membres présents de la Société helvétique doivent se rendre aux Brenets, assister à une collation offerte par la municipalité, puis faire la course du Saut-du-Doubs. C'est au retour que les excursionnistes sont attendus au Châtelard, pour y passer la soirée familière qui leur est offerte par M. J. Jurgensen en tant que vice-président de la réunion, et qui, puissamment secondé par sa toute gracieuse compagne, a si largement ouvert et élégamment décoré sa pittoresque résidence.

Du point élevé où nous sommes, nous voyons, en effet, les confédérés se rendre par groupes aux Brenets, où ils ont été l'objet des démonstrations les plus sympathiques. Vos délégués n'ont pas assisé à cette réunion, ni participé à la visite du Saut-du-Doubs. La baisse exceptionnelle des eaux, due à une sécheresse de plus de deux mois, a fait perdre à cette visite la plus grande partie de son attrait, car la chute du Doubs faisait défaut, et on ne constatait pas le plus faible suintement où d'ordinaire la masse d'eau se précipite avec fracas d'une hauteur de 27 mètres.

La course n'en a pas moins été effectuée par les membres réunis aux Brenets : les uns, sur le petit vapeur que nous voyons prendre le large sur le lac de Chaillexon; les autres, par le chemin serpentant sur les flancs des bassins qui précèdent la cataracte. Les deux voies suivies aboutissent à l'hôtel du Saut.

Cette région si étrange du cours du Doubs, la structure tourmentée des assises calcaires qui dominent le paysage, la sauvagerie de certains sites, ont été maintes fois dépeintes; je n'essaierai donc pas d'en faire la moindre esquisse. Je

suis d'autant plus retenu dans cette voie, que les caractères de cette partie accidentée de notre frontière, ainsi que les agissements diurnes et nocturnes dont elle est le théatre, ont été tracés de main de maître par celui qui était le mieux placé pour les connaître et les étudier, c'est-à-dire par notre hôte, qui habite les lieux une grande partie de l'année. Aussi, le touriste qui voudrait prendre un avant-goût de l'attrait que lui réserve une promenade dans cette région du Jura, ne saurait mieux faire que de lire la relation pleine d'humour de notre confrère, qui est insérée dans les Mémoires de notre Compagnie, sous le titre : Le Doubs, rives franco-neuchâteloises (1).

Il est presque nuit quand les confédérés sont de retour et réunis au Châtelard; néanmoins chacun peut encore jouir d'un magnifique coucher de soleil. Ce phénomène, qui revêt un aspect féérique dans les Alpes, produit aussi une vive impression quand on l'observe sur les sommets du Jura.

Le banquet qui suivit fut plein d'entrain, égayé par une excellente musique et des chants remarquablement exécutés par quatre virtuoses du Locle. Au dessert, M. le professeur Hagenbach, de Bâle, remercie chaleureusement M. Jurgensen pour l'accueil si courtois que la Société helvétique reçoit au Châtelard. Notre hôte répond qu'il est heureux de remercier à son tour la Société d'avoir accepté son invitation, heureux d'avoir eu l'occasion de continuer les traditions de son père que la Compagnie comptait au nombre de ses membres les plus fervents.

Le banquet touche à sa fin, quand des détonations retentissent et sont répercutées par les échos multiples de la vallée des feux d'artifice éclatent de toutes parts. Les feux de Bengale, allumés à cette altitude, répandent sur le paysage environnant des teintes étranges, fantastiques. Par moments,

(1) Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 4e série, 10e volume 1875, p. 529.

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