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SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS

EN 1885

Discours d'ouverture de la séance publique du 17 décembre

Par M. Léon BARBIER

PRÉSIDENT annuel.

MESDAMES, MESSIEURS,

Il est de tradition, à pareil jour, que le président de la Société d'Emulation du Doubs expose au public et aux membres honoraires qui veulent bien témoigner de leur bienveillant intérêt à notre compagnie, en assistant à cette séance solennelle, le résumé des principaux travaux de l'année qui touche à son terme.

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La publication de nos Mémoires laisse des traces durables du long chemin parcouru: ils sont nos titres de noblesse, et nos quarante-deux volumes attestent que le travail et l'esprit de suite ne sont pas une des moindres qualités de notre association. Beaucoup de nos collaborateurs sont déjà devenus, et beaucoup deviendront dans l'avenir, des illustrations et des maîtres. Le nombre de nos membres tend à s'accroître; la sympathie, l'estime de tous, font partie de notre patrimoine: votre présence autour de nous, Mesdames, Messieurs, nous en donne un gage précieux.

La vitalité n'a jamais fait défaut à la Société d'Emulation;

une fois de plus, je viens l'affirmer avec preuves à l'appui. Ce n'est pas la moindre satisfaction donnée au président que d'avoir à signaler en ce jour nos principaux travailleurs et à vous présenter la moisson de l'année. Je ne vous parlerai pourtant que des travaux qui sont destinés à figurer dans nos publications périodiques, et c'est à regret que je laisserai dans l'ombre les nombreuses notes, observations et rapports qui ont pris place dans nos procès-verbaux.

Un travail dû à la plume d'un magistrat, M. le président Thuriet, figurera dans nos Mémoires: c'est une analyse rapide de l'œuvre d'un poète comtois, plusieurs fois déjà applaudi dans cette enceinte, et dont tout à l'heure encore vous allez entendre une élégante légende ; je veux parler de M. Edouard Grenier, lauréat de l'Académie française et membre honoraire de notre compagnie. Francine,l'héroïne du poème dont nous entretient M. Thuriet, est une Alsacienne que la guerre a faite orpheline. En fort beaux vers, dont la facture ferme et sonore rappelle celle des grands maîtres, elle nous fait le récit de ses tristesses poétiques et de ses pures affections; mais à chaque page se retrouve le souvenir de la patrie vaincue, mêlé aux larmes données aux chers morts, et ce noble sentiment devient son unique soutien, son guide, dans les péripéties de sa vie et les luttes de son cœur. M. Thuriet a souligné avec tact les points les plus émouvants de cette simple histoire, et nous en a fait aimer les plus gracieux épisodes.

M. Thuriet nous a également prouvé que l'austère étude du droit lui laissait encore quelques loisirs pour cultiver la littérature vive et alerte du chansonnier et du satirique. A la séance publique de l'an dernier, la simple et mélancolique Ballade du Cordier recevait de vous le meilleur accueil; cette année, la biographie mouvementée de la Mère Bouvet, œuvre d'un réalisme de bon aloi, inscrite dans nos Mémoires, prouvera que la science ne craint point le voisinage de la gaie poésie.

Les lettres reflètent presque toujours avec fidélité l'esprit et le caractère de leurs auteurs, en donnant la note exacte de leurs préoccupations et de l'atmosphère qui les entoure. Nous pouvons le constater dans les fragments de la correspondance échangée entre Charles Nodier et Jean Debry, qui nous ont été communiqués par notre confrère M. Pingaud. - Ces lettres, écrites à plusieurs années de distance et dans des conditions où la fortune capricieuse avait interverti les rôles et modifié radicalement les situations, sont pleines de délicats sentiments. Les premières datent de l'époque où Nodier, débutant dans la vie, simple professeur à Dole, incertain de l'avenir, consulte et sollicite Jean Debry, alors puissant préfet de l'empire à Besançon. L'administrateur répond paternellement et amicalement au jeune homme dans lequel il a reconnu une belle et intelligente nature. Malgré les distances sociales, c'est sur un pied d'égalité intellectuelle que ces deux hommes conversent à cœur ouvert. Le temps a fui, et les dernières lettres s'échangent lorsque les oscillations de la balance politique ont envoyé Debry en exil et installé Nodier dans le palais de l'Arsenal. Le protecteur devenu un proscrit, le petit professeur devenu un influent du jour, conservent dans leurs rapports l'élévation des idées, le confiant abandon et la noble droiture qui sont l'apanage des hommes supérieurs, et que ni le temps, ni les événements ne sauraient modifier.

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Nous remercions M. Pingaud d'avoir bien voulu nous lire ces quelques lettres, qui ajoutent un charme de plus aux physionomies bien connues de Charles Nodier et de Jean Debry.

En avril dernier, notre secrétaire honoraire, M. Castan, lisait à l'Académie des Inscriptions et Belles lettres de l'Institut de France, dont il est correspondant, un mémoire intitulé: Le Capitole de Carthage. Les procès verbaux de l'Académie font foi de l'intérêt accordé par la savante compagnie à ce travail, qui a pris place dans son Bulletin.

Le Capitole de Carthage n'est que le fragment d'une œuvre magistrale sur les Capitoles provinciaux du monde romain, destinée à faire le plus grand honneur à notre société qui va la publier dans ses Mémoires

Dans quelques instants, le même auteur vous dira comment, et dans quelles conditions, la ville de Besançon dégage un monument ayant appartenu à notre Vesontio; les vieilles Arènes romaines. Mais au président de la Société d'Emulation appartient un devoir et un honneur, c'est d'adresser publiquement à l'autorité militaire, et en particulier à M. le général du génie Richard, à l'administration municipale et au conseil général, les remerciments de notre compagnie, pour l'empressement que tous ont bien voulu mettre à accueillir nos propositions et à faciliter les recherches dont la Société avait pris l'initiative.

Et ici permettez-moi de personnifier à ce point de vue notre association dans trois de nos confrères dont il nous a été donné une fois de plus d'apprécier le dévouement intelligent, l'érudition profonde et l'adresse artistique. J'ai nommé MM. Castan, Ducat et Vaissier. Le passé semble n'avoir point de secrets pour ces archéologues: M. Ducat, votre très digne président de demain, ne laisse rien au hasard; ses plans reconstituent exactement ce qui a été; il s'identifie au génie de ses prédécesseurs et semble converser avec un architecte du temps de Marc-Aurèle. La main patiente de M. Vaissier sait réunir les moindres vestiges, pour rendre à leur forme première les peintures, les émaux, les armes, mutilés par le temps.

C'est une rare bonne fortune, Mesdames, Messieurs, pour une société comme la nôtre, de posséder des laborieux qui tiennent si haut, si dignement la bannière de la science, et qui, aussi bien à Besançon qu'à Paris, occupent les pre

miers rangs.

Le congrès de la Sorbonne a vu cette année encore les délégués de la Société d'Emulation, et la section des Beaux

Arts a applaudi M. Castan pour la communication de quelques passages d'une autobiographie de l'architecte Pierre-Adrien Paris, dessinateur du cabinet du roi Louis XVI. Né à Besançon en 1745, Paris habita Rome pendant de nombreuses années, y occupa un instant et gratuitement les fonctions de directeur intérimaire de l'Académie de France et présida à l'envoi de nombreux objets d'art destinés à nos musées nationaux. En 1819, à sa mort, la ville de Besançon recueillit l'héritage du cabinet de cet éminent architecte, qui était comme dessinateur l'émule des Hubert-Robert et des Fragonard. Cette figure comtoise, si noble et si fine, méritait d'être présentée par une main habile et délicate: M. Castan a pleinement réussi dans cette tâche.

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M. Déy, né à Arbois, est resté attaché à notre province par de nombreuses amitiés. Ancien président de notre compagnie, il nous a envoyé de Château-Thierry, sa résidence actuelle, le fort intéressant résumé d'un procès intenté en 1766, par le procureur général près le parlement de Besançon, au libraire Fantet demeurant au no 64 de la GrandeRue. De quel crime était donc accusé ce grand coupable qui va occuper successivement les parlements de Comté, de Bourgogne et de Flandre, motiver des arrêts du conseil du roi, soulever des polémiques, engendrer des mémoires, faire grand bruit dans le monde d'église et robe? - Son crime est de posséder, dans une chambre retirée et sous clef, quelques exemplaires de l'Esprit des lois et du Dictionnaire philosophique, destinés à être vendus, non au public, mais aux hommes d'études, jurisconsultes ou ecclésiastiques. L'état des esprits, à l'époque où se poursuivait ce singulier procès, est intéressant à étudier au premier chef, et le récit de M. Déy en donne une esquisse des plus réussies; car elle possède la saveur d'un épisode local, la netteté d'une œuvre littéraire et l'intérêt d'une page d'histoire.

Notre secrétaire décennal, M. Edouard Besson, nous a deux fois mis à même d'apprécier son érudition et sa science

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