Page images
PDF
EPUB

EUVRES COMPLÈTES

DE BOILEAU

IMPRIMERIE GENERALE DE CH. LAHURE

rue de Fleurus, 9, à Paris

EUVRES COMPLÈTES

DE BOILEAU

TOME SECOND

AZ 3838/

PARIS

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie

BOULEVARD SAINT-GERMAIN, N° 77

1865

ELIOTHEQUE CANTONA (LAUSANNE

UNIVERSITAIRE

DON

(51400)

DISSERTATION CRITIQUE

SUR L'AVENTURE DE JOCONDE,

RACONTÉE PAR L'ARIOSTE, PAR LA FONTAINE ET PAR BOUILLON.

[blocks in formation]

Votre gageure est sans doute fort plaisante, et j'ai ri de tout mon cœur de la bonne foi avec laquelle votre ami soutient une opinion aussi peu raisonnable que la sienne. Mais cela ne m'a point du tout surpris: ce n'est pas d'aujourd'hui que les plus méchans ouvrages ont trouvé de sincères protecteurs, et que des opiniâtres ont entrepris de combattre la raison à force ouverte. Et, pour ne vous point citer ici d'exemples du commun, il n'est pas que vous n'ayez ouï parler du goût bizarre de cet empereur3 qui préféra les écrits d'un je ne sais quel poëte aux ouvrages d'Homère, et qui ne vouloit pas que tous les hommes ensemble, pendant près de vingt siècles, eussent eu le sens commun.

Le sentiment de votre ami a quelque chose d'aussi monstrueux. Et certainement quand je songe à la chaleur avec laquelle il va, le livre à la main, défendre la Joconde de M. Bouillon, il me semble voir Marfise, dans l'Arioste, puisqu'Arioste il y a, qui veut faire confesser à tous les chevaliers errans que cette vieille qu'elle a en croupe est un chef-d'œuvre de beauté. Quoi qu'il en soit, s'il n'y prend garde, son opiniâtreté lui coûtera un peu cher; et quelque mauvais passe-temps qu'il y ait pour lui à perdre cent pistoles, je le plains encore plus de la perte qu'il va faire de sa réputation dans l'esprit des habiles gens.

Il a raison de dire qu'il n'y a point de comparaison entre les deux ouvrages dont vous êtes en dispute, puisqu'il n'y a point de comparaison entre un conte plaisant et une narration froide, entre une invention fleurie et enjouée et une traduction sèche et triste. Voilà en effet la proportion qui est entre ces deux ouvrages. M. de La Fontaine a pris à la vérité son sujet de l'Arioste; mais en même temps il s'est rendu maître de sa matière : ce n'est point

4. Peut-être François de La Mothe Le Vayer de Boutigny, auteur du roman de Tarsis et Zélie.

2. La gageure étoit entre François de Boutigny, qui avoit parié pour La Fontaine, et un sieur de Saint-Gilles, qui avoit parié pour Bouillon. 3. L'empereur Adrien qui, selon Dion Cassius, préféroit la Thébaïde du poëte grec Antimaque à l'Iliade et à l'Odyssée.

BOILEAU II.

1

« PreviousContinue »