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PREFACE

Du

TRADUCTEUR

GONSIEUR POPE, le plus

M grand Poète d'Angleterre,

& un des plus beaux génies, qui ait jamais paru, s'étant propofé d'écrire fur la vie & les mœurs de l'homme, a crû devoir confidérer d'abord l'homme en général, fa nature & fon état. Il eft néceffaire pour prefcrire des devoirs, & établir des préceptes, ou pour examiner la perfection oul'im perfection de quelque créature que ce foit, de connoître premiérement, quelle eft fa condition & quels font fes rapports: quelle eft la fin & quel eft l'objet de fon existence.

La fcience de la nature humaine, ainfi que toutes les autres fciences, fe réduit à un petit nombre d'idées claires, Il n'y

a pas

a pas dans ce monde beaucoup de vérités certaines. Il en eft de l'anatomie de l'efprit, comme de celle du corps: il eft plus utile, de s'appliquer aux parties les plus fenfibles & les plus faciles à apercevoir, que d'étudier de petits vaiffeaux & de petits nerfs, qui échapent aux obfervations. Ce font néanmoins fur les objets de cette nature que roulent des dif putes,qui fervent bien moins à augmenter la théorie de la morale, qu'à en diminuer la pratique. En conféquence de ces obfervations, M. Pope s'eft propofé de laiffer les chofes inintelligibles, de tenir un fage milieu entre des doctrines tout-à-fait oppofées, & de former un fiftéme de morale avec un mêlange de temperature qui ne nuisît point à la folidité; fiftême auffi court que bién digéré.

Ce qu'il a publié, confifte en quatre Epîtres. C'eft une idée générale de l'homme, où il n'y a que les plus grandes parties de tracées, leur étendue, leurs limites, & leurs connexions. Il a donné à ces quatre Epîtres le titre de premier livre, & il en annonce un fecond qui renfer

mera

mera des particularités plus fufceptibles d'agrément. Il ne fait dans celui-ci qu' ouvrir les fontaines & préparer les canaux: dans l'autre il en fuivra le cours & les détours.

Voilà ce que l'extrait de la Préface, qu'il a mis lui-même à la tête de fes Epîtres, m'a fourni. Ces Epîtres font écrites en vers, & elles font adreffées à Henri-Saint-Jean Lord Bolingbroke, à qui perfonne ne refufe l'aveu d'une fupériorité de génie & de talens. M. Pope l'a loué fans être flateur; ceci eft une exception aux Poëtes & aux dédicaces.

Le fujet eft d'une métaphyfique abftraite & délicate, où l'on peut ailément perdre le fil des inductions & les liaifons des rapports, & des différences. La maniére d'ailleurs dont les idées font expofées, eft extrêment concife: ce n'eft pas fans raison. Car en même tems que par la briéveté de l'expreffion les chofes deviennent plus faciles à être retenues, on devient plus propre à en conferver le fouvenir, à proportion du

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dégré

dégré d'attention, que la précifion requiert du Lecteur. Je n'alleguerai pas, que le but de cet ouvrage eft plus d'inftruire, que de plaire. Le plaifir s'y trouve, mais il veut être recherché, & des réfléxions de retour l'aménent, ce qui en reléve la fenfibilité, & augmente cette complaifance propre, que l'on goûte dans de femblables découvertes. Il ne fera pas toutefois hors de propos de prefenter une idée de cet Ouvrage.

La premiére Eptître traite de l'homme confidéré par rapport à l'Univers, & l'Auteur y prouve que toute ce qui eft, eft bien. L'Univers entier forme un fiftéme général, que l'homme ignore. Trop borné, il ne le connoît qu'en partie, & trop préfomtueux, il veut en rapporter la totalité à cette partie qu'il connoît, & qui eft fon fiftéme particulier. De ce principe d'orgueil naît l'idée d'une perfection chimérique, qu'il fe plaint de n'avoir pas, & qu'il ne fçauroit avoir fans ceffer d'être ce qu'il eft, fans ceffer d'être homme. Dans l'échelle des êtres, c'est-à-dire, dans le rang ou la pro

progreffion des diverfes créatures, il doit y avoir avoir un être tel que l'homme; & par rapport à l'univers, cet homme તે n'eft que partie d'un tout, qu'il ignore, & auquel il doit être relatif. Son orgueil s'irrite à tort de cette ignorance, qui n'eft point donnée en vain, & regrette à tort des puiffances & des facultés difproportionnées à la nature de celui qui les fouhaite, ou même incompatibles entr'elles. La gradation & la fubordination des êtres & de leurs facultés, qui eft infinie & admirable, forme une efpêce d'échelle, dont les proportions ne peuvent être altérées fans la détruire; l'Etre ordonnateur a placé chaque chofe dans le degré où il doit être, enforte, que tout ce qui eft, eft bien.

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La feconde Epître traite de la nature & de l'état de l'homme par rapport à lui-même confidéré comme individu. C'est un être d'une nature mixte, borné dans fes facultés, fujet à beaucoup de foibleffes. C'eft un mélange de paffion & de raifon, de vices & de vertus: mais ces paffions & ces vices font des 4

in

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