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Composition des leges duodecim tabularum.

Quelque obscure que soit d'ailleurs l'histoire de la composition des leges XII tabularum, il est cependant certain que la cause prochaine qui y donna lieu était toute politique, et se liait intimement à la lutte des intérêts contraires des patriciens et des plébéiens; car ce furent évidemment les plébéiens qui, par leurs tribuns, provoquèrent et obtinrent cette innovation. Ils avaient un double but : d'abord, la confirmation de plusieurs rapports de droit public, jusque-là vacillants, et qui devaient être assurés désormais, contre toute interprétation arbitraire, par une rédaction claire et précise, dans une législation embrassant tout, et accessible à tous; et en même temps, à cette occasion, la prise en considération et la garantie de plusieurs prétentions de la plebs, qui jusque-là avaient été repoussées. On ne peut pas tirer objection de ce que ce dernier but ne fut pas complétement atteint; car les patriciens, quoiqu'ils ne pussent empêcher entièrement l'entreprise, cherchèrent naturellement, dans l'exécution, à défendre, autant que possible, l'intérêt particulier de leur ordre.

Une condescendance mutuelle pouvait seule mener à fin une semblable transaction. Tel fut aussi le

motif de la mesure par laquelle, afin de faire taire pour un temps toutes dissensions politiques, on suspendit provisoirement la constitution existante dans toutes ses dispositions. Les consuls et les tribuns furent tous remplacés par dix hommes, choisis, du moins la première année, uniquement parmi les patriciens, decemviri legibus scribendis, avec la double mission, et de gouverner la république dans l'intervalle, et d'élaborer le projet de la nouvelle loi fondamentale. Ils publièrent, à la fin de la première année, dix tables de lois qui furent confirmées par le peuple dans les comices, et approuvées par le sénat; deux tables additionnelles furent de même promulguées un peu plus tard. Au reste, comme les décemvirs, après l'expiration de leur commission, voulurent se maintenir, par usurpation, en possession du gouvernement, ils furent violemment renversés, par suite d'un mouvement populaire, et l'ancienne constitution de la république fut remise en exercice.

Les documents qui nous sont parvenus, touchant l'histoire des Douze Tables, leur contenu, leur préparation, par des personnes envoyées à cet effet dans les pays étrangers, l'influence qu'avaient exercée sur leur rédaction les législations étrangères, particulièrement la législation grecque, et l'ordre des matières qui y était observé, tous ces documents sont ou contradictoires, ou, au moins, très-incertains. Nous ne connaissons pas non plus

leurs dispositions complétement, dans leur forme et leur langage originaires, car aucune copie du texte de cette loi ne nous est parvenue. Cependant, selon toute vraisemblance, à côté de plusieurs innovations particulières, jugées nécessaires, probablement dans l'intérêt des plébéiens, elle contenait principalement les anciens principes soit de droit public, soit de droit privé, que leur antiquité, la diversité des interprétations qu'ils avaient subies, ou le sens forcé qu'on leur avait attribué à dessein, avaient souvent rendus incertains, et qui furent ainsi fixés pour l'avenir.

Ce qu'il y a de sûr, c'est que ces leges XII tabularum, nommées aussi lex XII tabularum, ou lex decemviralis, que Tite-Live appelle corpus omnis romani juris, fons publici privatique juris, Tacite, finis æqui juris, se présentent comme un monument unique, en son genre, dans l'histoire du droit romain; car elles sont toujours restées, jusqu'à Justinien, le seul corps de lois qui embrasse l'ensemble du droit positif. Même, après que, dans le fait, la plus grande partie de la législation décemvirale eut été abolie par le nouveau droit, elles continuèrent encore d'être considérées comme étant, de nom et en théorie, la base fondamentale de tout le droit postérieur, à laquelle on avait soin de rattacher artificiellement tout ce qui s'était introduit depuis, comme en étant simplement la modification ou le développement. C'est seulement par les grands

recueils de Justinien que l'autorité pratique des lois des Douze Tables a été formellement abolie.

Des essais, pour les reconstruire dans leur ensemble, en réunissant les divers renseignements et les divers fragments qui nous en ont été conservés, ont été tentés, particulièrement par Jacques Godefroi (1) et Haubold (2). Après eux, Dirksen (3) a rassemblé et soumis à une critique judicieuse tous les matériaux déjà préparés.

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Sources particulières du droit dans cette période.

Les coutumes étant, en général, le premier fondement de tout droit positif, surtout dans les États encore peu avancés dans la civilisation, le droit romain peut bien, jusqu'au temps de la loi des Douze Tables, avoir consisté presque uniquement en de semblables coutumes, dont les unes auraient été apportées de l'étranger dans l'État nouvellement formé, et les autres auraient pris naissance

(1) Jacobi Gothofredi Quatuor fontes juris civilis. Genev.,

1653.

(2) Haubold, Instit. jur. rom. priv. hist. dogm. epitome. Lips., 1821, p. 129.

(3) H. E. Dirksen, Uebersicht der bisherigen Versuche zur Critik und Herstellung des Textes der Zwolftafelgesetze. Leipzig,

1824.

dans son sein. Cependant il existait, même déjà sous les rois, de vraies lois, leges, puisque le roi présentait au peuple assemblé des propositions, qui, lorsqu'elles avaient été adoptées par le peuple et approuvées par le sénat, obtenaient force de loi. Nous savons, du reste, fort peu de chose de ces lois, nommées leges regiæ, à cause de la proposition royale; car, bien qu'il ne soit pas vraisemblable qu'elles aient été formellement abrogées aussitôt après l'expulsion des rois, elles tombèrent pourtant en oubli, d'autant plus facilement, que la partie qui convenait encore à l'époque présente fut probablement insérée dans les Douze Tables, et resta en usage sous ce titre. On ne peut non plus apercevoir clairement, au milieu des renseignements contradictoires qui nous restent, ce qu'était cette collection des leges regiæ, que le pontife Papirius avait faite et publiée, jus papirianum. Rien de ces lois royales n'a été conservé jusqu'à notre temps, dans sa forme originale. Ce n'est que sur des relations postérieures, pour la plupart très-peu sûres et très-confuses, que repose ce qu'on a recueilli et rapproché, de nos jours, sous le nom de leges regia (1).

Il y a aussi des lois portées par le peuple sous la constitution consulaire, qui rentrent dans cette pé

(1) Dirksen, Versuche zur Critik und Auslegung der Quellen des ræmischen Rechts, n. 6, où sont nommés aussi les auteurs antérieurs de recueils des leges regiæ.

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