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Il en est autrement lorsque les droits élémentaires de la propriété en sont réellement détachés pour un temps, de telle manière qu'ils n'en fassent véritablement plus partie jusqu'à ce qu'ils y soient réunis de nouveau : celui qui en est investi exerce alors sur la chose d'autrui un droit aussi indépendant que le propriétaire sur sa propre chose; il se trouve réellement placé, à l'égard de la chose d'autrui, dans un rapport juridique immédiat, en vertu duquel il a sur cette chose exactement le même pouvoir, quoique seulement d'une manière partielle, que le propriétaire a sur sa propre chose. De là le caractère de réalité appliqué aussi à ces droits; de là la dénomination très-expressive de jura in re aliena, droits réels sur la chose d'autrui.

Le jus in re aliena se distingue suffisamment du dominium, en ce que celui qui en est investi doit toujours reconnaître la propriété d'un autre, et que, précisément par cette raison, la chose ne peut être soumise que partiellement, jamais totalement, à sa domination.

Le droit romain, dans son dernier état de développement, reconnaît quatre espèces de ces jura in re aliena, et même le caractère de droit réel indépendant n'a été attribué à plusieurs qu'assez tard. Ces quatre espèces sont : servitus rei, emphyteusis, superficies et pignus.

1. DES SERVITUDES EN PARTICULIER.

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Notion générale des servitudes; leurs divisions.

Les servitudes ont cela de commun avec les autres jura in re aliena, qu'elles restreignent la propriété qui est régulièrement libre, illimitée.

Cette restriction qu'elles apportent à la liberté libertas, de la chose, en faveur du sujet auquel elles compétent, ne peut jamais consister en une obligation de faire, facere, mais consiste toujours en une obligation de ne pas faire ou de souffrir, non facere vel pati. Mais ce ne peut être encore là un caractère spécial des servitudes; car, quelque vrai que soit le principe: servitus in faciendo consistere non potest, quelque intime que soit sa liaison avec l'essence de la servitude, il est cependant fondé moins sur la nature propre de la servitus que sur celle du jus in re aliena en général, et ce n'est qu'accidentellement qu'on le trouve exprimé d'une manière plus positive à l'occasion des servitudes. En effet, comme tout droit réel sur la chose d'autrui n'est qu'une partie détachée de la propriété, ou plutôt de la chose corporelle, il ne peut jamais avoir pour objet rien de plus qu'une restriction de

cette chose même et du pouvoir matériel qu'on peut exercer sur elle.

Enfin, quoiqu'il soit très-vrai que la servitude a toujours pour but une utilité à tirer de la chose d'autrui, elle partage encore cette propriété avec d'autres droits réels sur la chose d'autrui.

Au contraire, il y a deux caractères qui, dans le fait, distinguent spécialement les servitudes.

L'un est historique et consiste en ce que la servitude formait le plus ancien, et même, originairement, l'unique jus in re aliena, et était fondée sur l'antique droit civil, tandis que les autres devaient leur naissance au droit civil plus récent ou au droit prétorien. C'est pourquoi la servitude s'appelle aussi, par excellence, jus in re.

L'autre caractère, qui est encore plus spécifique, c'est que la servitude est si étroitement liée à son sujet, qu'elle ne peut en être séparée sans s'anéantir: propriété que ne partagent pas les autres jura in re aliena.

C'est précisément par cette raison qu'on attache tant d'importance à la division générale des servitudes, d'après le sujet à qui elles compétent, en rerum seu prædiorum servitutes, qui sont établies pour un fonds et à son avantage, et personarum servitutes, qui sont accordées à une personne humaine déterminée et à son profit.

Relativement à leur objet, les servitudes, comme limitations de la propriété d'autrui, ne sont natu

rellement possibles que sur les choses qui sont susceptibles de propriété et qui sont effectivement dans la propriété actuelle d'un autre. C'est pour cela que les servitutes prædiorum étaient, dans l'origine, bornées aux fonds italiques; distinction qui a disparu dans le nouveau droit romain.

Les Romains, considérant les servitudes, surtout leur espèce la plus ancienne, les servitudes réelles, comme une partie détachée de la propriété ellemême, cela explique pourquoi ils n'appliquèrent qu'à ce droit l'analogie de la propriété, jusqu'au point de transporter aux servitudes l'idée de possessio, sous le nom de quasi possessio, avec toutes ses conséquences juridiques.

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Des servitudes réelles, rerum seu prædiorum servitutes.

Inst., lib. II, tit. 3, De servitutibus prædiorum.

Dig., lib. VIII, tit. 1, De servitutibus; - tit. 2, De servitutibus prædiorum urbanorum; tit. 3, De servitutibus prædiorum rusticorum.

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Cod., lib. III, tit. 34, De servitutibus et aqua.

Ces servitudes sont les plus anciennes ; aussi, dans nos textes, elles s'appellent souvent servitutes par excellence, sans autre addition, et elles se rat

tachent, par le fait, de la manière la plus naturelle à l'idée de la propriété foncière, comme en étant une extension et une restriction réciproques commandées par les besoins de l'agriculture.

Le principe général sur lequel les jurisconsultes romains ont fondé, avec beaucoup de conséquence logique, toute la théorie des servitudes réelles, est que la servitude appartient toujours à un fonds, prædium cui debetur servitus, sur un autre fonds, prædium quod servitutem debet; et, suivant que le fonds dominant est un bâtiment ou un terrain vide de construction, les servitudes réelles se nomment prædiorum urbanorum, ou prædiorum rusticorum servitutes. Ces dernières étaient mancipi res, les premières nec mancipi res.

Du principe énoncé se déduisent, d'une manière très-simple, la plupart des propriétés des servitudes réelles.

Ainsi elles doivent être telles qu'il en résulte, pour le fonds dominant lui-même, et non pas seulement pour la personne du possesseur actuel de ce fonds, une certaine utilité provenant immédiatement du fonds servant lui-même.

Ainsi elles doivent être, à la vérité, exercées par le possesseur actuel, comme représentant le fonds, mais toujours pour l'avantage du fonds dominant, et seulement jusqu'à concurrence de l'étendue des besoins de ce fonds.

Ainsi les deux immeubles doivent se trouver entre

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