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§ II. Secte de Démocrite.

Démocrite, auteur de cette secte, l'un des plus Laert. grands philosophes de l'antiquité, était d'Abdère dans la Thrace. Xerxès, roi de Perse, ayant logé chez le père de Démocrite, lui laissa quelques mages, qui furent les précepteurs de son fils, et qui lui enseignèrent leur prétendue théologie et l'astronomie. Il reçut ensuite les leçons de Leucippe, et apprit de lui le système des atomes et du vide.

L'inclination extraordinaire qu'il eut pour les sciences le porta à voyager dans tous les pays du monde où il espéra de trouver d'habiles gens. Il vit les prêtres d'Égypte il consulta les Chaldéens et les philosophes persans. On veut même qu'il ait pénétré jusque dans les Indes et dans l'Éthiopie pour conférer avec les gymnosophistes.

'Il négligea le soin de ses revenus 1, et laissa ses terres incultes, afin de s'occuper avec moins de distraction à l'étude de la sagesse. On a été jusqu'à dire, mais avec peu de vraisemblance, qu'il s'était crevé les yeux, dans l'espérance de méditer plus profondément, lorsque les objets de la vue ne feraient point diversion aux forces intellectuelles de son ame. C'était s'aveugler en quelque sorte que de s'enfermer dans un tombeau, comme on

I « Democritus verè falsòve dicitur oculis se privasse, ut quàm minimè animis a cogitationibus abduceretur. Patrimonium neglexit, agros deseruit incultos; quid quærens

Tome XI. Hist. anc.

aliud, nisi beatam vitam ? » (De
Finib. lib. 5, n. 87.)

Miramur, si Democriti pecus edit agellos
Cultaque, dum peregrè est animus sine cor-
pore velox.
(HORAT. lib. 1, ep. 12.)

29

Laert.

Athen. 1. 4, pag. 168.

dit qu'il faisait, pour vaquer plus librement à la méditation.

I

Ce qui paraît plus certain, c'est qu'il dépensa pour ses voyages tout son patrimoine, qui montait à plus de cent talents (cent mille écus). A son retour il fut cité en justice pour avoir ainsi dissipé son bien. Les lois du pays portaient que ceux qui auraient dépensé leur patrimoine ne seraient point enterrés dans le tombeau de leur famille. Il plaida lui-même sa cause, et produisit, pour témoin du légitime emploi qu'il avait fait de ses biens, le plus parfait de ses ouvrages, dont il fit lecture aux juges. Ils en furent si charmés, que non-seulement ils le renvoyèrent absous, mais lui firent rendre, sans doute du trésor commun de la ville, autant de bien qu'il en avait dépensé dans ses voyages, lui érigèrent des statues, et ordonnèrent qu'après sa mort le public prendrait soin de ses funérailles : ce qui fut exécuté. Il voyagea en grand homme, pour s'instruire, et non pour s'enrichir. Il alla chercher jusqu'au fond des Indes les richesses de l'érudition, et ne se soucia guère des trésors qu'il trouvait presqu'à sa porte dans un pays abondant en mines d'or et d'argent.

Il passa quelque temps à Athènes 2, le centre de toutes les sciences et le domicile des beaux esprits. Mais, loin de chercher à y faire briller son mérite, et à y faire parade de ses rares connaissances, il affecta d'y demeurer inconnu : circonstance remarquable dans un savant et dans un philosophe!

On rapporte un fait assez singulier, mais fondé

1550,000 fr.-L.

2 « Veni Athenas, inquit Democritus, neque me quisquam ibi agno

vit. Constantem hominem et gravem, qui glorietur a gloria se abfuisse! » (Tusc. Quæst. lib. 5, n. 104.)

uniquement sur des lettres d'Hippocrate, que les savants croient être supposées. Les Abdérites, voyant Démocrite leur compatriote ne se soucier de rien, rire et se moquer de tout, dire que l'air était rempli d'images, chercher ce que disent les oiseaux dans leur chant, habiter presque toujours dans des tombeaux, craignirent que la tête ne lui tournât, et qu'il ne devînt entièrement fou, ce qu'ils regardaient comme le plus grand malheur qui pût arriver à leur ville. Ils écri virent donc à Hippocrate, pour le prier de venir voir Démocrite. Le grand intérêt qu'ils prenaient à la santé d'un concitoyen si célèbre leur fait honneur. L'illustre médecin qu'ils avaient fait venir, ayant eu quelques conversations avec le prétendu malade, en jugea bien différemment d'eux, et dissipa toutes leurs craintes en déclarant qu'il n'avait point connu d'homme plus sage ni plus sensé que ce philosophe. Diogène Laërce fait aussi mention de ce voyage d'Hippocrate à Abdère.

On ne trouve rien de certain ni sur le temps de sa naissance, ni sur le temps de sa mort. Diodore de Sicile le fait mourir âgé de quatre-vingt-dix ans, la première année de la 90o olympiade.

AN. M. 3584.

Démocrite était un beau génie, un esprit vaste, Laert. étendu, pénétrant, et qui s'appliqua à toutes les plus rares connaissances. La physique, la morale, les mathématiques, les belles-lettres, les beaux-arts, se trouvèrent dans la sphère de son activité.

On dit qu'ayant prévu qu'une certaine année serait mauvaise pour les oliviers, il acheta à vil prix une grande quantité d'huile, et y fit un gain immense. On s'étonnait avec raison qu'un homme qui n'avait jamais

Laert.

Ibid.

paru se soucier que de l'étude 1, et qui avait toujours fait tant de cas de la pauvreté, se fût jeté tout d'un coup dans le commerce, et eût songé à amasser de si grands biens. Il expliqua bientôt lui-même ce mystère, en restituant à tous les marchands dont il avait acheté l'huile, et qui étaient au désespoir du mauvais marché qu'ils avaient fait, tout ce qu'il avait gagné dessus, et se contentant de faire connaître qu'il ne tenait qu'à lui de devenir riche. On raconte une histoire pareille de Thalès.

Épicure est redevable à Démocrite de presque tout son système; et, pour rendre l'élégante expression latine 2, c'est des sources de ce dernier que coulent les eaux dont Épicure arrose ses jardins. Celui-ci se fit tort en n'avouant pas les obligations qu'il avait à Démocrite, et en le traitant de rêveur. Nous exposerons dans la suite ses sentiments sur le souverain bien de l'homme, sur le monde, sur la nature des dieux.

C'est aussi Démocrite qui a fourni aux pyrrhoniens tout ce qu'ils ont dit contre le témoignage des sens : car, outre qu'il avait accoutumé de dire que la vérité était cachée au fond d'un puits, il soutenait qu'il n'y avait rien de réel que les atomes et le vide, et que tout le reste ne consistait qu'en opinion et en apparences. On prétend que Platon était ennemi déclaré de Démocrite. Il avait ramassé avec soin tous ses livres, et

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allait les jeter au feu, lorsque deux philosophes pythagoriciens lui représentèrent que cela ne servirait de rien, parce que plusieurs personnes s'en étaient déja pourvues. La haine de Platon envers Démocrite a paru, en ce qu'ayant fait mention de presque tous les anciens philosophes, il ne l'a jamais cité, non pas même dans les endroits où il s'agissait de le réfuter.

§ III. Secte appelée sceptique ou pyrrhonienne.

Pyrrhon, natif d'Élide au Péloponnèse, fut disciple d'Anaxarque, et l'accompagna jusqu'aux Indes. Ce fut sans doute à la suite d'Alexandre-le-Grand, d'où l'on peut connaître en quel temps il a fleuri. Il avait exercé le métier de peintre avant que de s'attacher à la philosophie.

Ses sentiments ne différaient guère des opinions d'Arcésilas, et se terminaient à l'incompréhensibilité de toutes choses. Il trouvait partout, et des raisons d'affirmer, et des raisons de nier : et c'est pour cela qu'il retenait son consentement après avoir bien examiné le pour et le contre, sans conclure autre chose, sinon qu'il ne voyait encore rien de clair et de certain, non liquet, et que la matière dont il était question avait besoin d'être encore approfondie. Il paraissait donc toute sa vie chercher la vérité; mais il se ménageait toujours des ressources pour ne pas tomber d'accord qu'elle se fût montrée à lui: c'est-à-dire qu'en effet il ne voulait pas la trouver, et qu'il cachait cette affreuse disposition sous le spécieux dehors de la recherche et de l'examen.

Quoiqu'il ne soit pas l'inventeur de cette méthode

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