Page images
PDF
EPUB

Ayants Dieu dans le cœur, ne le peuvent louer,

Si vos yeux pénétrants jusqu'aux choses futures...
(Larmes de S. Pierre.)

Il n'y avait aucune raison pour décliner tous ces participes, et quelques uns même n'auraient pas dû l'être, puisqu'ils sont suivis d'un régime. Lisants les gestes de Pantagruel, disants leur aventure, faisants un doux murmure, ne sont pas des phrases régulières, parcequ'il n'y a point de verbe; il fallait lisant, disant, faisant: mais, dans ce temps-là, on croyait rendre un grand service à la langue que de la tenir constamment assujettie aux usages des langues anciennes.

Les écrivains de Port-Royal, ces hommes si respectables à qui nous devons Racine, et de si excellens livres élémentaires, ont recours, pour nous expliquer la nature du participe, à des exemples latins, grecs, hébreux; et, pour en désigner les modifications, aux noms de supin et de gérondif, qui n'appartiennent point à la grammaire française. Ils établissent, dès la première ligne, que les participes sont de vrais noms adjectifs ; ce qui est un principe trop général, sur-tout si on veut en conclure que le participe doive toujours être décliné. Aussi les mêmes grammairiens disent-ils ensuite que le participe est verbe lorsqu'il exprime une action, et adjectif lorsqu'il exprime un état. Voilà ce que dit la raison: mais il en résultait que le participe ne devait pas toujours être décliné, et il faut avouer que les grammairiens de PortRoyal n'avaient pas établi cette règle avec toute la justesse desirable. Les développemens de leur principe se réduisent à-peuprès à ceci : quand le participe régit le même cas que le verbe, il tient de la nature du verbe, et il est indéclinable; quand il a le même régime que les noms alors il prend la nature des noms, et peut être décliné.

Ce n'était pas ainsi, ce me semble, qu'il fallait exprimer cette pensée. On a pris ici l'effet pour la cause. Le participe ne prend pas la nature du verbe ou du nom parcequ'il a le régime de l'un ou de l'autre; mais il exige ce régime, suivant qu'il est verbe ou suivant qu'il est nom.

Mais, comme les participes latins sont constamment déclinables, ceux qui voulaient donner à la langue française les règles de la langue latine ne manquaient pas de décliner les participes fran

çais; et voilà pourquoi, dans le style de la pratique judiciaire, on a conservé l'habitude de les décliner toujours, les gens tenants notre cour de parlement, la rendante compte, etc. On aurait écrit comme cela en latin, et les actes étaient autrefois écrits dans cette langue.

Il n'est pas même nécessaire, pour trouver des exemples semblables, de remonter au seizième siècle, ni de feuilleter les actes judiciaires. Pascal dit, dans ce livre de parti qui est encore un modèle de style, Je les lui offris tous ensemble, comme ne faisants qu'un même corps, et n'agissants que par un même esprit. (Provinciales, lett. Ire.)

Ces exemples ont été quelquefois imités par des auteurs qui feraient autorité dans cette matière, s'il y en avait d'autre que celle de la raison. Mais, presque toujours, Boileau, Racine, Voltaire, ont observé avec soin la nuance qui distinguait le participe verbe du participe adjectif.

Dans les phrases suivantes, l'auteur a eu dessein d'exprimer une action, et il n'a eu garde de décliner le participe:

Tous mes sots à-la-fois, ravis de l'écouter,

Détonnant de concert, se mettent à chanter (Boileau, sat. 3.);

parceque chanter faux est une action et non pas un état. Les morts, se ranimant à la voix d'Élisée. ( Athalie.)

Venez; Achille et lui, brûlant de vous revoir... (Iphigénie.)

Le participe désigne un état dans les vers suivans, et il y est décliné :

Elle approche, elle voit l'herbe rouge et fumante. (Phèdre.)
Et qui dans une main de votre sang fumante. (Mithridate.)

Quelquefois le participe exprime à-la-fois une action et un état, et les écrivains le déclinent ou ne le déclinent pas. La chose est indifférente lorsque l'auteur ne veut pas peindre plus particulièrement l'état que l'action, ou l'action que l'état. Par exemple :

Et la Crète fumant du sang du Minotaure. (Phèdre.)

Et la triste Italie, encor toute fumante

Des feux qu'a rallumés sa liberté mourante. (Mithridate.)

Qu'errant dans ce palais, sans guide et sans escorte,

La mère de César veille seule à sa porte. (Britan.)

Errante et sans dessein je parcours ce palais. (Andromaq.)

L'auteur a pu, dans ces occasions, décliner ou ne pas décliner le participe, parceque fumer, errer, sont des actions, et qu'étre errante, étre fumante, est un état; qu'ici l'état est inséparable de l'action, et que l'auteur n'a pas voulu appeler l'attention sur l'un plutôt que sur l'autre. Mais voyez avec quelle finesse de goût il marque cette nuance lorsqu'elle peut être utile:

Et n'est-ce point, madame, un spectacle assez doux

Que la veuve d'Hector pleurant à vos genoux? (Androm.)

Dans cette phrase, Racine a employé le participe comme verbe, parceque pleurer aux genoux de quelqu'un est une action instantanée. C'est comme s'il eût dit, Que la veuve d'Hector qui pleure à vos genoux.

Au contraire, dans cet autre vers,

Pleurante après son char vous voulez qu'on me voie? (Andr.)

il emploie le participe comme adjectif. Pourquoi? Parceque une captive qui pleure à la suite d'un char est dans un état de désolation qui n'est point une affliction momentanée. Tomber aux genoux de quelqu'un est une action; être à la suite d'un char est un état, et cette nuance influe sur l'autre circonstance, qui est celle des larmes. Je ne sais si j'ai bien fait sentir ma pensée; mais il me semble que cette remarque n'est pas une subtilité. Dans cet autre vers,

Et que Rome avec lui tombant à vos genoux (Bérénice.), l'auteur n'a pas eu à choisir entre tombant et tombante; parceque tomber est une action instantanée.

Les écrivains n'ont pas toujours la même délicatesse; quelquefois ils ont employé le participe comme adjectif, quoique le sens de la phrase indiquât une action plutôt qu'un état.

On chassa ces docteurs prêchans sans mission. (Art poét.)
Entendre ces discours sur l'amour seul roulans (Sat. 10.)
Cent mille faux zélés, le fer en main courans. (Id. 12.)

Saint Pierre à tous venans devait ouvrir d'abord. (Id.)
Infames scélérats, à la gloire aspirans. (Id.)

Précher, rouler, courir, venir, aspirer, tout cela est une action plutôt qu'un état ; mais il faut remarquer que ces trois derniers exemples sont pris dans la satire sur l'Équivoque, où j'aurais pu en trouver plusieurs autres. Boileau vieillissait, et il commençait à se pardonner des négligences.

Les vers suivans de Voltaire donnent lieu à la même observation :

De deux Alexandrins, côte à côte marchans,

Dont l'un est pour la rime, et l'autre pour le sens.

Il est probable que

(Épît. à l'empereur de la Chine.)

c'est pour la rime que l'auteur a décliné ici le participe; c'est une négligence, parceque marcher est une action.

Mais voilà, diras-tu, des phrases mal sonnantes,

Sentant le philosophe, au vrai même tendantes.

(Épít. au roi de Danemarck.)

Cette phrase est mal sonnante en effet. Le premier hémistiche porte la condamnation du second: si l'auteur a pu dire tendantes au vrai, il aurait pu dire aussi sentantes le philosophe.

Dans le choix de ces exemples j'ai eu l'attention de ne rappor ́ter que ceux où le sens de la phrase suffit pour déterminer l'approbation ou la censure. Quelquefois la manière dont la phrase est formée détermine si le participe peut être employé comme verbe ou comme adjectif.

Mais sans cesse ignorans de nos propres besoins. (BOIL., ép. 5.)

Si l'auteur eût mis nos propres besoins, il aurait fallu mettre ignorant. Dans cette circonstance le choix eût été indifférent sous le rapport de la grammaire. Mais il y a une faute dans ce vers du même poëte:

Et plus loin deux laquais, l'un l'autre s'agaçans,

Font aboyer les chiens, et crier les passans. (Sat. 6)

La faute consiste premièrement en ce que agacer est une action. plutôt qu'un état, qu'agacer n'est pas la même chose qu'être agacant; secondement, en ce que l'auteur a donné à l'adjectif agaçans

le régime soi, et que les adjectifs ne veulent point de régime, puisque leur condition est d'être eux-mêmes régis. Il y a donc ici, ce me semble, faute de logique et faute grammaticale. Je crois que cette négligence est la seule de ce genre qu'on trouve dans Boileau. Je n'en connais aussi qu'un seul exemple dans Racine:

,,,”。

En leur fureur de nouveau s'oubliants. (Idylle sur la Paix.) Racine avait évité cette faute dans cet autre vers:

Les morts se ranimant à la voix d'Élisée.

Que conclure de tous ces exemples? Que les participes sont une modification du verbe, et deviennent souvent des adjectifs; qu'autrefois on les déclinait presque toujours; qu'aujourd'hui ils peuvent être déclinés ou ne l'être pas, suivant qu'on les emploie comme verbes ou comme adjectifs; que de ce choix dépend celui du régime qu'on leur donne comme verbes, ou des règles auxquelles ils sont eux-mêmes soumis comme noms. Mais il faut bien se garder d'ajouter que le choix entre le verbe et l'adjectif est indifférent. Le verbe a la propriété de marquer l'action et le temps; par conséquent, toutes les fois qu'il s'agit d'indiquer une action, le goût doit employer le participe comme verbe; et la grammaire défend, en ce cas, de le décliner, et permet de lui donner un régime.

Mon objet, dans cette dissertation, n'était pas de répondre à une critique. Il importe peu de savoir s'il y a une faute de plus ou de moins dans mon ouvrage; mais ceux que la pureté du langage intéresse chercheront et parviendront peut-être à rectifier mes idées sur la difficulté dont il s'agit. Il y en a beaucoup d'insolubles dans notre langue; et, pour consoler nos grammairiens modernes, je leur rappellerai un trait de l'histoire de Cicéron.

Sous le troisième consulat de Pompée, on venait d'élever un monument dont l'inscription partagea les principaux savans de la république. Les uns voulaient indiquer la date par ces mots, Consul tertium, et les autres tenaient pour tertio. On s'adressa à Cicéron, qui refusa long-temps de dire son avis, et qui finit par proposer de mettre Tert. Consul; ce qui fut adopté.

« PreviousContinue »