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il les rapporte aux créations distinctes, en disant que le soir désigne le terme de la production d'une créature et le matin le commencement de celle d'une autre (1). Nous ajouterons encore que, si le sens que nous avons attaché aux jours paraît métaphorique et peu naturel, l'explication qu'ont donnée de ces jours les interprètes qui admettaient la création simultanée, explication qui n'a jamais été réprouvée, est aussi sujette à ce même reproche.

Les remarques que nous venons de faire et les autorités que nous avons citées démontrent suffisamment que le récit de la création consigné dans nos saints livres ne doit guère nous empêcher de rechercher, d'après les observations géologiques, le mode de formation de notre globe. Pour assurer que l'Écriture est opposée à la science en ce qui concerne l'histoire de la terre, il faudrait pouvoir démontrer deux choses: la première, que l'interprétation du texte qui paraît contraire aux conclusions de la géologie est nécessairement le véritable sens, celui que l'auteur inspiré a eu en vue; la seconde, que ces conclusions elles-mêmes sont tellement évidentes que tout savant de bonne foi ne puisse s'empêcher de les admettre sans le moindre doute. Mais nous ne sachons pas qu'il y ait un seul géologue qui prétende avoir trouvé et dé

liter erant omnia simul quæ per tempora in arborem surgerent, ita ipse mundus cogitandus est, cum Deus simul omnia creavit, habuisse simul omnia quæ in illo et cum illo facta sunt, quando factus est dies; non solum cœlum cum sole et luna et sideribus, quorum species manet motu rotabili, et terram et abyssos, quæ velut inconstantes motus patiuntur atque inferius adjuncta partem alteram mundo conferunt; sed etiam illa quæ aqua et terra produxit potentialiter atque causaliter, priusquam per temporum moras ita exorirentur, quomodo nobis jam nota sunt in eis operibus, quæ Deus usque nunc operatur. De Genesi ad litt. lib. V, c. 23.

(1) In illis enim diebus, quibus omnia creabantur, vesperam terminum conditæ creaturæ, mane autem initium condendæ alterius accipiebamus. De genesi ad litt. lib. IV, c. 18.

montré à un tel point les réponses aux questions nombreuses et compliquées qui se présentent dans la recherche des causes géologiques; et nous avons montré d'autre part que le sens des paroles de la Génèse n'est pas du tout déterminé, et que nous avons dès lors toute la latitude nécessaire pour expliquer les phénomènes de la géologie, sans nous mettre en opposition avec l'Écriture.

Qu'il nous soit permis, avant de terminer cette discussion, de signaler ici un fait qui nous paraît bien digne de fixer l'attention. Si le récit de la Génèse avait été tellement catégorique qu'on ne pût lui donner une interprétation différente de celle qu'on lui donne ordinairement, si tous les interprètes et les docteurs de l'Église avaient été unanimes à fixer le sens de l'Écriture de cette manière, alors les défenseurs de nos saints livres auraient pu se trouver embarrassés pour concilier les faits géologiques avec la parole divine, alors les essais pour opérer cette conciliation auraient pu paraître comme forcés et contraires au véritable sens. Mais le sens des passages dont il est question est-il en effet si facile à déterminer, même en ne tenant aucun compte des observations de la géologie? Il est vrai qu'à ne considérer que le texte seul, il y a de grands motifs de supposer que les trois derniers des six jours de la Génèse sont des jours naturels, fournis par la révolution diurne du soleil; mais ces mêmes motifs ne subsistent guère pour les trois autres jours qui ont précédé la création de cet astre (1). Nous avons vu d'ailleurs les interprétations différentes proposées dès les premiers siècles par les auteurs les plus orthodoxes; nous avons fait remarquer la réserve extrême de St. Augustin à décider des questions qu'il soulève dans

(1) C'est l'observation de S. Augustin, De civitate Dei, lib. XI, c. 7, et d'Origène, Periarch. lib. IV, c. 16.

l'interprétation des diverses paroles du texte sacré (1), et cela quatorze cents ans avant les observations scientifiques qui, selon quelques auteurs, auraient seules déterminé à modifier l'interprétation commune. Nous avons vu en même temps que ce grand Docteur excite en quelque sorte à ne pas s'arrêter aux opinions qu'il a émises lui-même; il insinue qu'il peut y avoir encore des explications différentes plus convenables et plus probables; il retrace aussi en même temps les règles à suivre dans l'interprétation de l'Écriture. A la fin du premier livre de ses commentaires sur la Génèse, il se demande ce qui résulte de la discussion qu'il vient de terminer et des différentes opinions qu'il a exposées, sans se prononcer pour aucune d'elles? Il en résulte, dit-il, que nous ne sommes pas embarrassés pour répondre selon la foi à ceux qui affectent de calomnier les livres de notre salut, et que nous pouvons démontrer que toutes les connaissances qu'ils ont acquises sur la nature des choses et qui sont fondées sur des preuves certaines et véritables ne sont pas contraires à l'Écriture; et que, pour ce qui concerne les opinions consignées par eux dans leurs ouvrages et qui seraient contraires à la foi catholique, nous croyons avec raison qu'elles sont fausses, quand même l'erreur ne serait pas démontrée d'une manière purement rationnelle. Nous devons par conséquent nous attacher à la doctrine de notre divin Médiateur, de telle manière que nous ne nous laissions ni égarer par les raisonnements verbeux d'une fausse philosophie, ni effrayer par les opinions exagérées d'une fausse religion; et, parmi les explications diverses dont le texte de l'Écriture est susceptible, nous devons choisir avant tout celle que nous reconnaissons d'une manière certaine pour avoir été le sens

(1) Voyez encore sur ce sujet S. AUG. De civitate Dei, lib. XI, c. 6. et Retractationum, lib. II, c. 24.

de l'auteur sacré, ou bien celle qui est indiquée par l'ensemble du texte, si le sens de l'auteur ne peut être exactement déterminé, ou enfin une explication qui soit conforme à la foi. Car, ajoute St. Augustin, autre chose est ne pas distinguer le sens de l'auteur, autre chose est s'écarter de la règle prescrite au vrai fidèle. Si d'un côté, pour retirer de notre étude tout le fruit possible, il faut savoir éviter ces deux inconvénients; d'un autre côté aussi, lors même que le sens de l'auteur resterait encore dans l'incertitude, il n'est pas inutile d'avoir trouvé une explication conforme à la foi (1).

Encouragés par une autorité si imposante, nous avons hasardé nous-mêmes l'explication que nous venons de développer. Cependant, avertis en même temps par tant et de si grands

(1) Dicet aliquis, quid tu tanta tritura dissertationis hujus, quid granorum exuisti, quid eventilasti? cur propemodum in quæstionibus adhuc latent omnia? Affirma aliquid eorum, quæ multa posse intelligi disputasti. Cui respondeo, ad eum ipsum me cibum suaviter pervenisse, quo didici, non hærere homini in respondendo secundum fidem, quod respondendum est hominibus qui calumniari libros nostræ salutis affectant, ut quidquid ipsi de natura rerum veracibus documentis demonstrare potuerint, ostendamus nostris litteris non esse contrarium. Quidquid autem de quibuslibet suis voluminibus his nostris litteris, id est, catholicæ fidei contrarium protulerint, aut aliqua etiam facultate ostendamus, aut nulla dubitatione credamus esse falsissimum : atque ita teneamus Mediatorem nostrum, in quo sunt omnes thesauri sapientiæ atque scientiæ absconditi, ut neque falsa philosophiæ loquacitate seducamur, neque false religionis superstitione terreamur. Et cum divinos libros legimus in tantâ multitudine verorum intellectuum, qui de paucis verbis eruuntur et sanitate catholicæ fidei muniuntur, id potissimum deligamus, quod certum apparuerit eum sensisse quem legimus: si autem hoc latet, id certe quod circumstantia scripturæ non impedit et cum sanâ fide concordat si autem et scripturæ circumstantia pertractari ac discuti non potest, saltem id solum quod fides sana præscribit. Aliud est enim quid potissimum scriptor senserit non dignoscere, aliud autem a regulâ pietatis errare. Si utrumque vitetur, perfecte se habet fructus legentis: si vero utrumque vitari non potest, etiam si voluntas scriptoris incerta sit, sanæ fidei congruam non inutile est eruisse sententiam. De Genesi ad litt. lib. I, c. 21.

exemples, nous nous garderons bien d'attacher à cette explication une importance exclusive. Lorsque nous voyons d'un côté les hommes les plus éminents par leurs vertus et leurs lumières proposer dans l'interprétation du récit de la Génèse, nonseulement quant aux jours de la création, mais aussi quant aux créations particulières, des opinions bien différentes les unes des autres; lorsque d'un autre côté les géologues les plus distingués reconnaissent « que le temps n'est pas encore venu où une théorie parfaite de la terre puisse être établie d'une manière complète et définitive, parce que nous n'avons pas encore par devers nous tout l'ensemble de faits sur lequel elle doit être un jour basée (1), » il serait sans doute téméraire de vouloir limiter le sens de la parole divine à une manière de voir particulière. Nous avons seulement voulu établir et nous croyons avoir démontré que les découvertes de la géologie ne sont pas opposées aux vérités révélées, et qu'on peut adopter les conclusions de la science sur la formation de la terre, sans contredire le moins du monde ce que la Religion nous enseigne sur la création de l'univers.

V. Cette démonstration en faveur de la vérité de l'Écriture, quoique négative en apparence, ne laisse pas d'être déjà d'une grande valeur, surtout quand on rapproche les conclusions de la géologie, dans ses rapports avec les vérités révélées, des conclusions de l'archéologie, de l'ethnographie etc., considérées dans ces mêmes rapports. Il est vrai que, dans le dernier siè cle, une science superficielle a cru trouver dans ses recherches des faits contraires à ceux que nous trouvons consignés dans nos saintes Écritures. C'est que ces sciences méconnaissaient le principe qui doit nous guider dans toutes les recherches scientifiques d'observation, qu'elles s'étaient trop em

(1) BUCKLAND, La minéralogie, etc. tom. I, p. 10.

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