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» rendus célèbres au barreau, ne leur portez point envie.—Et » pourquoi? - C'est qu'ils ont acquis cette célébrité aux dépens » de leur vie. - Et quelle est la célébrité qu'on acquiert autre» ment? C'est qu'ils ont perdu leurs années.

Quoi! les

» années consacrées au bien général sont des années perdues!

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Les hommes obtiennent plus facilement de la loi que d'eux» mêmes la fin de leurs travaux (c. 20). Je les en loue. —

-

» Personne ne pense à la mort. » — Il est bien de penser à la mort, mais afin de se hâter de rendre sa vie utile.

C'est un défaut si général que de se laisser emporter au-delà des limites de la vérité, par l'intérêt de la cause qu'on défend, qu'il faut le pardonner quelquefois à Sénèque.

"

Apprendre à vivre, c'est apprendre à mourir.......... » Et apprendre à mourir, c'est apprendre à bien vivre.

J'en vois sans nombre qui se meuvent; mais quel est celui d'entr'eux qui vit? Auguste écrase ses concitoyens, ses collègues, ses parens, ses amis ; il verse des flots de sang sur la terre et sur les mers; il porte ses armes dans la Macédoine, la Sicile, l'Asie, l'Égypte, la Syrie, presque sur toutes les côtes : las d'assassiner des Romains, ses soldats massacrent des peuples étrangers. Tandis qu'il s'occupe à pacifier les Alpes, à dompter des ennemis confondus avec les sujets de l'empire, à porter ses limites au-delà du Rhin, de l'Euphrate et du Danube, on aiguise des poignards contre lui dans son palais, au capitole : les désordres de sa fille assiégent sa viellesse et rassemblent de nouveaux périls autour de son trône. Appelez-vous cela vivre? Ambitionnez-vous cette destinée ?

« L'homme arrive au bord de sa fosse, comme le distrait à » l'entrée de sa maison. »

« Cet autre, c'est un fainéant que les bras de ses esclaves ont » tiré du bain, déposé sur un siége, et qui leur demande s'il est >> assis..... » Cela? C'est un homme vivant? C'est un homme mort qui parle !

Il ne faut pas lire les ouvrages de Sénèque comme de simples leçons de philosophie, comme les conseils de la sagesse ; mais comme les saintes exhortations d'un ministre des dieux, plus occupé de consterner le vicieux que d'éclairer l'ignorant. Partout

où il parle de la vertu, de ses prérogatives, de la frivolité des grandeurs de la terre, c'est avec un enthousiasme qu'on partage quand on a quelque sentiment du vrai, du bon, de l'honnête et du beau ; c'est d'un ton solennel qui en impose, quand on n'est pas un déterminé scélérat.

Le stoïcisme a dénaturé tous les mots ; et celui qui n'en connaîtrait que les acceptions communes entendrait mal la doctrine de cette école, et la plupart de ses assertions lui paraîtraient absurdes ou paradoxales.

Je n'ai pas lu le chapitre III sans rougir: c'est mon histoire. Heureux celui qui n'en sortira point convaincu qu'il n'a vécu qu'une très-petite partie de sa vie.

Ce Traité est très-beau; j'en recommande la lecture à tous les hommes, mais surtout à ceux qui tendent à la perfection dans les beaux arts. Ils y apprendront combien ils ont peu travaillé, et que c'est aussi souvent à la perte du tems qu'au manque de talent, qu'il faut attribuer la médiocrité des productions en tout genre.

FINIS LIBRI DE BREVITATE VITE.

L. ANNEI SENECE

DE

VITA BEATA

AD GALLIONEM FRATREM

LIBER UNUS.

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