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des choses que tout le monde sans distinction a coutume de posséder, d'acheter et de vendre. Si donc il ressort des circonstances que l'une des parties (qui sera le plus souvent le défendeur) a acheté le titre d'une personne inconnue, ou évidemment sans ressources, ou spécialement d'une personne de laquelle on ne devait attendre ni la possession, ni la négociation d'un pareil titre, le juge doit alors méconnaître la bona fides dans le sens juridique du mot; car ces circonstances laissent à penser que l'acquisition est entachée ou de mauvaise foi, ou au moins d'une imprudence blâmable et condamnable. Et cette conclusion sera encore plus solidement établie, si le possesseur a acheté le titre beaucoup au-dessous du prix courant; cette circonstance seule devrait faire suspecter la régularité de la possession de l'acheteur.

Il est également certain que plusieurs lois modernes ont formulé expressément et perfectionné ces principes. Si les considérations que nous venons de présenter sur le véritable sens du droit romain sont exactes, il s'ensuit que ces lois se trouvent complétement sur le terrain du droit romain bien compris.

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I. CONTRAT. B. PERSONNES. TITRES AU PORTEUR (suite). (DROIT PRUSSIEN.)

Nous avons encore à comparer avec les règles du droit romain que nous venons d'appliquer à la revendication des titres émis au porteur, les dispositions en partie différentes de plusieurs louis modernes.

Nous pouvons poser à l'avance en principe que si, dans des cas isolés, on hésite entre différentes lois, il faut appliquer celle du territoire où le procès serait porté (a).

A. Dans presque tous les pays, la revendication romaine est restreinte par la règle la main garantit la main'. Ce serait mal comprendre la règle que de vouloir la considérer comme excluant la revendication d'une manière générale. Elle ne s'applique pas à la perte involontaire de la possession (par rapt, vol, perte de la chose).

(a) Cf. Système, t. 8, § 367, p. 187, 188. (p. 185, 186 trad.)

↑ «Hand muss Hand wahren. » Dicton allemand, analogue à notre règle en fait de meubles possession vaut titre (art. 2279, C. N.). Ce principe qu'on retrouve dans le Sachsenspiegel (miroir de Saxe),recueil législatif du xive siècle, a été reproduit dans le Allgemeines deutsches Handelsgesetzbuch (Code général de commerce allemand), art. 306.

La règle ne concerne au contraire que les cas où le propriétaire de la chose l'a volontairement donnée en garde à un autre; ici il doit se contenter de l'action personnelle contre celui-ci ; la revendication contre le tiers possesseur lui est refusée. Encore ce refus est-il entendu d'une manière plus ou moins large suivant les lieux. En certains endroits, il s'étend à toute espèce d'actes ayant pour résultat de confier sa chose à une autre personne; en d'autres endroits, au contraire, rien qu'au cas où le propriétaire de la chose l'a confiée à un autre dans l'intérêt de celui-ci (par exemple, à un locataire, ou à un créancier hypothécaire), non à ceux où l'intérêt propre du propriétaire se trouve seul en jeu (par exemple, à un dépositaire, ou à un intendant ou domestique de ce propriétaire) (b). Il n'y a aucune raison pour ne pas faire l'application de ces règles à tous les titres au porteur sans exception. Là donc où la règle est restreinte dans des limites plus étroites, la revendication ne sera exclue que si le propriétaire du titre l'a remis à quelque créancier hypothécaire, mais non s'il l'a confié à un dépositaire ou à un mandataire. Là où on lui donne une plus grande extension, la revendication sera refusée au propriétaire dans ces derniers cas, c'est-à-dire dans tous les cas où il

(b) Mittermaier, t. 1, § 153. Bornemann, Preuszisches

Recht (Droit prussien), t. 2, p. 145.

a volontairement remis le titre entre des mains étran

gères.

B. Droit prussien.

AUTEURS :

Bornemann, Preuszisches Civilrecht (Droit civil prussien), t. 2, § 118, p. 145-151.

Ergaenzungen (Compléments) de Graeff, etc. Fünfmaennerbuch (Livre des cinq auteurs), t. 2, p. 160-181, 2e édit. 1844.

Si sur cette théorie j'examine le droit prussien avec beaucoup plus de détails que les autres droits, ce n'est pas seulement, ni même principalement, parce que j'appartiens moi-même au royaume de Prusse ; mais c'est que ce droit offre des matériaux bien plus riches qui se trouvent également dans la législation et dans les travaux des auteurs. Dans l'exposition du droit prussien, je ferai tout d'abord abstraction de l'objet spécial qui nous occupe ici (les titres au porteur), et j'étudierai les actions réelles en général d'après ce droit; alors seulement, il sera possible de traiter d'une manière suivie de l'objet spécial de notre recherche.

Mais avant d'essayer l'exposition des actions réelles elles-mêmes en ce qui touche le droit commun (§ 67), je veux traiter quelques points secondaires dont l'in

fluence variée se fait sentir sur ces actions en particu→ lier.

Le premier de ces points se rapporte à une présomption générale introduite dans l'intérêt du possesseur qui paraît au premier abord plus importante qu'elle ne l'est en réalité et qui s'exprime textuellement ainsi : « Tout possesseur a pour lui en règle générale la présomption d'une possession régulière et de bonne foi (c). » Nous devons comprendre et approuver cette présomption en ce qui touche la bonne foi, dans le sens indiqué plus haut pour le droit commun (§ 67, r). - La présomption de régularité, c'est-à-dire de l'existence d'un juste titre, paraît plus douteuse (d). Car si l'on voulait donner à cette présomption tout l'effet dont le mot est susceptible, quiconque a été une fois possesseur serait fondé à réclamer contre tout tiers la possession qu'il a perdue, en s'appuyant simplement et sans autre preuve sur cette présomption de droit. En fait, ce n'est point ainsi qu'on l'entend; cette présomption ne se rapporte qu'à la position du possesseur actuel, c'est-à-dire le défendeur au procès sur la propriété; elle désigne donc seulement la situation du défendeur vis à vis du demandeur, en ce sens qu'il est

(c) A. L. R. (Dr. nat. gén.), I, 7,

§ 179, § 8.

(d) Sur le sens de l'expression:

régularité de la possession, cf. A. L. R., I, 7, § 10.

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